Chapitre 10
Cela faisait presque vingt minutes que Laura et Doc attendaient T, Sarah et Gabriel. D'ici une heure, ils devraient mettre leur plan à execution et ils s'étaient donné rendez-vous dans ce café avant le début des opérations pour un dernier check-up. L'atmospère y était pesante. La chaleur de ces derniers jours laissait derrière elle un air poussiéreux difficile à respirer.
- Ils ont peut-être décidé de nous lâcher après mon petit monologue d'hier soir, souffla Laura en regardant sa tasse de café.
- Sérieusement John ? C'est ta conclusion ?! Bougonna Doc.
- Ou alors ils sont dans les bouchons, ironisa-t-elle.
- Quelque chose ne va pas, cingla-t-il.
Elle en était bien consciente. Son téléphone dans la main, elle composa encore une fois le numéro de Sarah. Pas de réponse. La colère et l'inquiétude montaient d'un cran par minute. Sans leurs associés, le plan ne pouvait pas être réalisé.
Agacée, elle posa brutalement son téléphone sur la table. Au même moment, la double porte du Dinner s'ouvrit. Gabriel se trouvait là, ensanglanté. Il s'avançait en se tenant tantôt sur le bord d'une table sans client, tantôt sur le dossier rembouré d'un tabouret qui tourna sur lui-même, l'envoyant par la même occasion sur un client qui maugréa en le repoussant.
Le duo impatient se rua à la rescousse du nouveau venu. Tout le monde les observait le visage emprunt de questions et d'étonnement. Pourtant personne n'osa réagir.
- Gabriel ! S'écria Laura.
Doc entreprit de le soutenir en lui passant un bras dans le dos et en le maintenant d'une main ferme au niveau du bras. Laura et Doc se regardèrent brièvement.
- Ne restons pas là John. Il faut lui apporter des soins, dit-il en s'éloignant avec le blessé.
- Je vais chercher la voiture.
Elle sortit en slalomant entre les passants et courra jusqu'à son véhicule. Elle le dévérouilla et s'installa au volant. Elle fit le tour du pâté de maison et rejoignit Doc devant le Dinner. Il l'attendait en soutenant au mieux Gabriel. Il ouvrit la portière arrière et fit de son mieux pour s'y introduire sans causer plus de dégâts au corps déjà bien endommagé de son acolyte.
Laura prit la direction du club après s'être assurée qu'ils étaient installés.
- Non John, pas au club. On va chez toi.
Elle le regarda dans le rétroviseur central. Puis, sans poser de question, elle changea de direction. Sur le trajet, Doc essaya de parler avec Gabriel.
- Hey mon vieux. Qui t'a fait ça ?
- C'est un gars... un gars d...
Il grogna de douleur quand Doc tenta de soulever des morceaux de sa chemise déchirée qui collaient à ses blessures saignantes.
- Doucement Doc, lui intima la conductrice. Il a l'air bien amoché.
Gabriel reprit.
- Ca va aller. C'est un gars... de Cromwell. Il m'attendait.
- Tu veux dire qu'il savait où tu allais ? Demanda Doc.
- Oui. Je crois...
- Putain ! Cria Laura. On est grillé. C'est foutu !
Alors qu'elle tentait de résonner, Doc s'aperçut que Gabriel sombrait.
- Plus vite Laura, il perd beaucoup trop de sang.
Elle accéléra, prit les derniers feux sans se soucier des klaxons qui l'insultaient alors qu'elle passait au feu rouge et déboula dans sa rue en faisant fuir les piétons. Elle gara sa voiture avec dextérité et coupa le moteur. Avec rapidité, elle s'élança hors de l'auto pour aider Doc à sortir Gabriel qui avait perdu connaissance.
Non sans difficultés, ils se rendirent chez Laura. Ils déposèrent Gabriel sur le sol. Doc se rendit dans la salle de bain et en ressortit avec une malle qu'il déposa à côté du blessé. Il en sortit tout un matériel médical dont Laura découvrait l'existence avec perplexité. Mais l'heure n'était ni aux reproches, ni aux questions. Doc lui donnait déjà des directives pour qu'elle l'assiste et sans broncher, elle s'éxecutait.
