9 - Violence

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Je ne paniquai véritablement que lorsqu'une autre flèche s'abattit à mes pieds. Par réflexe et sans doute sous l'effet de la peur, mes mains s'enveloppèrent d'arcs électriques. Je ne savais quoi faire ! Trop apeuré pour fuir et pour combattre, j'en étais réduit à la paralysie. Malgré la noirceur de la nuit, je distinguai un troisième trait, directement dirigé vers ma tête.

J'eus un automatisme de protection, et je plaçai mes bras devant mes yeux. Je m'attendais à tout, de la souffrance à la mort, voire tous les sens en alerte rouge ; la sensation de douleur, le goût de fer, la vue du sang, l'entente de mes propres cris de douleurs, seul l'odorat aurait été épargné... Mais je ne m'attendais pas à sentir des crépitements sur ma peau et l'ozone de l'air, entendre l'explosion et voir la lumière à travers mes paupières.
Devant moi gisait une pointe de flèche seule. De la hampe et des plumes qui y étaient associées, il n'en restait apparemment que de la poussière.

Je puis réitérer lors de la flèche suivante, que je remarquai au dernier instant possible. De mes mains, tendues en signe de bouclier, surgirent un unique éclair qui frappa le trait de plein fouet et le détruisit sur le coup.
Je regardai mes mains. Comment était-ce possible que de si insignifiantes choses puissent être responsables d'autant de potentiel de destruction ? Tout ceci me dépassait. Quoi qu'il en soit, à la lointaine orée de la forêt, le responsable de ces tentatives d'assassinat courait en ma direction. Il était temps d'arrêter d'avoir peur. Il était temps de se Battre. Je regardai mes doigts une fois de plus, avant de pointer mon bâton vers le ciel.

-PUISSE TES FOUDRES RÉSONNER DANS L'ÉTERNITÉ ! Hurlai-je, comme une prière à Zeus, avant de laisser mon esprit divaguer.

Je restai stoïque, pendant que mon adversaire, au loin, s'élevait dans les airs, tel porté par les vents. Mon bâton prêt à frapper, mes narines emplies de l'odeur d'ozone, les électrons dans l'attente de l'action, je découvrais une partie de moi-même qui ne désirait que se battre furieusement pour sa survie. En temps normal, j'aurai réalisé ce que je faisais et je me serais calmé. Mais pas là. L'idée de cette personnalité combattive cachée au plus profond de moi me faisait au contraire rire et sourire, confortait ma folie.

-JE T'ATTENDS ! fis-je, après avoir paré par les éclairs un nouveau projectile. MONTRE-MOI CE DONT TU ES CAPABLE !

L'archer se posa à une dizaine de mètres de moi et encocha une nouvelle flèche. Avant qu'il ne puisse la décocher, j'envoyai un éclair pour l'aveugler. Profitant de son état sonné, je fonçai vers lui, bâton prêt à frapper. Il répondit in extremis à mon coup en parant à l'aide de son arc, et en profita pour éjecter mon bâton de mes mains.

Mon antagoniste provoqua une rafale qui me propulsa loin de lui. Maintenant qu'il y avait de nouveau une certaine distance entre nous, il put de nouveau encocher un trait...
Dans la rage du combat, un éclair assourdissant sortit de mon annulaire et frappa l'arc de plein fouet. Les cheveux de mon adversaire prirent soudain feu, et je remarquai que la corde de son arme s'était cassée. Lui étant assommé, c'était le temps parfait pour asséner le coup de grâce... Mais ce dernier sortilège m'avait vidé de mon énergie, et j'hyperventilais en suant abondamment. Ne fut-ce que me relever aurait été un calvaire...

Il reprit ses sens bien avant que je ne me repose suffisamment. Poussant un cri de guerre, il dégaina une dague alors que je me remettais sur pieds, animé par une rage que je ne me connaissais pas. J'eus assez de force pour électrifier mes mains, et ainsi commença le plus ridicule corps-à-corps jamais connu.

