Chapitre 5

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La journée avait été longue. Son dernier patient parti, Gabriel s’était avachi sur son fauteuil. Ses yeux brûlaient de fatigue. Il les frotta, s’étira et bailla bruyamment. Sa secrétaire ouvrit timidement la porte.

- Monsieur, est-ce que vous avez besoin de moi ?

- Non ça ira. Vous pouvez y aller, je fermerai.

Cela faisait un moment maintenant qu’il voyait Laura régulièrement. Cette nouvelle situation lui garantissait au moins quelques semaines de tranquillité. Ce rapprochement soudain était une aubaine pour lui. Mettre la main sur ce fichu dossier ne serait pas une mince affaire. Qu’ils se voient pour des séances de psychanalyse ou pour tout autre chose importait peu au patron. Ce qu’il voulait c’est qu’elle lui dise où se trouvait ce dossier et après il voulait la liquider. L’objectif était simple. Pourtant, à chaque fois qu’il pensait se rapprocher d’elle, elle érigeait une nouvelle barrière. Plus il la voyait plus il s’amourachait d’elle et cela compliquait franchement les choses. Il se servit un verre de limonade et desserra sa cravate. Voilà maintenant qu’il hésitait. Il reprit le dossier de Laura et s’attela à une relecture pour trouver un nouvel angle d’attaque. Après quelques heures, la nuit avait déjà tracé son chemin dans le ciel. Endormi sur son bureau, il se réveilla laissant derrière lui un rêve étrange. Une angoisse lui prit le ventre et lui entortilla les tripes. Il avait le vague sentiment qu’il était en danger. Il s’ébroua à la manière d’un ours qui sortait de son hibernation puis quitta son cabinet après s’être assuré qu’il l’avait bien fermé. Bien que la nuit soit toujours plus fraîche que le jour, la chaleur nocturne qui régnait n’offrait qu’une petite alternative aux températures caniculaires de cette période de l’année. Cependant, Gabriel décida de marcher pour rentrer chez lui. Il profita de quelque brise tiède qui au contact des gouttes d’eau que formait sa transpiration, lui donnait un peu de rafraîchissement. Il n’y avait pas grand monde à cette heure. De la viande saoule, des prostituées, des dealers. Le quartier n’était pas différent des autres la nuit. Les rares badauds qui osaient sortir pour le paysage nocturne de la ville déchantaient très rapidement. Rien qu’il ne connaissait pas déjà. Des souvenirs de son enfance remontèrent à la surface pendant qu’il déambulait dans les rues. Sa mère ivre devant le poste de télé. A moitié nue, elle gardait sur elle les traces visqueuses de son dernier client et les billets qu’il lui avait probablement jeter à la figure étaient éparpillés çà et là. Il vit sa mère dépérir à vue d’œil durant leurs années de fuite. Un cliché que tout spectateur peut voir dans n’importe quel film. Mais pour lui, c’était réel et il avait fallu faire avec. Le peu d’éléments dont il disposait concernant son père lui avait permis de trouver un boulot malhonnête dans le milieu. Grâce à ça il avait payé les dettes de sa mère, les factures et ses études. Il savait que son père était mort. C’est d’ailleurs à peu près à ce moment-là que sa mère a vrillé. Il savait qu’elle avait fui en l’emmenant avec lui parce que le danger était trop important. Il avait compris bien plus tard que lorsqu’elle parlait du danger, sa mère parlait du cartel. Il avait aussi compris que son père trempait dans de sales affaires et que c’était en rapport avec le cartel. Tout cela il l’avait compris avant d’arriver à la fac. Sa dernière année de lycée avait signer un tournant décisif dans sa vie.

Il n’aurait jamais imaginé être approché par le grand patron en personne. Surtout qu’il s’arrangeait pour ne pas faire de vague lorsqu’il vendait de la drogue. Il était discret. Il rapportait le pourcentage toujours à temps. Alors quand la voiture noire s’est arrêtée devant sa maison il n’a pas craint pour lui. Il était plutôt intrigué et inquiet pour sa mère. Bien qu’il se soit occupé des finances, il ne savait jamais quand elle pouvait se mettre dans le pétrin. Il se souvenait de ce jour-là. Il avait presqu’arrêté de respirer. Sa mère cuvait dans sa chambre. Il vit un homme en costume noir sortir du véhicule et ouvrir la porte arrière. Il avait estimé l'âge de l'individu à quarante ans environ, peut-être cinquante. Il avait des épaules larges. Un costume gris argent sur une chemise noire ornée d’une chaine soulignait sa stature. Il transpirait l’autorité et un frisson parcouru son échine quand il le vit s’avancer dans l’allée. Il s’était retourné vers son salon. Heureusement il avait nettoyé et rangé. Les coups frappés à la porte retentissaient encore dans son esprit des années plus tard. Il se revoyait se rendre lentement vers l’entrée pour ouvrir. Une voix profonde et chaude s’adressa à lui.

