6 - Initiation

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La noirceur. Le vide. Tout n'était plus que néant. Etait-ce ça, la mort ?

Je me sentais toujours vivant. Je voyais mes membres, je pouvais les toucher, les bouger, je ressentais comme si de rien n'était. Sauf que je flottais dans cette abysse d'obscurité, incapable de voir quoi que ce soit.

J'avais entendu maintes choses sur la mort. Un long couloir, avec une lumière à la fin. L'expérience de choses surnaturelles, comme si la vision humaine s'était séparée de son corps et se baladait dans le monde des vivants. Aucune de ces choses ne correspondait à ce que moi, j'expérimentais.

Au loin, un unique point blanc, comme une étoile dans l'espace. Tant de questions se bousculaient dans ma tête, j'en étais devenu incapable de réfléchir correctement.
Puis, soudainement, l'étoile se mit à grossir, à grossir, à grossir... S'ensuit un gigantesque flash lumineux, tel un Big Bang emplissant l'univers de sa puissance.

Le temps de cligner des yeux, la noirceur de l'abîme fut remplacée par la blancheur immaculée. J'étais couché sur un sol se fondant dans l'horizon, comme si je reposais sur de l'air.
La tête torturée avec davantage de questions sans réponses, je me relevai. N'ayant aucun autre but, je me mis à errer dans cette dimension aussi claire que la lumière du soleil. Cette fois-ci, absolument rien dans les environs, juste du blanc, du blanc, du blanc et... du blanc. Pendant longtemps je déambulai, cherchant une issue, une structure dans ce monde étrange.

-Bonjour, Thauroji, fit une voix féminine derrière moi.

Je me retournai, et tombai sur mes genoux. La chose qui m'avait parlée n'était pas humaine, ni même humanoïde. C'était plus une sorte d'aura d'or étincelante, sans forme réelle.

-Les dieux existent... articulai-je pour moi-même, abasourdi.

-Oui, les dieux existent, confirma la dame éthérée.

-Pourquoi... Pourquoi me l'avoir... caché pendant tout ce temps ? Pourquoi ne pas m'avoir envoyé un signe ?

-Les dieux existent, répéta-t-elle. Ils ont tous existé. Mais pas dans ton monde.

-C... Comment ? fis-je, les larmes aux yeux, incapable de formuler des phrases complètes.

-Il existe davantage de mondes que le tien, Thauroji Voltar. Je t'ai choisi pour voyager entre les Archimondes, et atteindre Revaltia.

-...Re... Revaltia ?

-Oui. Un monde gouverné à la fois par les dieux, la magie et la science. Mais pour y accéder, tu devras subir une épreuve.

-Quel genre... Quel genre d'épreuve ?

-Je n'ai pas le droit de te le dire. J'ai juste le droit de t'en dire les règles. Cette épreuve te permettra d'acquérir une des magies qui composent Revaltia, et surtout de l'apprendre. Revaltia est un monde très dangereux, et tu devras savoir comment te défendre.

-Apprendre à me défendre... Cela... Cela signifie-t-il... Que je vais devoir m'entraîner contre des gens ?

-C'est une autre des indications que je peux te divulguer. Quoi qu'il arrive, tu ne devra pas blesser ni tuer des gens pour avancer. Et enfin, si un sortilège te semble nécessaire à l'Epreuve, il te suffira de prier tes Dieux et de penser très fort à ce que tu souhaites apprendre. Ce savoir te sera alors instantanément révélé, comme si tu avais maîtrisé le sortilège toute ta vie. Mais attention, si tu utilises ce moyen, la difficulté de l'Epreuve augmentera drastiquement pendant vingt-quatre heures.

-Augmenter drastiquement ?

-Je n'ai pas le droit de t'en dire plus. Mais le choix est à toi. L'Epreuve est dangereuse, et tu pourrais tout de même mourir avant d'accéder à Revaltia. Prends-tu le défi d'abandonner famille et amis, de braver des dangers afin d'atteindre un monde où tu pourras accomplir tes rêves, ou ne prend-tu pas ces risques ?

Je tombai sur le sol, tête la première. C'était trop pour moi. Mon corps avait décidé de me lâcher, pour laisser l'énergie de penser à mon esprit.

