Chapitre 8

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Ce silence intérieur qui s'emparait d'elle et la coupait de toutes ses émotions, elle le connaissait bien. Il annonçait un sang froid à toutes épreuves. Bientôt, elle affronterait son passé et elle vaincrait enfin ses démons. Sonia ne sera pas morte pour rien. Elle inspira lentement, bloqua et tira sur la cible immobile à vingt-cinq mètres. Elle s'entrainait tous les jours depuis que ces doutes sur Gabriel s'étaient invités dans son esprit. Par dessus le marché, il lui avait dit qu'il était amoureux d'elle. Elle l'avait éconduit durement et sans aucune hésitation. Cela n'aurait pas changé grand chose de toute façon. Elle l'avait relayé au rang d'ennemi dès les premiers soupçons. Cet homme n'était plus qu'une affaire à résoudre. Peut-être qu'une fois toute cette histoire réglée, elle pourrait envisager de le voir comme une nouvelle personne faisant partie de sa vie mais certainement pas dans une relation amoureuse. Pour qui se prenait-il ? Avec ce qu'il venait d'avouer, comment avait-il pu lui faire une telle déclaration ? C'était totalement absurde et insensé.

Une goutte de sueur glissa sur son front. Elle reposa son arme et entreprit de la nettoyer après avoir passer un chiffon sur son visage. Elle avait chaud. Voilà presqu'une heure qu'elle s'entraînait à tirer et à se déplacer. Elle devait rejoindre Sara et T un peu plus tard dans la journée pour régler quelques détails. Le duo avait bien progressé ensemble. L'une avec ses contacts dans la police, l'autre avec ses compétences techniques qui touchaient le numérique au sens large. Mais avant, elle avait quelque chose à faire. Une fois l'arme nettoyée, elle passa par chez elle pour se doucher et se changer. Elle posa une chaîne autour de son cou au bout de laquelle pendant un petit ange en argent. La dernière fois qu'elle l'avait porté, elle était encore flic. Sa mère l'avait gardé sur elle jusqu'à la veille de sa mort. Sur son lit d'hôpital, elle le lui avait tendu en lui disant qu'il la protégerait dans les moments les plus difficiles. Ce souvenir lui étreignit la poitrine quelques secondes. Elle observa son reflet dans le miroir. Quelque chose avait changé. Elle n'aurait su dire quoi.

Dehors, le ciel s'assombrit. Des nuages gris menacaient de se fracasser en un terrible orage de chaleur. La lourdeur s'était installée partout et collait à la peau. Elle attrapa son holster, glissa son arme dedans et partit. Elle conduisit jusqu'au sud de la ville. Elle passa devant le commissariat de police. Sa gorge se serra un peu. Les routes de la ville laissaient à désirer. La mairie avait prévu tout un plan de réhabilitation de paysage routier mais c'était il y a tellement longtemps. Les négociations des marchés publics avaient surtout donné lieu à de gros billets glissés sous la table et des travaux qui n'avaient jamais vraiment commencé. Laura s'en moquait. Elle savait comment cette cité fonctionnait. Les mafias avaient le beau rôle pendant que les habitants se chiaient dessus et préféraient consommer des drogues plutôt que de se plaindre de l'infrastructure et de se révolter. De doux agneaux devenus les premiers consommateurs de leur propre fin.

L'orage éclata à grand coup de tonnerre et d'éclairs qui découpaient le firmament. Une grosse pluie tomba et rafraichit l'air en quelques minutes. Au loin, derrière les gouttes qui s'écrasaient sur le pare-brise et qui rencontraient les essuis-glace, elle vit la grande grille du cimetière central. Flanqué de part et d'autre d'un pilier surplombé d'une gargouille, on pouvait y lire en latin :

"Ne obliviscaris verborum, ubi es."

- Comme si je pouvais oublier d'où je viens. Pffff.

Laura tourna à droite pour se rendre sur le parking du cimetière. Il pleuvait trop fort pour qu'elle sorte dans l'immédiat. Elle éteignit le moteur et se carra dans son siège le temps que la pluie se calme. Elle prit conscience de sa solitude dans l'habitacle de la voiture. Le temps se supsendit et seul le son de la pluie qui se fracassait sur le métal envahissait l'espace. Là, maintenant, elle replongea loin dans ses souvenirs.

- Allo Laura ?

- Oui ...

- Ca y est !! Elle est née !! Tu peux nous rejoindre à l'hôpital ?

- Super !! J'arrive Daniel !

Elle était tellement heureuse pour Tamara et Daniel. Ils étaient ensemble depuis le lycée et ils avaient eu du mal à concevoir un enfant. Après une fausse couche et un enfant mort né, l'arrivée de cette petite était plus que bienvenue. Il ne lui fallut pas longtemps pour rejoindre l'hôpital. Une joie immense et une certaine impatience l'avaient gagné pendant le trajet. Elle passa les portes automatiques en verre puis se rendit à l'accueil. Elle donna le nom de son amie et à peine eut-elle le numéro de la chambre qu'elle tapa brièvement sur le comptoir et pris la direction de l'ascenseur avec une petite pulsion d'enthousiasme. Quand enfin celui-ci arriva à l'étage de la maternité, elle piaffait d'impatience. Elle marche vite en regardant les numéros des chambres sans trop faire attention à son environnement. Elle heurta un homme qui portait une barbe de trois jours et des lunettes rondes écailles de tortue. Elle s'excusa promptement et continua son chemin. La chambre était au bout du couloir. La porte couleur prune portait le numéor 468. Elle toqua.

