Chapitre 6
A partir du moment où elle s'était engagée sur cette affaire, Laura avait décidé de ne plus coucher avec le psy. Elle sentait bien qu'il était attiré par elle mais elle avait réussi à mettre en place une limite à ne pas franchir grâce à son alcoolisme expliquant qu'elle voulait se sevrer et que cette période serait trop instable pour elle. Il l'avait très bien compris donc ils s'y tenaient tous les deux. Ils passaient du temps ensemble comme deux bons amis le feraient. Et ça payait. Il lui parlait de lui, elle lui parlait d'elle. Ils ne se voyaient plus que très rarement en séance. La déontologie le tracassait disait-il. Jusqu'ici elle avait réussi à confirmer la plupart des informations qu'elle avait obtenues. Même s'il restait vague, elle avait senti le lien avec le cartel. Il bossait pour eux mais elle n'avait aucune preuve. Elle ne pouvait pas aborder de front le sujet car rien ne lui permettait de le faire et cela aurait été bien trop suspect. Quant à savoir ce qu'il faisait exactement pour le cartel, c'était difficile à dire. Il travaillait vraiment comme psychologue. Certains de ses patients étaient des civils et d'autres des gens peu recommandables qui bossaient certainement pour le big boss de la drogue. Elle doutait qu'il soit impliqué dans quoi que ce soit même si son instinct lui disait de se méfier. Tous les patients étaient suspects et avaient fait l'objet de recherches plus poussées auprès de T et ce dernier n'avait pas manqué de souligner que ce job lui prenait un peu trop de temps. Sur les recommandations de Laura, il bossait depuis peu avec Sara pour optimiser les recherches. Cela l'arrangeait bien car Laura avait traversé des moments peu agréables après l'arrêt de la bouteille. Il lui avait fallu reprendre un rythme incluant une nouvelle alimentation et du sport. Gabriel lui était d'un grand soutien. Elle dormait mieux et se sentait plus concentrée. Parfois l'envie de boire la prenait. Elle appelait Doc ou Gabriel selon ce qui lui semblait le plus cohérent par rapport aux avancées réalisées. Elle se rendait compte qu'elle développait un certain attachement pour son psy. Bien que la méfiance était de mise, elle ne pouvait pas nier qu'elle l'aimait bien. Ses pensées et sa séance de sport furent interrompus par des coups frappés à la porte. Doc entra sans demander son reste.
- Salut.
- Salut. Je prends une douche et je suis à toi.
Doc confectionna une salade composée de tomate, de mozzarella et d'olives noires puis insalla le poste de travail. Laura sortit de la salle de bain, engouffra la salade, se fit un sandwich qu'elle partagea avec Doc et s'attela à la tâche. Ils avaient dégoté une piste en gardant Peters à l'oeil. D'après les informations qu'ils avaient pu recueillir en toute illégalité, un chargement important non identifié devait arriver dans peu de temps par camion 12 tonnes au dépôt de la Sunset compagnie pour ensuite être livré à un client non identifié à quelques kilomètres au nord de la ville. Ils étaient entrain d'établir leur plan d'attaque pour tenter de prendre Peters sur le fait le plus discrètement possible. Ils avaient conscience qu'ils n'auraient pas d'autres opportunités avant un moment s'ils rataient cette opération. Sans compter qu'ils risquaient de mettre la puce à l'oreille de leur adversaire.
Pour l'instant, il s'agissait de se rendre sur place avec toute l'équipe pour suivre la cargaison de son point de chute jusqu'à son nouveau lieu de livraison afin de découvir qui était ce destinataire discret. T se chargerait des caméras, Sara d'établie l'itinéraire le plus probable qu'ils emprunteraient et s'il y avait trop, de faire en sorte de réduire les options pour leur faciliter la tâche. Quant à Doc et Laura, ils seraient sur le terrain pour leur filer le train en cas de problème technique. C'était risqué mais, cela en valait la peine. Ils avaient une chance de découvrir qui était le client en question et peut-être même de mettre Peters en cause ce qui affaiblirait grandement le cartel. Dans son fort intérieur, Laura espérait faire peur au parrain. Le faire trembler pour qu'il se montre et qu'il fasse une erreur.