-Abandonner tout ce que j'avais... Ma famille, mes amis... Witz, Atherach, Xenthores... XENTHORES !

Je me relevai en sursaut.

-Où est Xenthores ? demandai-je à la divine apparition.

-Mon frère l'a accueilli quelques heures plus tôt. Ton ami a choisi de braver l'Epreuve. Si tu acceptes le défi, tu pourras le rejoindre.

-Mais... Et mes autres amis ? Atherach et Witz... ça me fendrait le cœur de les abandonner...

-Ne t'en fais pas, j'ai prévu quelque chose pour eux. Je n'ai plus beaucoup de temps, on en discutera à ton arrivée là-bas.

Le silence s'installa à nouveau. Le son était agréable, dans cette dimension de lumière. Aucune résonance, aucun écho. Les paroles s'envolaient au loin sans heurter aucun espace, laissant immédiatement place à un silence sans pareil.

-Donc... Je dois choisir une magie ?

-Certes. Ce n'est pourtant pas aussi simple. Bientôt, tu sera transporté au milieu de l'Epreuve. Dirige-toi vers ton désir, et la magie saura te choisir.

Avant que je ne puisse dire quoi que ce soit, la forme scintillante disparut. Je clignai des yeux, puis ravalai un cri de stupéfaction. Sans transition, j'étais agenouillé sur l'herbe d'une colline fleurissante.

Plus aucun signe de l'orage, ni même de la pluie. J'étais totalement sec, de même que le sol. Mes papiers, mes notes étaient comme neuves. Et surtout, mon téléphone s'allumait toujours, avec 98% de batterie.

J'accédai à l'application boussole pour me repérer à travers ce nouvel environnement. C'est la seule chose à laquelle pouvait servir mon téléphone...
Le décor était réparti sur les quatre points cardinaux : au Nord, une mer agitée. En me concentrant un peu, j'arrivais même à voir des icebergs flottant au loin ; à l'Est, une montagne majestueuse perçant les nuages, ravagée par les vents, la neige éternelle et la foudre qui frappait son sommet ; au sud, une montagne crachant des flammes très haut dans le ciel ; et enfin, à l'ouest, une série de grottes colossales.

"Dirige-toi vers ton désir, et la magie saura te choisir"... Des consignes étranges, mais étonnamment simples. De la glace, de l'eau, des vents, de la foudre, de la noirceur, du feu, de la lave, de la roche, de l'obscurité, des forêts... Les éléments ne manquaient pas, ici. Et dans toute cette liste, une seule sortait du lot. Mon désir...
Je m'avançai donc à pas apaisés vers l'est.

Pourquoi moi ? Sur les huit milliards d'êtres humains sur terre, pourquoi fus-je choisi ? Pourquoi fûmes-NOUS choisis, avec Xenthores ? Nous n'étions pas les plus braves, ni même les plus intelligents ou les plus sages. Et si tout ceci n'était en fait qu'un rêve ? Avais-je été finalement tué par la tempête ? Tout ceci me semblait pourtant si réel...
Mais je devais voir la vérité en face. Cette tempête aux proportions titanesques, cette dimension blanche, l'apparition divine... après tant d'années, ce fut la première fois que les dieux m'envoyaient un signe explicite, que je ne pouvais réfuter. Les dieux existent. Et la magie aussi.

Quelles que soient les épreuves que je doive affronter, je ferais tout pour accéder à un tel monde. Rien que savoir que les dieux existent m'emplissait d'ivresse. Quant à cette magie... Le monde tournait autour de moi. J'hyperventilais, probablement.

La maîtrise sur la Foudre... Un pouvoir gigantesque, au potentiel plus pratique que destructeur. Je rêvais d'avance, imaginant moult arcs électriques parcourant mes doigts, songeant à tout ce que j'aurais le pouvoir de faire. L'électricité, ce n'est pas seulement le pouvoir de taser des gens... C'est principalement de la maîtrise sur le son, la chaleur, la lumière, le magnétisme, les influx nerveux, l'électronique...

Ma rêverie prit subitement fin : la montagne, majestueuse géante de pierre, me dominait de tout son être. Comment étais-je allé aussi vite ? À vue d'oeil, il m'aurait fallu des jours pour y arriver... Pourtant, cela m'a semblé durer à peine quelques minutes.