Une heure plus tard, Gabriel dormait sur le canapé le torse suturé, les différentes coupures sur son visage nettoyées et toutes ses différentes blessures pansées. Celui qui lui avait fait ça l'avait presque tué.
Adossés au mur sous les fenêtres, Doc et Laura fumaient. Les volutes tournoyaient jusqu'au plafond et s'écrasaient dans le silence de la pièce. Doc cracha sa dernière bouffée et éteignit sa cigarette dans le cendrier en verre. Il avait remonté ses jambes et posé ses avant-bras sur ses genoux. Abattu, il cala sa tête contre le mur. A côté de lui, Laura croisait les jambes et regardait droit devant elle.
- A quoi tu penses ? S'enquit-il.
- A quoi pourrais-je penser ? Le plan est tombé à l'eau. Gabriel a failli mourir et deux agents manquent à l'appel.
- Tu penses que T et Sarah nous ont trahi ?
- Franchement j'en sais rien. Je ne sais plus quoi penser.
Un son étouffé attira leur attention. Ils se levèrent et se rapprochèrent. Gabriel s'éveillait douloureusement. Laura lui servit un verre d'eau et Doc l'aida à s'installer pour boire une gorgée. De sa voix éteinte il les salua.
- Vous faites peine à voir les gars. On dirait que vous avez sauver quelqu'un de la mort.
Il souria péniblement en les regardant. Il savait qu'il allait devoir expliquer cette situation. Il n'attendit pas qu'on lui pose des questions.
- Est-ce que vous avez récupéré mon sac ?
Laura tourna la tête dans toutes les directions à la recherche de la sacoche. Elle était là, sur le sol. Elle se leva et la récupéra. Elle la tendit à Gabriel. Alors qu'il l'ouvrait, il explica.
- J'étais en route et un type m'a accosté. Grand, baraqué, avec des lunettes de soleil et un tatouage que j'avais déjà vu. Les sbires de Cromwell.
- Comme celui qui est venu te cogner la dernière fois ? L'interrompit Laura.
Il acquiesa. Doc lui fit signe de continuer.
- Je ne suis pas un grand sportif et il m'a vite rattraper. Il m'a coincé dans une ruelle et voilà le résultat. Avant de me laisser il m'a jeté ça.
Il sortit un téléphone de sa sacoche.
- Il m'a dit de vous le donner et que nous serions contacté dans la nuit.
- C'est quoi cette merde ! Doc se leva d'un bon.
Il attrapa le téléphone et le fouilla sous toute ses coutures. Il n'y avait rien. Pas de contact dans le répertoire. Pas de données conservées pour le peu qu'il savait utiliser ce type de matériel.
- Et T qui ne répond pas ! Etouffa Laura le visage dans ses mains.
Gabriel les interrogea à son tour et le duo lui expliqua qu'ils n'avaient plus de nouvelles de Sarah ni de T.
- Aucun des deux ne s'est pointé au rendez-vous. Ragea Laura.
- Peut-être qu'il leur ai arrivé quelque chose ? Suggéra Gabriel.
Laura et Doc se regardèrent à nouveau. Ce qui rendit le troisième quelque peu jaloux. Il avait bien conscience que c'était inapproprié mais ce regard que ses compagnons partageaient montrait bien à quel point ils étaient proches. Nul besoin d'utiliser des mots pour communiquer. Il aurait tellement voulu vivre quelque chose de similaire.
Il était presque minuit et l'estomac de Doc les ramena à une réalité plus terre à terre.
- Bon, fit-il, je crois que nous allons passer un moment à attendre. Autant le faire l'estomac plein.