La nuit était bien avancée quand ils terminèrent. Elle envoya les détails à T et Sara. Elle commençait à sentir ce frisson la parcourir. Le frisson du danger. Ces dernières années, elle ne pouvait pas vraiment dire que sa vie avait été une longue série d'aventures et d'enquêtes enrichissantes. Ca payait le loyer mais sincèrement, elle n'avait plus connu cette sensation. L'époque de la brigade lui avait manqué tellement de fois. Elle pensait ne plus jamais ressentir ça. Elle se tenait entre l'excitation et la peur. Elle savait que l'issue pouvait lui être fatale, leur être fatale à tous. Elle devait s'assurer que tout le monde ferait sa part. Elle devait faire confiance ... A nouveau. Doc s'endormit assis sur la canapé. Les néons éclairaient toujours l'unique pièce de son logement. La nuit était fraîche ce soir là. Une envie soudaine de boire un verre et de fumer une cigarette la pris au ventre. Elle inspira profondément puis se levant et se dirigea vers la fenêtre. Ses pieds nus sur le sol, elle posa son front sur la vitre. Il ne se passait rien dehors. Comme si tout à coup le temps s'était arrêté pour qu'elle prenne conscience de sa propre mortalité. Ce moment présent, ancré ici et maintenant. Elle respirait. Elle ferma les yeux et pris conscience du léger ronflement de son compagnon de route depuis tant d'années. Elle sentit le léger parfum de sa transpiration mêlé à l'after-shave qui flottait dans l'air. Bientôt, tout allait basculait. Enfin, elle l'espérait. Il fallait que tout ça s'arrête. Le ronflement s'arrêta et laissa la place au son du tissu qui se froisse sous l'effet de mouvements. Elle l'entendit venir dans son dos. Il était tout proche mais ne la toucha pas. D'une voix enrouée par le sommeil il prononça une phrase qui changerait leur relation à tout jamais.
- Si nous nous en sortons John, tu seras mienne ou tu ne seras plus.
***
La sonnerie de sa ligne sécurisée le réveilla. Il sursauta et se jeta sur le combiné avant de se raviser. Il attrapa son autre ligne et composa le numéro qui venait de s'affichait. Il le connaissait bien maintenant. Ses mains devinrent moites. Il se racla la gorge juste avant qu'elle ne décroche.
- T à l'appareil.
- Ecoute, je sais que tu as bossé toute la nuit mais j'aimerai bien te voir pour parler du plan que Laura nous a envoyé.
- Euh... C'est-à-dire que...
- On va devoir se voir le jour j. Il va te falloir sortir un peu de ta coquille. Le monde est beau à l'extérieur et puis, cela fait un moment qu'on s'appelle tous les jours et moi j'en peux plus de parler à une machine. Il va falloir qu'on se fasse un peu confiance. J'ai ...
- ... OK OK ... Stop. Je ... D'accord. Je t'envoie des coordonnées GPS. Rendez-vous dans deux heures.
Sara sauta de joie sur le siège de la salle d'attente. Elle allait lui répondre quand elle se rendit compte qu'il avait raccroché. Elle n'en pouvait plus de toutes ces précautions. Après tout, elle était quelqu'un de confiance et elle méritait de rencontrer la personne avec qui elle allait faire équipe. Enfin une mission de terrain ! Elle était tellement reconnaissante envers Laura. Bon, il lui fallait maintenant être très prudente. La secrétaire du cabinet médical appela son nom. Elle se leva et se rendit dans le bureau du médecin. Trois quart d'heure plus tard, elle ressortit avec un arrêt maladie sous le bras pour dépression. Elle était arrêtée un mois ce qui lui laisserait largement le temps de travailler sur ce dossier sans avoir à se justifier d'éventuelles absences. Elle allait enfin pouvoir mettre ses compétences au service de la justice. En sortant, elle regarda son téléphone et chargea les coordonnées sur son GPS. Elle marcha tranquillement jusqu'à sa voiture, s'installa, alluma son poste de radio et ajusta ses lunettes avant de démarrer. Après une bonne dizaine de minutes de conduite elle se retrouva dans un quartier peu ragoûtant de la ville. Elle se demandait s'il s'était moqué d'elle. Enfin, son téléphone sonna alors qu'elle approchait d'un batiment désaffecté.