- Bonjour Gabriel.

Il avait esquissé un sourire presque tendre. Pendant une seconde il s’était imaginé qu’il s’agissait de son père. Et puis il s’était souvenu qu’il était mort.

- Tu ne m’invites pas à entrer fils ?

Surpris par cette familiarité, il l’avait invité à entrer d’un geste de la main et sans crainte. La curiosité l’avait emporté sur la prudence. C’est là que tout a basculé. Sa mère était restée couchée tout le long de la conversation qu’il avait eu avec Andrew Cromwell. Le grand patron du cartel lui avait fait une proposition qu’il n’avait pas eu de mal à refuser à l’époque. Il était en manque de figure paternelle et Cromwell la lui avait apportée sur un plateau d’argent. Il avait vendu son âme au diable. Il le savait aujourd’hui. A partir de ce moment-là, il était devenu le fils adoptif de Cromwell. Rien d'officile mais désormais il était impossible pour lui de quitter le milieu. Il connaissait l’identité de détenteur de la plus grande organisation criminelle du pays. Et il travaillait pour lui depuis qu’il avait onze ou douze ans. Mais ce n’est que lors de sa première année de fac qu’il avait scellé sa prison. C’est là qu’il avait rencontré Dylan. La rencontre avait été arrangée bien entendu. Cromwell voulait quelque chose en échange de tout ce dont Gabriel pouvait bénéficier en se positionnant sous sa protection. Il s’agissait de se lier d’amitié avec Dylan et d’infiltrer le marché de l’information dont seul Paolino avait la main mise. Il avait fait sa part. Au fur et à mesure, sa mission d’infiltration au sein de l’institution Paolino s’est transformée. A force, Cromwell avait obtenu diverses informations qui l’avaient mené à Laura. C’est comme ça qu’il se retrouvait aujourd’hui le cul entre deux chaises. Entre sa loyauté pour ce père de substitution et ses sentiments pour cette femme mystérieuse. Le moment venu, il lui faudrait prendre une décision qui le mènerait probablement à sa perte. Il n’était pas repéré et il avait vraiment bien mené sa barque jusque-là. Il espérait que Laura n’aurait pas de soupçons après l’embardée du gorille qui s’était invité dans son bureau pour le cogner. Il savait que tôt ou tard elle se mettrait à douter. Il ne savait pas quoi faire. Il avait peur.

Sans s’en rendre compte, ses pas le guidèrent jusqu’au cimetière où sa mère reposait. Il inspira profondément et des larmes coulèrent le long de ses joues. Bientôt Cromwell voudra des nouvelles et il n’avait rien de plus à lui apporter. Il se décida à agir ce soir. Avant toutes choses, il devait voir son vieux fournisseur. D’un pas assuré, il prit la direction du centre-ville. Avec prudence, il arpentât les ruelles sombres du quartier pour éviter les caméras de surveillance. Son allure était calculée. Son itinéraire précis. Il avait agi de la sorte tellement souvent pendant sa jeunesse que son corps se souvenait. Il s’approcha d’un escalier d’immeuble abandonné. Il fit le tour pour passer dessous et se trouva face à une porte que l'on ne pouvait atteindre que si l'on savait où chercher. Il toqua deux fois, fit une pause puis toqua deux fois à nouveau. La porte s’ouvrit.

- Tiens donc … BG. Ça fait un sacré bail dis-moi.

- Salut Marcus. Je viens voir Stonk. Il est là ?

- Ouais. Tu le trouveras dans la réserve. Il fait les comptes.

- Merci. Au fait, sympa la barbe.

Il longea un couloir aux lumières rouge. Passa un rideau épais rouge. Comme ceux qu’on trouve au théâtre. La salle n’avait pas vraiment changé. Elle avait été rénovée à l’identique quand Stonk l’avait reprise à la fin de ses années de fac. Un bar dans le plus pur style des années 30, des alcôves fermées pour consommer discrètement et au centre, une scène sur lesquelles se tortillaient des strip-tiseuses et des strip-tiseurs. Un coup d’œil rapide pour prendre la température et il se rendit à la réserve où il trouva Stonk entrain de compter des billets et de peser des sachets de poudre de toutes les couleurs. Il reconnut son sourire malicieux et son regard perçant quand il leva la tête pour l’accueillir.