Laura lui jetta un regard emplit de froideur. Cela ne lui plaisait pas de tourner en rond dans une cage ni même de se sentir piégée. Cependant, elle sentait aussi la faim la tirailler et nul doute que Gabril devait être affamé après tout ce sang qu'il avait perdu. Doc attrapa quelques billets dans le bocal près de l'entrée et sortit de l'appartement. Avec prudence, il se rendit près kebab du quartier. Il savait qu'il était tard mais le boui-boui ne fermait pas avant une heure du matin. Il y avait pas mal de clients qui venaient se restaurer après une passe. Certaines prostituées se voyaient même invitée à "dîner" pour les remercier. C'était le petit pourboire que certains clients laissaient en plus de prix de la passe. Doc attendit son tour et commanda 3 kebabs puis attendit dos au mur que les sandwichs soient prêts. Il était tendu et observait la rue et ses allées et venues. Au fond, il n'avait qu'une envie, c'est qu'un blanc bec trop alcoolisé vienne lui chercher des noises. Ses poings lui démangeaient. Il avait travaillé suffisament de fois avec T pour savoir que ce gars là ne retournait pas sa veste facilement. S'il travaillait pour de l'argent, il ne le faisait pas avec n'importe qui. Quant à Sarah, elle faisait partie de la police. Avec son caractère bien trempé, il ne l'imaginait pas balancer leur plan. Qu'aurait-elle eu à y gagner de toute façon ? En même temps, il n'en savait rien. Il avait été négligeant. Jugeant que les collègues de Laura étaient forcément dignes de confiance.
Il maugréa dans sa barbe.
Ou alors, personne ne les avait dénoncé et tout cela n'était que le fruit du hasard. Mais Doc ne croyait pas au hasard. Il en avait suivi des complots fomentés derrières les rideaux épais des alcôves de son club. Il savait comment le monde tournait. Gabriel. Cet enfoiré de Gabriel. Aurait-il pu se laisser cogner à mort pour être crédible auprès d'eux ? C'est probable. Pourtant il n'en avait pas le profil. Ou alors il cachait bien son jeu.
***
- Comment tu te sens ? Demanda-t-elle.
- Comme si on m'avait roulé dessus je dirais. Repondit-il.
Leur ton de leur bref échange donnait l'impression qu'ils parlaient d'un sujet d'une banalité affligeante.
Elle lui tournait le dos et avec deux doigts, elle écartait deux lames de store pour observer la rue. L'inquiétude se faisait doucement une place entre impatience et colère. Elle avait encore essayé de contacter Sarah mais elle tombait directement sur le répondeur.
- Toujours pas de nouvelles de nos amoureux ?
- Non Gab. Toujours pas.
Ce qui la dérangeait le plus, c'était cette agression. Et ce... Téléphone. Quelque chose clochait et elle n'arrivait pas à mettre le doigt dessus. La tension l'empêchait de réfléchir correctement.
Le télephone sonna. Le souffle court, elle regarda Gabriel qui lui rendit son regard, un éclat de panique dans les yeux. Elle décrocha.
- Allô ?
- Laura ? Fit une voix qu'elle connaissait bien.
A l'autre bout du fil, Sarah hoquetait de larmes et de petits gémissements de douleur avant qu'elle ne reprit.
- Laura ? répéta-t-elle.
- Oui c'est moi.
- Ils demandent que tu leur rapportes la copie du dossier... Réussit-elle à dire entre deux hoquets.
- Qui ça "ils" ? Sarah ? Est-ce que T est avec toi ?!
Le cri étouffé de Sarah laissa la place à une voix plus masculine et bien plus assurée.
- Laura Jonathan, écoute bien ce qui va suivre si tu tiens à la vie de tes amis.
Doc fit son entré avec les kebabs. Gabriel lui fit signe de se taire et mima un coup de téléphone avec ses doigts. Doc comprit et s'approcha doucement de Laura. Elle tourna le combiné pour qu'il entende la conversation.
- Demain, à minuit, tu te rendras seule sur le dock 14. Tu monteras à bord du San Pedro et tu déposeras sur le pont la copie du dossier que tu gardes contre Cromwell. Ensuite tu pourras récupérer tes amis.
Elle tenta de répondre lorsqu'il raccroche. En vain.
