Chapitre 11
- Il faut qu'on prenne le gosse par surprise, chez lui. Insistait Doc.
- On n'a pas le temps. On ne sait pas si notre appel a été pisté. Jeta Laura à son coéquipier.
- Je sais bien ! Mais le chopper dans une ruelle ce n'est pas une bonne idée !
Ils avaient attendu que la nuit soit bien avancée pour se rendre près du dock 14. Il était assez à l'écart des autres docks et le moindre mouvement pouvait devenir rapidement suspect. Pas étonnant qu'il appartienne à Cromwell. Il fallait être extrêment prudent. Ils avaient pu obtenir quelques informations sur l'emploi du temps d'Enzo. Grâce à Gabriel, ils avaient obtenu le nom de famille du gamin. En téléphonant auprès du central de gestion des docks, ils avaient obtenu l'emploi du temps du personnel qui tenait les guérites de tous les docks, même celui du dock 14. Ce qui était étonnant puisqu'il s'agissait d'un dock utilisé par Cromwell. Après quelques questions bien senties, ils apprenèrent que les guérites étaient gérées par une entreprise privée. Ils en avaient donc conclu que Cromwell faisait pression sur la dite entreprise en plaçant ses hommes aux postes clefs dont celui d'Enzo. Il y avait de fortes chances pour que leur appel remonte jusqu'à lui. Mais ils n'avaient pas beaucoup d'options. Enzo devait finir dans quelques minutes.
Le gamin ferma le portail de sécurité après avoir laissé sortir une camionette qui était probablement chargée de marchandises. Laura résista à en faire le signalement au poste de police le plus proche. De toute façon, ce n'était pas le moment de se jeter sur ce type de butin. Et puis, elle était presque certaine que les flics du coin avaient reçu largement de quoi détourner les yeux. Cette maudite ville était corrompue jusqu'à l'os.
Un véhicule se gara sur les places de parking à proximité. La portière s'ouvrit et un type en tenue de gardien sortit. Il verrouilla sa voiture en s'éloignant. Une fois près de la guérite, il salua Enzo d'une poignée de main puis les deux gardiens échangèrent un moment dans la guérite. La relève. Laura piétienait d'impatience. Doc tenta de la calmer en lui rappelant la nécessité de garder son sang froid pour leurs amis prisonniers. Enzo entreprit de quitter la zone. Probablement pour rentrer chez lui. Cela dit, nul ne pouvait réellement savoir où il se rendait après le travail.
Laura et son acolyte vissèrent leur casquette sur la tête et suivirent de loin le jeune homme. La tension était palpable. Leur vigilance accrue leur donnait parfois l'impression d'être repérés. Il n'en était rien. Tout se passa vite. Enzo bifurqua pour se rendre dans le quartier des dockers. C'est ici que les employés des docks vivaient, pour la plupart. C'était plus facile et surtout, les logements étaient bien moins chers que dans le reste de la ville.
Alors qu'il se glissait dans une ruelle atenante à de grands immeubles de pierres, Doc et Laura se séparèrent pour le prendre en contre pied. Chacun accéléra le pas.
Enzo portait des écouteurs aux oreilles. Il avait poussé le son au maximum. Il marchait d'un pas dynamique et de temps en temps il s'arrêtait pour effectuer des mouvements de combat. Il s'imaginait combattre sur un ring de boxe. C'était un rêve pour lui. Et s'il faisait bien son travail, il deviendrait peut-être le futur champion du Boss. Alors qu'il esquissait un corchet du droit, il crut apercevoir un mouvement sur sa droite. Il stoppa son avancée et retira un écouteur. Son oeil se fit plus aiguisé. Il coupa le son de son Pod et observa alentour. Seules les lumières vacillantes des vieux lampadaires diffusaient leur halo dans la ruelle. Il se rasséréna et reprit son chemin. Il avait à peine fait quelques mètres qu'une masse lui tomba dessus !
Secoué par le choc, il n'eut pas le temps d'esquiver le coup qu'il reçut en pleine mâchoire. Il recula, se fit bousculer par derrière et failli tomber en avant. Des mains acérées accrochèrent ses épaules et lui firent faire volte-face. Il reçut un coup puissant dans le ventre. Les mains le relachèrent. Il s'effondra sur les genoux. La douleur dans le ventre était remontée jusqu'à sa tête. Il posa une main sur le sol puis releva la tête. Ils étaient deux. La lumière dans leur dos, il ne distingait pas clairement leur visage. Le ring. Voilà ce qui l'attendait. Il se releva difficilement. Puis, sans crier gare, se jeta sur ses assaillants.