J'entamai la montée, qui me sembla elle aussi très rapide. Il m'aurait suffi de lever le bras pour caresser les nuages, et les vents pleuraient en frôlant les rochers. J'inspirai un bon coup avant de m'infiltrer dans la brume agitée.

Le vent sifflait, gémissait à mes oreilles, telle les complaintes d'esprits de l'au-delà. La nature démontrait une fois de plus sa puissance tout autour de moi. Les rafales m'empêchaient d'avancer, me faisaient glisser, même. Pour être plus certain, je me mis à quatre pattes afin de continuer à monter sans gêne... Quoique j'aurais adoré sentir le vent de plein fouet.

Là où le trajet vers la montagne et la montée m'ont semblé rapide, le temps dans ces bourrasques paraissait comme inversément proportionnel, comme si l'horloge du Temps s'était fatiguée, à force de tourner frénétiquement. Et plus j'avançais, plus les vents devenaient forts, plus les sifflements s'accentuaient, formaient des sonorités différentes... C'est comme s'ils essayaient de me parler...

J'avais la sensation de gravir cette montagne en pleine brume depuis des heures. à chaque mètre que je gravissais, l'ampleur des gémissements s'agrandissait. J'en étais sûr, maintenant : les vents essayaient de communiquer avec moi, comme s'ils possédaient une volonté propre...
Une volonté propre... Comme des êtres vivants...Ils voulaient faire de moi leur disciple, ils m'avaient choisis... "La magie saura te choisir"...
Ainsi, les vents eux-mêmes souhaitaient m'empêcher de recevoir la Bénédiction de la Foudre.

La voix se concrétisa au fur et à mesure de mon avancée... Non, LES voix... Il y en avaient plusieurs, parlant toutes en même temps dans ma tête. Des voix faibles, mais agitées.
Certaines, pleurnichardes, m'imploraient de me laisser emporter par le courant, d'autres, plus violentes, me menaçaient. En temps normal, j'aurais pu ne pas les écouter, mais elles me paraissaient tellement tristes et colériques à la fois... Elles emplissaient mes oreilles jusqu'à m'en donner des acouphènes, et plus je grimpais, plus elles s'amplifiaient. Ce n'était plus seulement une question d'endurance physique, mais aussi d'endurance mentale...

Les voix tempêtueuses menacèrent soudainement de déchainer des tornades si je continuais ma progression. Rassemblant mon courage, j'agrippai une énième pierre, qui se décrocha du sol, me faisant presque perdre mon équilibre. Au point où j'en étais, le vent aurait très bien pu m'emporter dans les cieux au moindre instant de déséquilibre.
Mes ongles se plantèrent dans le sol encore meuble, m'évitant le moment fatal. Pile à ce moment, les voix devinrent hystériques. Derrière moi, les vents se déchaînèrent de plus belle, et je me plaquai sur le sol par instinct. Je sentis un tourbillon me passer sur le dos, avant qu'il ne s'éloigne au loin.
Autour de moi, une demie-dizaine d'autres micro-cyclones déambulaient. Si je ne voulais pas me faire emporter par l'un d'eux, il me fallait redoubler de vigilance... Mais aussi de vitesse. Ces voix sinistres dans ma tête, je n'aurai pas pu les supporter bien plus longtemps.

La traversée fut pénible. Ces voix... Les gémissements paraissaient si lugubres qu'il m'en faisaient verser des larmes, et les insultes des autres m'empêchaient d'entendre les cyclones venir. Combien de temps devrais-je passer dans ce chaos ? Quelle énergie devrais-je encore dépenser pour arriver au sommet ? Je commençais à perdre espoir.

Juste au moment où tout me semblait perdu, je perçus des flashes au loin. La foudre... Le sommet... J'y étais presque...
Plus déterminé que jamais, je dépensai toutes mes forces pour m'agripper à tout ce que je pouvais, et me tirer décimètre par décimètre vers le salut. À cette altitude, le sol n'était plus que roche à peu près lisse et sable... Les prises étaient rares, et je devais planter mes doigts dans tout ce qui était meuble pour ne pas glisser et me faire emporter par la tempête.

