« Madame Marie, que tout contrarie, qu’avez-vous dans votre jardin ?

- De la menthe, du romarin et des soucis couleur chagrin. »

« Le jardin secret », Frances H. Burnett.

Alex eut tellement peur qu’elle sursauta et tomba de l’arbre. Son coude heurta violemment le sol, la faisant gémir. Que se passait-il ? Était-ce un fantôme ? Encore ? Peut-être que quelqu’un lui en voulait ? Mais pourquoi ? Voilà une raison de plus pour quitter cet endroit.

L’adolescente attrapa en vitesse son sac et partit le plus vite possible, les bras devant son visage afin de se protéger des projectiles. La fugueuse courait à l’aveugle dans une direction prise au hasard ; seuls sa respiration saccadée et les battements de son cœur lui étaient audibles. Elle courait vite. Des branches lui fouettaient les épaules, mais elle avait tellement peur qu’il lui était impossible de s’arrêter. Ses jambes bougeaient toutes seules et Alex se demandait comment elles faisaient pour ne pas se décrocher de son corps tant ses enjambées étaient grandes. Elle trébucha soudain sur une racine dissimulée sous un tas de feuilles mortes.

Après être tombée à la renverse, Alex fit des roulades en dévalant une pente. Elle roula sur des branches et des pierres. Elle ne ressortirait pas de cette expédition sans quelques bleus et un bon mal de tête. Elle réussit à s’arrêter quelques mètres plus loin.

Elle resta allongée, et releva la tête afin d’évaluer la situation. Où était-elle tombée ? Était-elle en sécurité maintenant ? Elle se releva, attentive au moindre bruit : la pluie de glands avait cessé.

La jeune fille massa son coude durement ankylosé et regarda ses vêtements : ils étaient couverts de boue et d’herbe, tout comme ses cheveux et son visage. « Je vais me faire tuer par maman » pensa-t-elle. Mais elle n’avait aucune blessure grave, c’était le plus important.

Alexandra continua sa route plus lentement à cause de ses petites blessures, certes minimes mais qui se faisaient tout de même ressentir par moment.

Elle vit alors paraître entre les arbres, de la fumée en provenance d’une cheminée sans doute. Elle décida de la suivre quand elle sentit une agréable odeur de cuisine. Elle s’imagina alors un délicieux poulet bien grillé, accompagné d’une purée recouverte de jus.

Qui pouvait bien vivre ici, dans un endroit encore plus isolé que là où elle résidait ? Pour le savoir il fallait s’y rendre.

Elle marcha donc jusqu’à cette maison et cueillit sur le chemin, un petit bouquet de fleurs blanches d’un parfum enivrant. Peut-être que son voisin apprécierait son geste ?

C’était une jolie maison, entourée de buissons et de parterres de fleurs, que dévoila le feuillage des arbres. Voilà qui était bien ridicule : offrir des fleurs à une personne qui en possède déjà autant. Mais peu importait. Elle continua d’observer le jardin. Du linge reposait sur une corde tendue entre deux arbres. Une vieille dame sortit de la maison, une panière vide dans les bras.

- Oh, tu ne t’arrêteras donc jamais de faire des bêtises ? demanda-t-elle à son petit cocker anglais couleur gold qui la suivait.

Alexandra hésita quelques instants avant de s’avancer. Et si sa voisine ne souhaitait pas la rencontrer ? Pour le savoir, il fallait se lancer.

- Bonjour ! s’écria-t-elle en s’approchant de la vieille dame.

Cette dernière ne parut pas étonnée et lui sourit.

- Ah bonjour ! Je suppose que tu es Mademoiselle Miles une des trois enfants qui a emménagé dans le manoir hier ?

Alex écarquilla les yeux. Comment savait-elle autant de choses à son sujet alors qu’elles ne s’étaient jamais rencontrées et qu’elle venait à peine d’arriver ?

- Heu oui, c’est bien moi, je m’appelle Alexandra mais comment le savez-vous ?

Alex lui tendit le bouquet.

- C’est pour moi ?

L’adolescente hocha la tête

- Oh merci c’est très gentil, elles sont magnifiques ! Tu sais les nouvelles vont vite dans un petit village. Il est à dix minutes d’ici je suppose que tu n’as pas encore eu l’occasion de le visiter.