Moi, j'étais trop fatigué pour combattre, et lui, trop groggy. Et si moi, j'étais effrayé par sa lame, lui n'osait pas trop m'attaquer, par peur de subir un coup de jus en retour. Pour me défendre, je n'avais même pas assez d'énergie pour esquiver, j'en étais donc réduit à essayer d'attraper le tranchant de son couteau de mes mains nues. Et à chaque fois que j'y arrivais, il hurlait de douleur. Il essaya bien de me déstabiliser avec les vents, mais cela n'était pas très efficace...
Ce petit cirque sembla durer pour une éternité. Une éternité durant laquelle je regagnai paradoxalement mon énergie.

Enfin, l'archer décida qu'il était temps de sortir le grand jeu. Il s'éloigna de moi en un coup de vent, et invoqua un ouragan. Mes pieds quittèrent le sol alors que je m'envolai de manière chaotique vers les cieux. Comme pour rendre notre combat plus dramatique, les nuages affluèrent, coupant toute vision des étoiles et de la lune. C'est là que je songeai à un moyen de le battre...
Si je peux invoquer la foudre et la commander, est-ce que cela signifiait que je pouvais contrôler les éclairs directement des nuages ? Je me devais d'essayer, l'Archer préparait sans doute quelque chose...

Comment pouvais-je le faire ? Comment créais-je de la foudre, au fait ? Comment pouvais-je définir mes sortilèges ? Je les imaginais. Oui, c'est ça. Je songeai à la foudre et à comment je souhaitais la contrôler, et les éclairs m'obéissaient. Et plus j'étais enragé, mieux ils m'obéissaient. Alors si je voulais commander au feu du ciel, devais-je aussi imaginer un arc céleste descendre vers la terre ?

Je me concentrai, malgré les vents qui jonglaient avec mon corps. Je vis dans mon esprit une nuit, avec mes parents, où la foudre s'était tant galvanisée dans les cieux que c'était comme si les Dieux eux-mêmes avaient souhaité me transcrire un message en Morse. Je me rappelai mon admiration pour cet orage aux mille feux, quoi qu'il ait pu ressembler à un léger coup de jus face à ce que j'avais vu en entrant dans l'Epreuve.
Bientôt, les premiers tonnerres se firent entendre et les torrents se déversèrent sur les sons du cyclone. J'ouvris les yeux. Entre les gouttes, les ténèbres nocturnes et les éclairs, je ne pouvais pas distinguer grand-chose, mais je pus discerner l'Archer avoir des difficultés à m'atteindre. Il tenait quelque chose fermement dans sa main... Une flèche ?

Je me concentrai à nouveau, les yeux ouverts cette fois-ci, tentant de garder le plus possible mon regard sur mon ennemi. En l'espace de quelques minutes, je remarquai que la fréquence des éclairs augmentait graduellement. J'essayai bien d'imaginer un arc sortir des nuages et frapper ma cible, mais cet ordre ne fut pas exécuté. L'archer, lui, commençait à devenir à l'aise dans cet environnement et chargeait fréquemment en ma direction, pointe de flèche vers l'avant. Des attaques que j'étais incapable d'esquiver, mais ce que je pouvais faire, c'est riposter avec plus d'éclair en provenance de mes mains. Et cette tâche devenait plus difficile au fur et à mesure que l'Archer prenait confiance en la tempête.

Les éclairs devinrent plus fréquent, et leur position de plus en plus proche... Et vint le temps où la foudre frôla mon ennemi. Apeuré, il comprit que s'il ne faisait pas quelque chose rapidement, il subirait quelque chose de bien plus punitif qu'une décharge normale. Il arrêta de voleter autour de moi pour m'embrocher, et manipula les vents pour écarter les nuages au-dessus de sa tête. Plus de nuages, plus de problèmes ! Sauf que les foudres ne cessèrent pas leur frénésie progressivement plus rapprochée.
Lui et sa zone céleste sûre s'éloignèrent, pour encore plus de sécurité. Je devinais son plan : attendre que je me sois fatigué, pour mieux me frapper. Mais comme je le distinguai s'éloigner, je réalisai que le centre de ce périmètre fulgurant hyper-actif... C'était moi. Plus le temps passait, plus la foudre se rapprochait de moi et de moi seul. Le ciel, la forêt, le volcan, tout n'était qu'un univers en binaire ou régnait successivement le noir et le blanc, jusqu'à ce que je me prenne pour aveugle et fou.