Les voix devinrent subitement plus fortes. Chaque insulte ébréchait mon ego, chaque complaintes ma sensibilité, chaque rafale mon équilibre. A force de râcler le sol et puis la neige, mes ongles étaient cassés, mes doigts ensanglantés, mes paumes écorchées, mes vêtements déchirés, mes genoux éraflés. Une seule chose me permettait de trouver la force d'avancer : la perception de plus en plus forte des éclairs, celle du tonnerre qui, peu à peu, recouvrait les injures et lamentations.

Mais quelles que soient ma ténacité et ma résistance, les esprits des zéphyrs et alizés se jouaient de ma personne. Ils étaient devenus excessivement intenses et despotiques. Chaque pas de plus que j'accomplissais vers le sommet, ces agresseurs s'amusaient à me faire régresser du double. Plus je faiblissais, plus les phonations se redéfinissaient. Ces lamentations se transformèrent en formulations d'espoir, l'espoir d'enfin me transporter vers les cieux ; tandis que ces mugissements et vociférations devinrent dérisions et persiflages, dans le dessein de me faire définitivement céder.

J'étais vaincu. Frissonnant, infoutu de mobiliser mes biceps, infoutu d'avancer, de penser, de résister. Leurs discours prirent le dessus. Ils avaient réussi. Réussi à écraser ma conscience.
Parmi les bourrasques, je me laissai tomber. La foudre n'était donc pas à ma portée... Toute ma vie, je me rappellerais de mon échec, de mon abandon à suivre mon rêve... Les tornades s'avançaient à l'unisson vers mon corps, prêtes à fusionner.

Les vents prirent soudainement un ton plus apeuré, plus tremblant, tout en s'agitant de plus belle. Un nouveau spectacle de son et lumière se produisit à mes côtés, causant à l'air de frémir et à la brume de fléchir. Un arc électrique se figea devant mes yeux, comme pour m'inciter à continuer... Mais je n'avais plus la force.

L'arc électrique s'approcha de moi. Les aboiements venteux reprirent de plus belle, faisant flancher mon esprit, mais pas mon corps. Incapable de baisser la tête, mes yeux fixaient l'apparition fulgurique... Je levai mon bras, désespéré de ressentir la caresse des éclairs. Les rafales me repoussaient, mais je devais trouver la force de faire ce dernier geste...

Mes doigts frôlèrent l'arc de foudre. L'électricité produisait une étrange chaleur dans tout mon bras et une partie de mon corps... Je jouai avec, tandis que cet éclair amical me tirait de plus en plus vers la cime, comme pour m'aider dans ma tâche. Ma tête n'était plus qu'un chaos incompréhensible de rugissements et de lamentation, noyant tout mes sens dans la brume...

Et puis, d'un coup...
tout s'arrêta.

Plus aucun vent, plus aucune voix, juste les terribles abattements de la foudre et du tonnerre, à approximativement treize mètres de ma situation, impactant ponctuellement la crête martyrisée.

Les nuages s'étaient dégagés. La troposphère avait été crevées, et les neiges éternelles atteintes. Tentant d'ignorer les acouphènes et engelures, je goûtai à ce silence marqué de coups de tonnerres réguliers. La lune se dressait fièrement au-delà du humble nuage sombre, et la fierté des étoiles étincelait dans le firmament.

Après une telle épreuve, je me sentais prêt. "Dirige-toi vers ton désir, et la magie saura te choisir". Il ne me restait apparemment plus qu'à me diriger vers le pic, et me laisser frapper par le feu du ciel.

Ce fut d'un pas assuré que je franchis la grosse dizaine de mètres qui me séparaient du point culminant. Arrivé là, je me tint debout, sans broncher, levai les mains vers le ciel, et inspirai un grand coup avant de hurler :

-ZEUS ! FRAPPEZ-MOI DE TOUTE VOTRE PUISSANCE !

Ce fut mes dernières paroles avant que je ne fusse frappé une fois de plus. Quand est-ce que ces attaques allaient s'arrêter ? Peut-être jamais. Et sans doute était-ce une bonne chose, à présent.

Thauroji, mage de la foudre...

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