La jeune fille affirma que non.

- Bien, au fait, je m’appelle Annie Bartley. Je suis ravie de te connaître Alexandra.

- Moi aussi Mme Bartley.

- Oh non, appelle moi Annie tout simplement, lui demanda la vieille dame.

Mme Bartley était une femme très souriante et sa manière de parler pouvait rendre à l’aise le plus grand des timides. Son visage ridé et jovial, ne présentait aucune trace d’une quelconque fatigue et était légèrement rougi par le soleil. Sans doute devait-elle passer le plus clair de son temps dehors à s’occuper de son jardin si magnifique. Ses cheveux blancs étaient attachés en un chignon et elle portait une chemise à fleur, et une jupe bleue.

- As-tu mangé Alexandra ? Tu pourrais rester pour le déjeuner ? proposa Annie.

La jeune fille, qui s’était mise à genoux afin de caresser le petit chien, se releva et répondit :

- Je ne voudrais pas m’imposer.

- Mais non ! Allez viens, insista la vieille dame qui se dirigeait déjà dans la maison, délaissant la corbeille qu’elle était supposée remplir de linges secs.

Alex accepta avec plaisir, heureuse de faire la connaissance de cette nouvelle voisine et surtout d’échapper au grand ménage qu’avait prévu sa mère.

Elle était sur le point de rentrer quand elle entendit un bruit provenant des buissons. Elle se retourna d’un geste vif : il n’y avait rien. Rien que le bruit des branches se frottant les unes aux autres…

Elle pénétra ensuite dans la maison. L’intérieur était aussi charmant que l’extérieur qui lui rappelait les petits cottages anglais que sa mère avait l’habitude de voir dans des séries télé.

Mme Bartley pénétra dans la cuisine et mit le petit bouquet dans un jolie vase. Cette pièce était très lumineuse. Un feu dansait dans l’âtre d’une cheminée apportant à la maison une chaleur agréable. Aucun ustensile ne trainait sur le plan de travail. Comme partout dans la maison, chaque objet était rangé à sa place.

Annie invita la jeune fille à s’assoir à table. Cette dernière s’exécuta tout en se demandant ce que sa voisine avait préparé. La vieille dame sortit du four le repas qu’Alex s’était imaginé dans la forêt.

Après avoir posé le plat au centre de la table, elle attrapa les deux assiettes posées sur un meuble. Alexandra envoya en vitesse un message à sa mère : « je mange dehors, je reviens vite ».

Ce que la jeune fille ne savait pas, c’était qu’elle était sur le point de passer un déjeuner des plus étranges…

Annie s’assit à côté d’Alexandra et déposa dans l’assiette de l’adolescente une cuisse de poulet, de la purée et y versa du jus. Ensuite, elle coupa deux tranches de pain et en donna une à son invitée. Puis Annie commença à manger et Alex fit de même. Mais une question lui brûlait les lèvres et elle ne put s’empêcher de demander :

- Comment avez-vous su que quelqu'un mangerait chez vous ? Vous aviez mis deux couverts de côté sur un meuble.

- Je savais que l'une de vous allait venir faire le tour du voisinage, continua-t-elle comme pour glisser un message secret à la jeune fille.

Soudain, son visage s’assombrit et elle continua le regard plein d'inquiétude.

- Il se passe des choses étranges en ce moment : les arbres chantent de leurs feuilles, le vent souffle plus fort, nous ne sommes qu’en automne et c'est comme si toute la vallée s'était réveillée après de longues années d’hibernation. Ils seront bientôt de retour…

Sa voix n’était plus qu’un murmure. Elle se reprit soudain et demanda jovialement :

- Le repas te plaît-il ?

Alex acquiesça en repensant à ce que son hôte venait de dire. Étrange, mais peu importait, elle aurait tout le temps d’y repenser quand elle serait chez elle, enfermée dans sa chambre après que sa mère l’ait puni pour s’être absentée. Pour le moment elle voulait seulement profiter du repas.

- C’est excellent, lui dit-elle.