- BG ! Ça alors ! Ça fait quoi ? Presque dix ans non ?

- Pas loin en effet.

Coiffé de sa casquette dont il ne se séparait jamais, il portait des lunettes et une petite moustache qui ajoutait des années à son visage. Il n’avait pas beaucoup changé. Il portait toujours un jean. De sa ceinture pendait une chaine qui allait jusqu’à sa poche arrière où son portefeuille résidait. Un sweat à capuche sur lequel était inscrit à l’avant « Dieu te juge » et à l’arrière « Je suis Dieu », finissait de donner le ton. Il se leva et l’enjoignit à se rendre dans son bureau. Une petite pièce qui ne payait pas de mine et qui avait pour avantage non négligeable d’avoir un accès secret vers l’extérieur. Très pratique en cas de descente de flics. Assis l’un en face de l’autre, ils se toisaient sans animosité. Plutôt comme des amis de longue date qui se retrouvent sans trop savoir comment s’aborder l’un l’autre.

- Qu’est-ce qui t’amène BG ?

- Ça fait des années que je n’ai pas été appelé ainsi.

- Hé hé. Il y a un môme qui voulait s’attribuer ton pseudo il y a quelques temps. Je le lui ai refusé. T’étais vraiment le meilleur. Tu es le seul qui ne s’est jamais fait chopper.

- Pourquoi le lui avoir refusé ?

- Ta réputation t’a valu beaucoup d’ennemis mec. Ce môme serait mort en un rien de temps. Tu savais comment survivre dans ce milieu. Lui c’était juste un gamin sans ambition. Pas comme toi.

- Ouais… Je viens te voir pour t’acheter une dose de Gril dream.

- De la Gril dream ? Yo mec, t’es un beau gosse … Pourquoi t’as besoin de cette merde ?

- Rah ne sois pas con. J’ai besoin qu’elle dorme profondément. Pas de me la taper. Ça, c’est déjà fait. C’est le seul produit indétectable.

- Je croyais que tu devais arrêter de bosser pour lui ?

- On ne fait pas toujours ce qu’on veut … Bon tu me la vends cette dose ?!

- Ouais ouais, t’enflamme pas gros.

Il se leva, se rendit à son coffre, tapa un code sur le pavé numérique et sortit un petit sachet avec un comprimé rose en forme de licorne.

- Sérieux ?! Une licorne ?

- Ça fait vendre. Tiens c’est cadeau.

- Je déteste quand tu me fais des cadeaux. Y a toujours un prix avec toi. C’est quoi cette fois ?

- Reste en vie mec. C’est tout ce que je te demande. Je ne sais pas dans quoi tu trempes mais si c’est pour lui …

- T’inquiètes pas. Je vais m’en sortir.

Ils se saluèrent et il lui ouvrit le passage secret. Après quelques minutes de marche dans un dédale de couloir étroit, il sortit deux rues plus loin. Il devait s'arranger pour que sa prochaine entrevue avec Laura se déroule chez elle. Ils s'y étaient déjà retrouvés à plusieurs reprises et il pensait qu'elle avait totalement confiance pour ne se douter de rien. Il serra le comprimé en forme de licorne dans sa poche, il se réconforta un peu. Lors de leur prochain rendez-vous, il aurait ce fichu dossier et il prendrait la poudre d'escampette en direction de l'autre côté du pays. Il était assez tard quand il arriva enfin chez lui. Il passa le halle d'entrée du viel immeuble puis montant les marches jusqu'à sa porte d'entrée. Il déposa ses chaussures dans le vestibule. Puis se rendit dans la cuisine pour se servir un verre d'eau fraîche. Machinalement, il s'approcha de la fenêtre et glissa un doigt entre les lames du store et regarda à travers sans rien chercher de particulier. Un frisson le parcourut. Il ne pouvait pas voir son visage mais il y avait un homme en bas assis sur le banc. Il jetta un mégot encore rougeayant sur le sol. Il ne l'écrasa pas puis se leva et partit. Gabriel repris son souffle, bu son verre d'eau puis parti se coucher. Demain, il lui faudrait vérifier si cet homme réapparaît.

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