Il combattait férocement. Laura tenta à plusieurs reprises de le neutraliser afin de pouvoir lui poser ses questions. Mais le gamin avait vite retrouvé son souffle. Sa hargne à les combattre s'était faite feu. Doc et Laura esquivaient, encaissaient et se défendaient. Doc vit dans le regard d'Enzo qu'il combattait pour sa vie. Il avait déjà vu ce regard lorsqu'il était sur le terrain durant son service. Ils n'obtiendraient rien de lui et il se battrait jusqu'à ce qu'ils soient K.O, ou morts. Ou bien jusqu'à sa propre mort. Coups de pied, coups de poing, techniques de boxe, techniques de combat militaire, techniques de combat de police. Tous étaient salement amochés et épuisés. Aucun ne savait depuis combien de temps le combat durait. Et puis, Enzo s'arrêta d'un coup. Il tomba sur le sol. Son corps allongé face contre terre, Doc s'approcha prudement.
- Je crois qu'il ne respire plus. Annonça-t-il.
- Vérifie ! Lui ordonna Laura paniquée.
A genoux près du jeune, il posa ses doigts sur la carotide et regarda sa montre. Après une minute, il releva la tête vers Laura. L'air contrit, il fit non de la tête.
- Non, non , NON ! Comment est-ce possible ? Explosa-t-elle.
- Je n'en sais rien Laura mais il est bel et bien mort. Dit-il en se relevant en prenant appui sur son genou plié.
Il lui prit le bras pour l'emmener loin du corps. Elle se libéra d'un coup, le visage en colère.
- Putain Doc ! C'est la merde ! On n'a pas d'autres alternatives !
Il comprenait. L'échange devrait avoir lieu. C'était le seul moyen maintenant, pour libérer leurs amis.
Le duo s'en retourna vers leur véhicule. Une fois installé, Doc passe quelques coups de fils pendant que Laura conduisait. Il s'agissait d'envoyer une équipe de nettoyeurs et de vérifier les éventuelles caméras du quartier. Il fallait absolument faire disparaître les possibles traces de leur passage.
Quand il eut terminé, il tourna son visage vers Laura. Une larme coulait sur son profil fermé. La lumière des lampadaires de la villes éclairait en pointillé l'habitacle de l'auto. Il ouvrit la boîte à gants et prit le paquet de cigarettes. Il en alluma une puis la tendit à sa voisine. Elle la prit sans rien dire. Il s'en alluma une aussi et se carra dans le fauteuil. Il était épuisé. Il se sentait vide tout à coup. Son esprit ne réfléchissait plus. Il ne savait pas quoi dire ni quoi faire. Alors il tira quelques bouffées de tabac et regarda le paysage nocturne défiler sous ses yeux. Au bout de quelques minutes, il comprit qu'ils ne se rendaient pas à l'appartement de Laura. La nuit était bien avancée. Il ne dit rien et se laisse conduire ainsi jusqu'au bord de mer. Elle avança son véhicule jusque sur une place de parking et coupa le moteur. Laura prit une autre cigarette.
"- C'est fou. Depuis que j'ai arrêté de boire, je fume beaucoup plus. Dit-elle calmement.
- Tu compenses. Lui répondit-il.
- Je ne sais pas quoi faire Doc. Reprit-elle. Les larmes avaient laissé la place à un regard fatigué.
- Nous n'avons plus le choix ma belle. Demain, nous nous rendrons sur ce fouru bateau et nous ferons l'échange."
Il lui avait pris la main comme s'il voulait la rassuer. Elle noua ses doigts aux siens et lui offrir un demi-sourire meurtri.
"- On sait tous les deux que cela va mal finir. Il ne nous laissera jamais partir vivant.
- Je sais Laura.
- Peut-être qu'il faudrait appeler les flics.
- Plus de la moitié d'entre eux vivent des billets que Cromwell leur glisse dans les poches."
Laura frappa le volant et sortit de la voiture. Il la regarda s'éloigner vers la plage. Elle avait besoin d'être un peu seule. Il le savait. Demain serait une journée qu'aucun d'eux n'oublierait si tant est qu'ils s'en sortent.
Il ne restait que quelques heures avant le levé du soleil. Doc sortit à son tour et s'approcha de Laura. Elle s'était assise dans le sable et entourait ses genoux de ses bras. Elle regardait au loin. Il lui tendit la main. Le visage de la femme qu'il aimait se tourna vers sa main. Elle prit une profonde inspiration et se laissa hisser sur ses pieds. Elle essuya le sable collé à son postérieur et ils prirent tout deux le chemin vers la voiture. Cette fois-ci, Doc prit le volant. Il roulèrent en silence jusqu'à l'appartement de Laura. Arrivés dans le petit logement, tout était calme. Tout avait été soigneusement rangé et nettoyé. Le lieu dégageait une ambiance paisible et pourtant si pesante. Dos se déshabilla et prit une douche. Pendant ce temps, Laura luttait en fixant le nightshop en bas de la rue. L'appel de l'alcool se faisait très fort. Lorsque Doc sortit, il sut. Il s'approcha d'elle et l'enveloppa de ses bras frais et humides. Elle se retourna et se serra fort contre lui. La tête posée sur son torse elle se concentra sur les battements du coeur de son partenaire. Elle se détendit quelque peu. Il lui souleva le menton et déposa un baiser léger sur ses lèvres qui tremblaient de manque et d'angoisse. Laura s'éloigna et partit se doucher à son tour. Elle resta longtemps sous le jet d'eau. Elle se sentait tellement sale. Elle aurait voulu que cette douche lave jusqu'à son âme noircie par la colère et la haine. Elle pleura et jura. L'eau froide lui fit malgré tout du bien. Quand elle sortir de la salle de bain, le canapé était déplié, le lit était fait, et Doc dormait déjà. Elle s'allongea nue à côté de lui. Il ne faisait ni trop chaud, ni trop froid. La colère avait laissé la place à un grand vide intérieur. Elle s'endormit d'un sommeil agité.