Ces avatars de la puissance divine furent insensiblement suffisamment proches pour me frapper une fois. Puis une autre. Puis encore une autre, et une autre, jusqu'à me foudroyer pendant plusieurs secondes secondes d'affilée sans aucun arrêt. Et alors, sans prévenir, tout s'arrêta. La pluie, le tonnerre, les éclairs, tout sauf l'ouragan. Le calme était presque revenu.

L'Archer, apaisé que tout soit fini et croyant que j'avais dépensé tout ce que j'avais, revint à la charge, pendant que je contemplais mes bras.
Dans ma peau étaient stockés des dizaines, des centaines de milliers de volts, qui ne demandaient qu'à se décharger.

Sans aucune émotions, je réussis à me stabiliser dans tout ce tumulte aérien et à diriger mon bras droit vers l'Archer. Là, je tendis le pouce, l'index et le majeur, repliai mon auriculaire et dirigeai à la fois ma paume et mon annulaire vers l'ennemi.

-Meurs ! dis-je, juste avant qu'un ultime éclair ne traverse l'espace pour tuer l'autre d'un seul coup.

Les vents se calmèrent, et la gravité me lança inéluctablement vers le sol. A peine avais-je atteint la moitié du chemin que je sentis quelque chose prendre mes omoplates et alléger ma chute... Je n'avais pas la force de regarder quoi.
Je tombai lourdement sur une pierre volcanique, sortant de ma cascade avec à peine quelques plaies et bosses. A quelques pas de moi, le corps consumé de l'Archer gisait. C'est seulement en voyant le cadavre que je réalisai mes actes avec horreur.

Pourquoi l'avais-je tué ? Eh, j'imagine que l'instinct de survie est plus fort... Mais pourquoi avec autant de violence ? Pourquoi n'avais-je pas une seule fois essayé de parler avec lui, de clarifier les choses ? Un sentiment de culpabilité m'envahit. J'avais tué quelqu'un... Et j'espérais vivement que ce soit la dernière fois.

Alors que des gouttes salées atteignirent mes lèvres, le sol trembla et le volcan explosa. J'eus la force de regarder vers le cratère... Au-dessus du puits magmatique, un L de flammes instables se dressait de manière menaçante. Et, juste au bord du gouffre, je devinai la silhouette d'un homme... se faire exploser. Mais l'instant d'après, je devinai une autre explosion de feu dans le ciel, et encore une autre. Je remarquai la silhouette de l'homme et son symbole ardent se déplacer entre chaque explosion, comme s'il utilisait la force de propulsion du feu pour sauter dans les airs...
Au-dessus de moi, le symbole d'arc nébuleux de l'Archer finissait de se faire désintégrer par les foudres du mien. Et ce nouveau personnage explosif se dirigeait en plein vers le théâtre de notre ancien affront...

Au vu de la menace que constituait ce maniaque des explosifs, du rire de plus en plus distinct qui détonait entre chaque déflagration, je trouvai plus sage de fuir. Avec difficulté, je me mis sur mes jambes, et me traînai en direction de la forêt. Ce rire maniaque, ces pétarades me rattrapaient largement...

Puisant dans mes dernières réserves, j'accélérai vers l'orée de la forêt, alors que je pouvais déjà sentir les radiations de chaleur des explosions dans mon dos. Je m'effondrai sur le sol, non loin des premiers arbres, et sombrai dans la noirceur la plus totale. Je me rappelle m'être dit que ce silence avait été comme une délivrance pour mes oreilles, après tout ce chaos...

Lorsque je fus réveillé par des rayons de soleil, j'étais sain et sauf dans la forêt, près de la même mare vers où j'avais été guidé par des buissons de baies rouges, la veille. Les haies de myrtilles avaient disparus ; au lieu de ça, j'avais été placé dans une position telle que je puisse tenir sur mon torse une pomme, quelques noix et ce qui semblait être une cuisse de lapin cuite. Je ne me fis pas prier pour les engouffrer rapidement. Enfin de la viande, après toutes ces choses ! J'avais bien besoin d'un repas complet. 'manquait plus qu'un féculent, mais j'imagine qu'il fallait pas trop demander...

J'eus tôt fait de finir de manger et de boire. Lorsque ce fut repu, je mis mes pieds dans l'eau pour les relaxer et réfléchir à voix haute à ce qui s'était passé.