- Le portail vert avec une tâche rouge.
Il avait raccoché avant même qu'elle ai pu parler. Il se fichait d'elle ? Un portail vert ... Elle maugréait dans l'abitacle et c'est là qu'elle le vit. Un vieux portail avec un graphiti en forme de tâche d'encre rouge était en train de s'ouvrir. Perplexe, elle s'avança vers le bâtiment mal entretenu. Elle entra dans un vaste entrepôt refait à neuf. Dans son rétro viseur, elle vit le portail se refermer derrière elle. Elle stoppa la voiture et sortit. Ses talons claquèrent et résonnèrent. Elle avait l'impression d'intégrer une équipe d'espions façon 007.
- Hello ?
Pas de réponse. Autour d'elle, elle repéra des boîtes en cartons de toutes tailles. Des outils divers et variés. De l'électronique, des ordinateurs désossés et bien d'autres choses qui laissaient supposer qu'elle se trouvait dans un gigantesque atelier d'électronique. Elle leva la tête lorsqu'elle entendit un bruit au dessus d'elle. Il venait de sortir d'une pièce située en hauteur et s'était positionné sur la rembarde d'un pont surélevé.
- Par ici Sara, monte.
Il lui avait jeté ses mots en lui tournant le dos. Elle n'avait pas eu le temps de voir son visage mais l son de sa voix était chaud. Elle repéra l'escalier et ses petits talons claquèrent au rythme rapide et saccadé de sa démarche chaloupée. Arrivée à la porte, elle hésita. Son coeur palpitait. C'était à dire qu'elle sortait drôlement de sa zone de confort. Néanmoins, elle inspira, se redressa et entra. Au passage du chambranle de la porte, sa bouche s'arrondit de surprise alors que ses yeux défilaient sur tout ce qui leur passait devant. Un gigantesque loft s'étalait là, décoré avec goût. Bien qu'elle ne soit pas fan de la culture pop de sa jeunesse, elle reconnaissait ça et là des figurines, des illustrations et des goodies qui se mariaient avec un mobilier moderne au style industriel. Elle s'était attendu à un repère sombre, dans une cave, un peu comme ce super-héro chauve-souris qui avait un matériel de dingue. Son regard continua son scan jusqu'à la zone de travail qu'elle avait imaginé bien plus bordélique. Elle ne l'avait pas encore regardé et il la laissa faire son inspection en silence. Elle s'approchait du bureau où il avait posé son postérieur. Il avait le souffle court et tentait d'avoir l'air cool. Il la savait jolie mais les images qu'il avait vu d'elle ne lui rendaient pas hommage. De multiples écrans tapissaient le mur. Différents boitiers, et autres matériels étaient alignés sur le plan de travail. Il était très ordonné. Sara resta stupéfaite tout le temps de son inspection. Quand elle eut fini, elle leva enfin la tête vers lui. Elle ne put retenir un petit cri d'exclamation. Surpris il tendit la main vers elle sans la toucher.
- Qu'y-a-t-il ? Ca va ?
- Bah si je m'attendais ?!
- Qu'est-ce que tu veux dire ?
- Et bien ... Jeeee ... C'est-à-dire que ...
Il n'était ni petit, ni corpulant, ni boutonneux. Ses cheveux étaient propres, il sentait bon et son appartement était tout ce qu'il y a de plus normal. Et mon dieu qu'il était beau ! Tout le contraire des stéréotypes qu'elle s'était fait. Elle se mit à rougir violemment. Elle avait honte d'avoir eu l'esprit aussi fermé. T était grand, mince et portait des cheveux bruns et longs qu'il avait attachés laissant apparaître les côtés de son crâne, rasés. Des yeux noisettes et des lèvres fines qui s'étiraient dans un sourire quelque peu sur de lui. Sa barbe et sa coupe de cheveux lui donnaient un air old-school qui s'harmonisait avec sa tenue. Il portait une chemise noire à fleurs dont les manches étaient retroussées sur des tatouages scandinaves. Ses lunettes rondes étaient assorties à son pantalon bordeau.
- Tu t'attendais à quoi ?