Laura se réveilla allongée sur le ventre, le visage enfouit dans son coude pour se protéger de la lumière qui pénétrait la pièce. Elle releva la tête, les yeux encore embrumés de sommeil. Doc était là, assis au bureau. Il portait uniquement son jean de la veille. Son torse et ses bras nus se mouvaient sous le regard de Laura. Plongée dans une soudaine nouvelle réalité, elle le regarda mieux. Il fumait, la fenêtre était ouverte, sa barbe naissante lui donnait un air plus bourru qu'à l'accoutumée. Il avait les traits tirés. Il étudiait un dossier. Elle s'assit sur le bord du lit, enfila une culotte et le tee shirt de Doc. Les cheveux en bataille, elle se servit un thé et s'approcha de lui la tasse à la main.
Lorsqu'il la vit s'approcher, il l'attira à lui en passant son bras autour de ses hanches épaisses. Elle posa sa main sur son épaule opposée. Ils avaient l'air d'un couple vieux de dix ans. Elle s'en rendit compte. Cette bulle temporelle semblait tellement irréelle. Dans plusieurs heures, ils allaient surement mourir et pourtant ils étaient là l'un contre l'autre à regarder le dossier de Cromwell.
"- Ca fait longtemps que tu es sur ce dossier ?
- Un peu plus d'une heure.
- Et tu as trouvé quelque chose d'intéressant ?
- Hélas non. Mais c'est un sacré morceau que tu as ici. Comment se fait-il qu'il n'est jamais été coffré ?
- La direction a voulu enterrer l'affaire car nous... J'ai causé la mort de Sonia. Et les médias le savaient. Ca a signé la fin de ma carrière et créé une occasion pour la direction de laisser passer le coche. J'ai tout gâché.
- Que veux-tu dire ?
- Cromwell a compris qu'elle était mon indic et il l'a tué.
- Ce n'est pas de ta faute !
- Bien-sûr que si Doc ! Je l'ai forcée ! Je ne lui ai pas laissé le choix ! C'était ça ou la correctionnelle ! Elle partait en couille alors, j'ai fait ce qui me semblait être le mieux à faire ! Je l'ai mise en danger tu comprends ?! J'ai tué ma filleule !
Elle s'était mise à pleurer et à crier. Doc se leva et la serra fort contre lui. Elle s'éfondra.
"- C'est de ma faute si T et Sarah sont en danger aujourd'hui !"
Il sentit son désespoir et tout ce qu'elle avait contenu se déversa comme un tsunami. Il avait mal pour elle. Il avait mal avec elle. Il décida de lui accorder ce moment de faiblesse. Il ne dit rien. Absolument rien. Et elle pleura un long moment. Elle hoquetait comme une enfant et hurlait ses larmes avec un telle force qu'il en fut bouleversé jusque dans les tréfonds de ses boyaux. Il ne l'avait jamais vu dans un tel état. Il fit de son mieux pour la consoler, l'apaiser, la rassurer. Il l'avait assise sur ses genoux sans la brusquer. Il attendait patiemment qu'elle revienne à elle.
Et puis, les larmes se tarirent. Les tremblements de son corps secoué de tristesse cessèrent. Sa respiration redevint lente.
"- Tu n'es pas responsable de actes que commettent les autres Laura."
Elle ne répondit rien. Elle se leva et lui sourit les yeux gonflés et rougit. Elle regarda l'heure et réalisa qu'il n'était pas loin de 16 heures. En reniflant bruyamment, elle fit oui de la tête.
"- Tu as surement raison Doc, mais je ne me pardonnerai jamais ce que j'ai poussé Sonia à faire."
Laura se rendit dans la salle de bain pour se rincer et s'habiller. Quand elle ressortit, Doc était prêt. Elle se demanda à nouveau à quel moment leur relation avait prit un tel tournant. Ils étaient plus proches que jamais. Elle aurait voulu lui dire de laisser tomber mais elle savait qu'il refuserait.
"- Viens, il faut nous préparer pour ce soir." Dit-elle ragaillardit.
Il acquiesça et ils sortirent.
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