10 - La Lune de Sang

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Il n'a jamais été facile pour moi de répondre "non" à une demande. Surtout posée si calmement, avec autant de tact et d'amabilité...
Cependant, au vu de la situation, la confusion me paralysait et je n'ai réagi que lorsque la Dame Végétale m'attrapa la jambe. Tout ce que je discernai avant ma dématérialisation furent ses yeux dépourvus d'iris et de pupilles, brillant à la lumière rouge de la lune...

Je me retrouvai sur une plaine, seul mais encore plus parano que jamais. Le géant, que je devinai être une statue de métal brillant à travers la faible lumière ambiante rouge, enjambait inéluctablement arbres et collines, faisant trembler la terre à chacun de ses pas. Ce Golem n'eut même pas le temps de creuser un quart de la distance entre nous qu'un cri barbare me surgit dans le dos, me laissant le loisir d'observer un guerrier charger vers moi, une épée baignée dans les flammes à la main.

'Pas le courage pour affronter ça... Je visai mentalement les neiges éternelles de la Montagne de l'Est et m'y téléportai. Il y faisait froid et je suis d'un naturel frileux, mais la foudre me réchauffait et j'avais une vue sur l'entièreté du terrain... Quiconque voudra m'atteindre aura affaire à des pentes escarpées. D'un côté, un dénivelé difficilement franchissable, de l'autre, une falaise... Mais il ne fallait pas que je me laisse flouer. S'il existe des mages de la terre, ici, ils auraient très bien pu m'assaillir depuis même le sol... Et puis j'avais eu la preuve que les mages de l'airs pouvaient montrer de très grands talents de vol, donc il fallait aussi que je surveille les cieux.

Je me mis à réfléchir tout en scrutant précautionneusement les environs. Je n'étais en sécurité nulle part... Où que j'aille, ce rayon lunaire rubis me suivait, comme un projecteur mettant le danseur que j'étais sous ses feux... Je ne pouvais pas me cacher, je ne pouvais pas me battre contre autant d'ennemis, je ne pouvais sans doute pas faire le mort... La seule solution qu'il me restait : la fuite. Heureusement, je ne pouvais pas mieux rêver dans ce domaine qu'un sortilège de téléportation à la vitesse de l'éclair. Je pouvais juste sauter de région en région dès que quelqu'un m'approchait, et attendre la prochaine fois. Il fallait juste que je fasse attention à économiser mes forces... Rien que le fait d'une téléportation depuis la base du volcan au sommet de la montagne m'en avait mis un coup.

Ces pensées me distrayèrent un moment dans ma surveillance. Lorsque je m'en suis rendu compte et que je me retournai pour vérifier la falaise, je crus y voir une tête humaine se baisser à la va-vite... Je cherchai mon bâton, mais me rendis compte que je l'avais perdu. Alors j'électrifiai mes mains et me dirigeai vers l'escarpement.
Il me manquait encore quelque pas à franchir lorsqu'une figure sombre surgit du vide, couteau à la main, en essayant de me trancher la gorge. Je me téléportai à nouveau après sa tentative d'assassinat ratée...

Vingt-quatre heures. Vingt-quatre heures durant lesquelles j'ai rencontré presque tous les opposants. Je dis bien "presque," parce que sur les douze symboles, les douze balises célestes, je n'ai rencontré les propriétaires que de sept... Enfin, dans un premier temps.

Donc... Par où commencer... Par celui qu'on a déjà rencontré, tiens ! Je tiens à prévenir, je leur ai tous donné un petit surnom. Et celui-là, ce mage du feu-là, je l'avais appelé "l'Artificier". Pourquoi ? Parce qu'il avait tendance, quelle que soit la situation, à tout casser à la pyrotechnie. Il vole en utilisant des explosions, il donne des coups de poings qui font des explosions, il aveugle avec des spectacles d'explosions, partout où il passait on sentait le soufre et le bois brûlé... C'est à se demander s'il n'était pas sponsorisé par Michael Bay !
A vrai dire, c'était peut-être l'ennemi contre lequel j'ai eu le moins de problèmes. C'est bien simple : on l'entend venir à des lieues à la ronde !

Je n'ai pas non plus eu de problèmes avec le second mage du feu, le Guerrier. Bien qu'il bénéficiait d'une rapidité immense à l'aide d'une propulsion ardente, il ne résistait pas à l'envie de HURLER dès que j'entrais dans son champ de vision avant de charger comme un dingue... Et même sans ses cris, j'aurai pu le détecter aisément rien que par les bruits de flamme et la lumière que produisait son épée à deux mains perpétuellement en ignition. Même sous l'ambiance rougeâtre que conférait la Lune de Sang, je pouvais reconnaître à quel point le Guerrier tenait à cette lame, rien que par la force avec laquelle il paraissait saisir la poignée.

Ensuite, si le Golem gigantesque de l'Avare --un mage de la Terre-- était impressionnant, il n'en restait pas moins extrêmement visible. Sans doute aurais-je eu des doutes s'il s'agissait d'un Golem en pierres noires comme l'Obsidienne, en pleine nuit j'aurais même pu ne pas le déceler, mais là... Il s'agissait quand même d'un truc d'une trentaine de mètres de haut, entièrement fait en Or pur ! Aucune idée si son maître se trouvait à l'intérieur ou qu'il le contrôlait à distance... J'aurais bien voulu savoir, histoire de voir à quoi pouvait ressembler un type aussi bling-bling.