-Purain, j'ai tué quelqu'un... Non ! Bordel, arrête d'y penser, Thor' ! C'est lui qui t'a attaqué, tu as juste agi en auto-défense. Mais quand même, jamais j'ai ressenti une telle violence envers quelqu'un... Enfin, tu sais que t'as eu certains moments du genre, mais... Jamais jusqu'à avoir des envies de meurtre !
Bon, bon, bon... Plus sérieusement, il faut qu'on réfléchisse à tout ça. Ce mec, CES mecs --il faut pas non plus oublier le mec qui volait d'explosions en explosions-- ces mecs donc, étaient sûrement des participants à l'Epreuve. Nom de Zeus, si on m'avait dit que c'était un "hunger games", j'aurai jamais participé ! Si la déesse m'avait dit qu'il ne fallait pas tuer des gens, alors pourquoi ce mec était si déterminé à me buter ? Ou alors, soit la déesse m'a menti, ce qui serait débile, soit ce mec n'est pas une personne, ce qui est totalement ridicule. Ce mec, il avait une personnalité ! Il avait des émotions ! Il avait une tactique ! Si c'était pas quelqu'un mais une sorte d'intelligence artificielle, de robot fait pour nous tester, il n'en aurait pas, de personnalité... à moins que la déesse les ait créés juste pour ça ? Ils seraient des sortes de larbins, des humains qui n'ont jamais eu de vie ? C'est pour ça que la déesse a eu une intonation bizarre lorsqu'elle a dit "Tu ne devras pas tuer des gens" ?

Je restai silencieux alors que je regardai des petits poissons affluer vers mes orteils et commencer à me les chatouiller. Une sensation qui me relaxe.

-En attendant, continuai-je à monologuer, vrais ou faux humains, Xenthores s'est apparemment aussi affronté quelqu'un. Celui qui avait un symbole de pioche. J'avais vu le feu de son X se déferler sur l'outil, comme quand mon sigle désintégrait le symbole de l'Archer. Donc... On a rencontré quatre personnes. Trois offensives et une pacifique. EH ! D'AILLEURS, QUEL QUE SOIT TON NOM, MERCI, HEIN !
Bref. Il y a à peu près une grosse dizaine de personnes, si le nombre de balises correspond bel et bien au nombre total de participants. Parmi ceux-là, une pacifique plus trois offensifs, dont deux ont été... neutralisés. Cela ne fait toujours qu'une dizaine d'ennemis dont on ne connaît pas les motifs... Certains pourraient être aussi sympas que la Dame Végétale, et les autres...

Je fis une pause et regardai mon reflet dans le miroir d'eau.

-...Les autres pourraient nous égorger durant notre sommeil... Mais, j'y songe, pourquoi... Si c'est aussi facile que ça de nous repérer durant le soir, avec ces balises, pourquoi... Pourquoi personne n'a l'air de se traquer ou de simplement se chercher, la nuit, avec ces balises ? Tous les participants pourraient juste se rassembler, et les vindicateurs pourraient se poursuivre et se tuer mutuellement... Mais, jusqu'ici, personne ne s'est rassemblé et seuls moi et Xenthores avons tué. Personne d'autre. C'est comme... Un pacte. Un pacte de non-agression. Oui, c'est ça... Un pacte de non-agression entre nos opposants, qui les forcerait à rester individuels...

Je me tus. Mon cerveau fonctionnait à vitesse "grand V". Tout ceci me dépassait complètement. Cette déesse était-elle seulement capable d'invoquer des larbins ? Pourquoi avions-nous été choisis pour l'Epreuve ? Quelle est la nature de la magie, et de quelle manière permet-elle de contrôler les éléments ? Pourquoi donc cette Dame Végétale continuait-elle de m'aider sans montrer le bout de son nez ?
Bientôt, ces questions changèrent de nature. Je me dirigeai progressivement vers le sujet du futur. Et si je mourais dans l'Epreuve ? Avais-je la force pour survivre ? Combien de temps la Dame Végétale allait-elle continuer à m'assister ?

-Une dizaine de participants... Une dizaine de participants, parmi lesquels au moins cinq serait heureux de nous chasser à vue... Ma vie pourrait prendre fin juste là, maintenant, si quelqu'un m'épiait à travers les branches ! La nuit, il n'existe aucun endroit dans lequel je suis complètement sûr... Je pourrais m'endormir un soir et ne jamais me réveiller...