Doc distribua les kebabs avec sang froid. Gabriel les questionna du regard. Laura et Doc commencèrent à manger en silence, le visage grave.
- Vous n'allez pas m'expliquer la situation ? Demanda-t-il en attaquant son repas.
Doc le regarda puis regarda sa partenaire. Elle avala sa bouchée puis répondit :
- Pas maintenant Gabriel. Je dois réfléchir.
Doc posa la moitié restante de son kebab, s'essuya la bouche et alluma une cigarette.
- Il n'est pas question que tu y ailles seule. Dit-il en se frottant le menton.
- Tu vois une meilleure option ?
Gabriel écoutait l'échange sans mot dire.
- On pourrait faire une échange avec Gabriel ? Proposa Doc avec le plus grand sérieux.
Le concerné tenta de parler puis se ravisa et mordit dans son kebab.
- Sérieusement Doc. Tu as vu dans quel état les mecs de Cromwell l'ont mis ? S'étonna-t-elle.
Elle doutait sincèrement que Gabriel soit suffisament important pour le caïd de la pègre. En revanche, Doc n'avait pas tort. Si elle y allait seule, elle était morte. Autant se tirer une balle dans la tête tout de suite. Et puis, la vie de ses amis dépendait de ses futures décisions.
- Où est-ce qu'on a merdé Doc ? Demande-t-elle plus par désespoir que par réelle envie de savoir.
- Quelqu'un a peut-être grillé notre couverture et nous aura balancé à Cromwell.
- Mais qui putain ?!
- N'importe qui voulant te nuire, me nuire. Nous nous sommes fait un paquet d'ennemis toi et moi ces dernières années... Quant à savoir où est la faille...
Il y réflechissait depuis un moment, et la seule qu'il voyait était Gabriel.
- Je vais pisser, lâcha Doc.
Gabriel en profita pour tenter de discuter.
- Laura, je suis désolé mais je ne comprends rien. Est-ce que tu peux m'expliquer s'il-te-plaît ? La supplia-t-il.
Elle lui expliqua brièvement la captivité de Sarah et T, et le dilemme que les ravisseurs lui imposaient. Doc sortit de la salle de bain.
- Et tu voulais m'utiliser comme monnaie d'échange ?! Couina Gabriel en regardant Doc.
Ce dernier se racla la gorge et souffla sans même lui répondre.
Laura calma Gabriel. Il fallait bien admettre que la situation était complexe. Gabriel en convint et décida de faire au mieux pour les aider. Il devait se refaire une santé et il était évident qu'il ne pourrait pas les accompagner le lendemain. Il était bien trop amoché. Cependant, il leur parla du navire San Pedro et leur expliqua qu'il servait à l'acheminement de marchandises humaines. Il n'en savait pas beaucoup plus malheureusement. Mais il connaissait quelqu'un qui pouvait surement les rencarder sur le sujet. Enzo. C'était un gamin des docks que Cromwell avait pris sous son aile il y a quelques années. Gabriel l'avait rencontré un soir alors qu'il rentrait chez lui. Le gamin était venu lui transmettre un message de la part de Cromwell. Le message l'invitait à venir dîner. Etonné, il y était aller en se demandant ce que le vieux pouvait bien lui vouloir. C'était à dire qu'ils se voyaient très rarement. Finalement le repas n'avait eu pour but que de lui rappeler à qui il devait sa loyauté. Le petit Enzo, maintenant un grand gaillard, était aussi à table. Cromwell lui parlait de Gabriel comme étant son fils. Et le môme l'observait avec admiration. Le gamin avait fini par s'occuper du portail du dock 14. Il filtrait les entrées et les sorties. Et il faisait aussi du sale boulot pour le patron quand le personnel manquait. Il avait fait ses preuves et mérité sa place.
- Vous pourrez peut-être en tirer quelque chose mais soyez certain qu'il resistera. Il voue un culte à Cromwell.
Doc et Laura s'entendirent sur un nouveau regard qui rendit Gabriel jaloux.
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