Une voix lui intima d'entrer et elle ne se fit pas prier. Daniel la reçut le sourire aux lèvres. Il portait une toute petite personne dans ses bras. Il s'approcha de Laura qui était maintenant près du lit et venait d'embrasser Tamara en la fécilitant :

- Je te présente Sonia.

Il venait de tendre le bébé vers elle pour qu'elle le voit mieux.

- Seigneur, qu'elle est petite.

Tamara eut un rire fatigué et lui répondit sur le même ton :

- Tu voulais qu'elle soit plus grande ? Trois kilos cinq, cinquante quatre centimètres. C'est déjà pas mal, je trouve.

A ces souvenires, des larmes coulèrent sur ses joues. Elle revoyait les dîners et les soirées chez les Wilson. Sonia l'appelait Talau. Elle n'arrivait pas à dire tatie Laura lorsqu'elle était enfant et elle avait transformé cette appellation en Talau. Dieu que cela lui manquait. Elle se laissa aller aux larmes comme jamais cela ne lui était arrivé auparavant. Des cris de colère et des coups sur le volant accompagnèrent sa douleur. Elle les avait étouffés pendant si longtemps qu'elle n'avait jamais envisager souffrir autant. Anesthésiée par l'alcool ou le sexe, elle avait mis tout cela de côté trop longtemps. Cette enflure de Cromwell allait payer pour ce qu'il avait fait à sa famille de coeur. Il fallait que le piège soit bien ficeler et qu'il soit emprisonner rapidement.

La pluie se calmait à mesure qu'elle même retrouvait son sang-froid. Elle remarqua pour elle même que la météo rendait hommage à son humeur. Elle sortit de sa voiture, appuya sur le bouton de la télécommande pour la verrouiller puis partie en direction de la grille du cimetière. Après avoir marcher quelques minutes dans le dédale de pierres tombales, elle trouva Doc debout devant le caveau de la famille Wilson. Elle ralentit son pas et s'approcha de lui. Calmement elle prit la parole.

- Qu'est-ce que tu fous ici ?

- Je suis venu voir la famille Wilson.

- Tu ne les a pas connu.

- Tu m'en a parlé de nombreuses fois lors de nos soirées arrosées. Certes, c'était il y a des années mais je n'ai pas oublié la plaie béante dans ton âme qui porte leur nom.

- Bientôt, elle pourra enfin commencer à cicatriser.

- Laura, tu sais comme moi que ce genre d'opération peut très mal se passer.

- Oui je suis au courant.

Il se tourna vers elle, le visage sérieux. Son regard annonçait un sujet important pour lui. Depuis le temps qu'elle le connaissait, elle avait appris à repérer les moments où elle devait écouter sans moquerie ni tentative d'esquive.

- Quand tout cela sera fini, je veux que tu m'épouses.

Son sang ne fit qu'un tour. Son coeur ratta un battement. Elle se figea sur place. Elle ne savait que dire. La première fois qu'il lui avait proposé de l'épouser, elle avait refusé arguant qu'ils se connaissaient à peine et que l'amour n'était pas fait pour elle. Elle avait prétendu qu'il en trouverait une autre bien vite et que ce qu'il prenait pour de l'amour n'était rien d'autre que le fruit d'un désir ardent doublé de l'excitation de l'inconnu. Aujourd'hui, elle n'était pas sure de revenir vivante de cette mission ni de ce qu'elle ressentait pour lui. Ils se connaissaient trop bien pour qu'elle puisse donner cette excuse en retour et il n'avait jamais eu de relation durable mis à part avec elle, si tant est que leur relation puisse être considérée comme une relation amoureuse.

-Cela fait 10 ans que nous nous connaissons John. Peut-être même un peu plus. Nous avons tout traversé ensemble... Je...

- Très bien.

Il la regarda stupéfait.

- Si on en sort vivant, je me marierais avec toi.

Il scruta ses yeux à la recherche d'un indice pouvant indiquer qu'elle le menait en bateau mais il n'en fut rien. Elle était sincère. Il lui sourit, déposa un baiser sur sa joue puis s'éloigna. Laura le regarda marcher jusqu'à ce qu'elle ne puisse plus le voir et inspira profondément en fermant les yeux. Elle se tourna vers la tombe et rouvrit les paupières. Combien de temps resta-t-elle ici à fixer le granit ? Elle n'en savait rien. La seule chose qu'elle savait c'est qu'un serment muet venait d'être lié à ces morts qu'elle avait tant aimé. Elle fit demi-tour et retourna à son véhicule. La pluie avait laissé la place à de belles éclaircies, permettant au soleil de sécher l'eau. La peau poisseuse, elle reprit le volant et se rendit chez T où elle était attendue.

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