La moutarde commençait à me monter au nez.

-SALOPERIES ! hurlai-je alors que ma frustration explosait. J'en ai marre. J'en ai marre d'avoir peur. J'en ai marre de paranoïer en tremblant dans mon coin. Ce qu'il me faut, c'est rejoindre Xenthores, et au plus vite ! Si je suis avec Xenthores, on pourra veiller l'un sur l'autre et faire des tours de gardes pendant les nuits. Et s'il y a un seul mec qui ose nous provoquer, on sera deux contre un.

Mais voilà, je dus me rendre à l'évidence : peu importe ma vitesse, Xenthores restait plus rapide et couvrait bien plus de distance que moi. Je pourrais le rejoindre, néanmoins cela me prendrait plusieurs jours... Et il me fallait le rejoindre le plus tôt possible.

-Réfléchis, Thauroji, réfléchis ! me dis-je. Mes talents, ce sont la foudre et la lumière. Comment pourrais-je voyager avec la foudre et la lumière ? Nom de Zeus... Avec la magie de l'Air, comme l'Archer, j'y serais en moins de deux ! Le mec aux explosions a prouvé qu'on peut se déplacer très rapidement avec le feu ; et avec la terre, j'aurais peut-être pu... je sais pas... faire léviter une parcelle de roche pour en faire une sorte de planche de surf ! Mais avec l'électricité et la lumière ?

Je songeai à deux choses : premièrement, "The Flash" dans l'univers de "DC comics", un homme capable de se déplacer à la vitesse de la foudre... Et ma deuxième idée, les voyages à la vitesse de la lumière.

Je sortis les pieds de l'eau, remis mes chaussures, et tentai de faire le vide autour de moi. J'essayai d'imaginer mon corps se transformer en photons pour pouvoir traverser l'espace à la vitesse de la lumière... Rien n'en ressortit. J'étais trop perturbé pour ne fut-ce que faire le moindre sortilège luminique mineur.
Alors je m'en remis au plan B, et je déversai le cri de toute ma frustration dans la futaie. Instantanément, je sentis ma colère et ma rage de vivre prendre le dessus. Je continuai à me parler à moi-même, à m'insulter moi-même ainsi que ce fichu endroit, jusqu'à atteindre un stade d'énervement conséquent. Là, je pris mon bâton et le balançai contre un tronc vigoureux, fracturant mon outil en deux. Puis je m'assis sur une roche près de la cascade et me mis à m'imaginer courir à la même vitesse que Flash.

J'essayai pendant une ou deux heures, alors que ma frustration croissait sensiblement, en dépit de ma concentration. Je finis par abandonner et à me coucher sur le sol couvert de feuilles orangées, tristes restes de l'automne.

-J'aurais jamais dû accepter de venir ici, me murmurai-je.

Je repensai à la déesse. Elle aurait au moins pu m'en divulguer plus... J'aurais peut-être dû lui poser plus de questions... Que m'avait-elle dit de plus, encore ? Mes souvenirs étaient brouillés. Dans l'excitation de voir un être supérieur pour la première fois, je n'avais pas été très concentré. Elle avait bien dû me dire un conseil, un outil pour m'aider...
Une étincelle survint dans mon esprit. Elle avait bien parlé de quelque chose, un truc pour apprendre un sortilège...

C'était ça qu'il me fallait. Faire un sacrifice à Zeus.

Le soleil avait entamé sa descente dans le ciel lorsque je revins de ma toute première session de chasse. Je m'étais taillé un autre bâton, et j'avais dégoté un sanglier en train de manger des racines. J'avais abattu la bête en un éclair, et entreprit de le charcuter.

Autant le dire, je n'ai aucun talents ni en biologie, ni en boucherie, je ne savais donc pas déterminer quel était le meilleur morceau, et encore moins reconnaitre les organes. Mais si ce n'était que ça... J'ai bien failli vomir deux fois, alors que je fouillais dans ses entrailles encore chaudes... Après quelques minutes, il me sembla avoir trouvé le foie, l'organe que les Grecs utilisaient pour la divination. Si c'est pour brûler quelque chose, autant que ce soit un organe que les grecs utilisaient pour contacter les Dieux...