Elles continuèrent de manger tout en discutant des habitudes de chacune. Annie était fille unique et avait été très proche de son père. Elle avait toujours vécu dans les environs. La pauvre dame avait perdu sa mère très jeune, puis elle avait été fiancée à un soldat mais celui-ci mourut pendant la guerre.

- Alors, dis-moi Alexandra, comment trouves-tu ta nouvelle vie ici ?

Alex se sentit soudain mal à l’aise. Elle ne pouvait pas lui dire qu’elle ferait tout pour partir de cet endroit ! Et puis, qu’en savait-elle au juste, elle était arrivée la veille.

- Bien, fit-elle doucement les yeux rivés sur son assiette en triturant nerveusement de sa fourchette un morceau de viande.

Elle leva les yeux vers Annie qui la regardait avec compassion et tendresse. La tristesse et le malaise devait sans aucun doute se lire sur le visage d’Alex. La vieille dame posa gentiment sa main sur l’épaule de la jeune fille. Cette dernière était sûre qu’Annie allait lui faire un de ses discours comme « je sais ce que ça fait ... ». Non personne ne savait ce qu’Alex ressentait car personne n’était à sa place, personne n’était « elle ».

- Patiente un peu jeune demoiselle. J’ai pour habitude de dire que si quelque chose se fait, c’est pour une bonne raison. Si c’est ce que tu souhaites, tu repartiras dans ton ancienne ville. Mais je suis sûre qu’avant tu as quelque chose à apprendre ou à accomplir ici.

Alex fut touchée par l’attitude d’Annie. Celle-ci la comprenait vraiment et cette pensée lui réchauffait le cœur. En plus, elle avait peut-être raison. Peut-être que les choses pourraient s’arranger ici.

Madame Bartley se leva et débarrassa le couvert. Elle sortit ensuite un bon gâteau au chocolat recouvert de crème. Alex s’en servit trois fois avant de déclarer qu'elle ne pouvait plus rien avaler.

- Il va falloir que je rentre chez moi. Merci pour ce délicieux repas Annie.

La jeune fille se leva, prit sa sacoche et se dirigea vers l’entrée accompagnée par son hôte.

Une fois dehors Alex remercia a nouveau sa voisine :

- Encore merci Annie.

- Inutile de me remercier, protesta la vieille dame, je suis ravie… de t’avoir rencontré.

Annie l’étudia longuement tandis qu’Alex, nerveuse, se mit à triturer ses mains. Puis la vieille dame lui sourit.

- Allez, file maintenant avant qu’il ne pleuve, déclara-t-elle en le regardant le ciel qui s’assombrissait. Et n’hésite pas à revenir, je suis ravie d’avoir ta compagnie.

La jeune fille se dirigea vers la forêt et se mit en route vers sa maison. Elle hésita à repasser devant l’arbre dans duquel elle était tombée. Et si une deuxième attaque était lancée contre elle ? C’est la curiosité qui l’emporta. Elle se dirigea lentement vers l’arbre, écoutant chaque bruit de la forêt, se préparant à détaler à toute vitesse si jamais le moindre gland tombait par terre. Mais il n’y eu rien. Elle reprit alors sa route.

Elle avait à peine fait la moitié du trajet que des gouttes commencèrent à tomber du ciel gris. Alex poussa un juron et se mit à courir mais l’averse lui tomba quand même dessus. Il pleuvait à grosses gouttes et le vent soufflait terriblement fort. Les nuages aussi noirs que l’ébène, grondaient et lâchaient leurs éclairs. Il émanait d’eux une force surnaturelle qui semblait déferler toute sa rage et sa colère sur le monde. Il commençait à faire assez froid. Des gouttes de pluie roulaient sur son visage. Ses mains glacées, tremblaient. Ses muscles se crispaient. C’était impressionnant comme le temps pouvait basculer en un instant, passant d’une lourde chaleur à une brise qui vous gèle les os.

Lorsqu'elle arriva devant le petit étang, elle n’essaya même pas de le traverser et le contourna mais glissa sur la boue et s’écrasa lourdement sur le sol. Au même moment, la porte s’ouvrit et sa mère s’écria :

- Alexandra Angélina Miles rentre tout de suite à la maison !

- Super, maugréa l’intéressée. A moi la punition !

Merci d'avoir lu jusqu'ici, j'espère que ce chapitre vous a plu.

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