Il s'était soudain détendu en lisant sur le visage de son invitée, qu'elle était séduite. Il avait toujours eu du succès auprès des femmes et il savait le repérer. Lui, en revanche, était plutôt difficile. Il les aimait pulpeuses et même plutôt en chair. De préférence coquettes et originales. Quand Laura lui avait demandé de travailler avec Sara, il avait mis plusieurs jours à s'en remettre. Il avait parcouru tout son dossier numérique. Ce qui revenait à dire qu'il l'avait pistée sur la toile et qu'il avait eu accès à tout. Il savait qu'elle adorait l'opéra, la cuisine italienne, la mode et qu'elle avait un petit appartement cosy en centre-ville. Bref, il savait tout de sa vie. Même qu'elle économisait dans le but d'acheter une petite maison en banlieue. Elle bafouilla :
- Je ... Euh ... Rrrr... Rien. C'est sympa ici.
- Merci. Tu voulais qu'on se rencontre pour travailler ensemble ?
- Oui. Et puis j'étais curieuse.
Il discutèrent longuement tous les deux en buvant du thé. Sa dernière relation s'étant très mal terminée, il avait choisi l'isolement et fréquentait très peu de monde. Il était assez étonné d'être aussi à l'aise en présence d'un autre humain. Elle s'agitait adorablement en parlant. Elle avait une petite faussette très mignonne quand elle souriait. Il fondait, et il le sentait bien. Après quelques heures de discussion, ils se mirent plus sérieusement au travail. La glace s'était brisée, laissant la place à la réalité de ce qui allait advenir. Il ne fut pas supris de découvrir en Sara, une alliée très perspicace et très futée. Elle lui exposa ses besoins pour réduire les itinéraires possible. Avec beaucoup d'intérêt il se pencha sur le plan qu'elle déroula.
- Tu vois, ici, le réseau sera coupé. Je le sais parce qu'il y a des travaux à l'heure actuelle.
- Oui je l'ai remarqué aussi. Et tu penses que c'est là qu'ils passeront ?
- Je le crois ! C'est Peters qui a fait faire les travaux. Ils ont commencé il y a une semaine. Ils ont fait la demande auprès des services urbains et ils ont expédiés ça tellement vite que cela n'est pas encore paru sur le bulletin. Seulement il y a d'autres options et il se peut que cela soit un leurre. J'ai donc fait le tour auprès de l'urbanisme et des autres services pour savoir ce qui se mettait en place dans le quartier. Cela ouvre les possibilités et j'ai besoin de toi pour réduire tout ça.
- Je suis épaté.
- Merci. Bref, il y plusieurs options pour leur trajet. Ici, ici, et ici, ceux sont des carrefours où nous pourrions les perdre facilement. C'est là qu'il faudra agir. Peters contrôle beaucoup de choses mais il ne peut pas tout savoir sur les projets d'entreprises. Il faudrait donc créer de fausses entreprises avec de projets routiers ou tout autre pour bloquer certains passages.
T était concentré.
- Pourquoi on ne suit pas simplement le traceur GPS ?
- Tu me poses vraiment la question ?
Il sourit. Il savait très bien qu'il y avait des zones blanches dans la ville et il était très impressionné par l'intelligence de ce petit bout de femme. Il se surprenait à vouloir l'entendre encore parler. Il passa sa langue sur sa lèvre avant de laisser échapper un petit rire. Elle ne résista pas. Elle posa sa main sur la sienne. Leurs regards se croisèrent. Il souria à nouveau. Il se sentait niais tout à coup.
- Je sais que ce que je vais te proposer peux paraître soudain mais vois-tu, je suis une femme qui sait ce qu'elle veut et qui est assez directe. Je n'irai pas par quatre chemins. Accepterais-tu de dîner avec moi pour faire plus ample connaissance ? Je te trouve très charmant et ...
- Oui avec plaisir.
Elle sautilla de joie en tapant des mains comme une enfant. Ils continuèrent de travailler longuement. Ils appelèrent Laura pour la tenir informée des avancées et quand l'heure du dîner approcha, Sara proposa à T de chercher un restaurant sur le net.
- J'en connais un plutôt sympa tout près d'ici.
- Alors je te suis !
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