A l'aide de mes remarquables talents en survie --hum, hum--, je rassemblai du bois et allumai un feu du premier coup --hum, hum-- à l'aide d'étincelles. Ceci fait, je plaçai le foie sur le brasier et regardai la fumée partir dans les airs, alors que je réfléchissais à quoi dire au Dieu du Ciel.

-Hem... Zeus tout-puissant, acceptez ma prière ! improvisai-je en levant les paumes vers le ciel. Et que vos foudres puissent résonner dans l'éternité. Je vous en supplie, prêtez-moi votre force ; donnez-moi la volonté de surpasser les défis qui vont s'offrir à moi ; et faites-moi don d'un moyen pour rejoindre rapidement mon ami. J'en ai besoin. Nous en avons besoin. Si on ne se réunit pas rapidement, on va tous les deux crever, ici...

Je fus gêné lorsque je ne trouvai pas de fin à mon improvisation. Alors je baissai mes bras, fermai les yeux et attendis la réponse.

Le verdict arriva plus vite que prévu. Et je m'attendais pas du tout à ce genre de réponse-là non plus.

De nulle part, j'avais été frappé par la foudre.

Je rouvris les yeux juste après, pour voir autour de moi un spectacle consumé : L'éclair avait été si fort que tous les arbres autour de moi en avaient souffert... Tandis que moi, je me sentais parfaitement bien.

En fait, au lieu de douleur, ce furent des connaissances qui affluèrent en moi. J'avais acquis le savoir nécessaire pour pouvoir transformer les particules de mon corps en électrons. Regardant ma main, j'essayai de dématérialiser mon petit doigt, une tâche face à laquelle je n'ai eu absolument aucune difficulté. Après un simple picotement, le bout de mon auriculaire avait disparu, laissant juste un moignon rouge parcouru d'arcs électriques. Puis j'inversai le phénomène, et mon moignon se régénéra aussitôt.
Progressivement, je testai ce pouvoir, en dématérialisant d'abord ma main, puis mon bras, puis mes jambes, puis carrément ma tête... J'en ressortais toujours indemne, comme si j'avais maîtrisé l'art de la dématérialisation électronique depuis toujours.

A quelque mètres devant moi, il y avait un rocher. Il était temps de mettre mes connaissances en pratique. Je fixai la pierre, et entreprit une dématérialisation complète. Ma vision devint sombre, je sentis à peine ma transformation, et n'entendis qu'un vague tonnerre... Quand je repris mes sens, j'étais sur le rocher. Et là où j'étais auparavant, il n'y avait plus qu'une trace noire sur les feuilles mortes.

J'avais réussi... Grâce aux Dieux, je pouvais à présent me déplacer à une vitesse folle sous la forme d'un potentiel électrique...

Je me tirai de ma rêverie. Quelque chose ne tournait pas rond. Lorsque j'avais commencé le rituel, le jour était encore loin d'être achevé, pourquoi faisait-il nuit noire ? Je me téléportai sur la cime d'un arbre, manquant au passage de le mettre en feu. Dans le ciel, la taille de la lune avait décuplé, et les douze symboles se dressaient, plus menaçants que jamais.

Subitement, les balises s'éteignirent une par une, jusqu'à ne laisser que le X ardent de Xenthores au loin, et le E boisé de la Dame végétale à proximité... Mais même ces deux balises finirent par disparaître, après quelques instants.
Au-dessus de moi, une vive lumière rouge m'aveugla. Et tout ce que je pus voir en levant la tête fut une gigantesque lune de sang, irradiant la terre de son aura maléfique, cachant les étoiles.

Le ciel devint écarlate alors qu'une voix de femme hurla à quelques pas en-dessous de moi ; Le sol trembla ; une créature humanoïde gigantesque naquit de la forêt ; des explosions se firent entendre ; les vents s'agitèrent ; et de gargantuesques créatures surgirent de la mer.

Un rayon de lune grenat provint du ciel et m'enlumina tel un projecteur. Pile au même moment, l'humanoïde titanesque tourna son crâne démesuré vers moi, et il me sembla entendre s'approcher des explosions à une vitesse effrayante... Et en-dessous de moi, la voix de femme grognait, comme si elle se retenait de faire quelque chose.

-COURS ! cria la femme, remarquant que je ne réagissais pas. MAINTENANT !

Mais dans quel merdier m'étais-je fourré ?

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