Bon... On a déjà listé les mages de la Terre et du Feu... Quid de l'Air ? Je crois qu'il est temps de parler de mes deux bêtes noires. L'Assassin et le Fourbe. Parce que si les autres restaient facilement repérables, ceux-là utilisaient leurs capacités aériennes pour se rendre plus discrets. Si l'Assassin, dans sa tenue noire qui le rendait quasiment invisible, préférait l'affrontement de face en me lançant des shurikens, le Fourbe...
Rah, le Fourbe... C'était celui qui m'avait attaqué, au sommet de la Montagne de l'Est. Il refusait de m'attaquer de face. Pas une seule fois il n'a manqué de m'assaillir de dos. Et tous les moyens étaient bons pour cela ; il craquait des branches pour attirer mon attention ; imitait des cris d'animaux variés pour me déconcerter quand j'étais trop proche de le trouver ; me surveillait depuis les hauteurs, là où je n'avais aucune chance de le voir ; ... Le pire, c'est son besoin naturel de manipuler l'air d'une telle manière qu'il soit porté silencieusement par les vents. Aucun de ses pas ne touchaient le sol, ce qui faisait de cet homme le plus rapide et furtif que je n'aie jamais croisé. A vrai dire, il était si rapide que je pouvais très bien me retourner d'un seul coup et qu'il soit toujours dans mon dos. Je ne le remarquais jamais qu'au dernier instant, quand je sentais les vents qui le portaient s'agiter sur ma peau...
Encore, si j'avais pu voir sa balise, l'esquiver aurait été tâche aisée. Mais sans les symboles...

En ce qui concerne la Foudre, il me semblait avoir vu un symbole fulgurique comme le mien, les autres nuits... Mais son propriétaire ne m'a jamais fait face. Il en fut de même pour le mage de la glace, dans le littoral de la Mer du Nord... Il en restait bien un, cependant je n'arrivais pas à mettre le doigt sur son symbole...

Mais il reste tout de même deux personnes sur ma liste à décrire, dans la catégorie de l'Eau, peut-être ?... La première, l'Invocatrice, ne manipulait pas vraiment les flots, mais plutôt les créatures du Monde du Silence. Ni trop bruyante, ni trop furtive, elle constituait à mes yeux un adversaire équilibré, ni trop facile à esquiver, ni trop mortelle.
Bref. L'Invocatrice, donc, n'était pas humaine. En fait, je l'aurai comparée à une sirène, dans l'unique sens qu'on aurait dit que l'Invocatrice était une fusion entre une humaine et de la poiscaille. Complètement anthropomorphe, pas de queue de poissons, mais des branchies extrêmement visibles, une tête... particulière, et des écailles sur tout le corps. Même sur ses... Parties intimes et sa poitrine. Elle était complètement nue.
M'enfin, passons. La spécialité de l'Invocatrice, c'était de me balancer des oursins et de truffer le sol d'anémones. Si ses invocations furent sans doutes condamnées à mourir sur la terre ferme, leur poison aurait pu me paralyser, voire me tuer... Mais si ce n'était que ça ! Elle essayait de me restreindre avec des algues, se ruait sur moi avec ce qui ressemblait à des dards de Rascasse dans les mains et... Invoquait des poissons. Oui, des poissons. Qui, d'ailleurs, n'étaient apparemment pas gênés de se retrouver sur terre, puisqu'ils se déplaçaient dans les airs comme s'ils étaient dans l'eau.

Et enfin, la dernière... N'était pas une menace. Mais elle m'a quand même donné du fil à retordre. Ô combien mon esprit avait-il été libéré de ses craintes lorsque, dans un réflexe surhumain, je réussis miraculeusement à frapper le Fourbe d'un rayon de foudre si puissant qu'il lui perça littéralement l'abdomen de part en part ! Alors que je savourais ma victoire, le hurlement du Guerrier me parvint. Alors je reculai et le laissai s'approcher le plus possible... Et pendant qu'il s'élançait vers moi, épée ardente pointée vers l'avant, je vis celle que je nommai la Guérisseuse se pencher sur le Fourbe.
Les flots entourèrent le cadavre de mon pire ennemi, et je dus me téléporter pile à ce moment-là ; le Guerrier n'était plus qu'à quelques mètres. Et, deux téléportations plus tard... Ce fut le Fourbe, frais et dispo, qui m'assaillit.
Je ne voyais jamais la Guérisseuse que de très loin ; mais je pouvais blesser quelqu'un autant que nécessaire, elle était toujours en mesure de remettre ma cible sur pieds, pour je ne sais quel mysticisme lié à l'eau... Je sais que l'être humain est constitué à soixante pourcents de flotte, mais quand même !

Nombre de fois j'entrepris de corriger l'erreur que j'avais faite avec l'Archer. Au lieu de fuir, au lieu de me battre, je voulus communiquer. Mais bon... Des sept, un était trop intrépide pour que je ne le détecte avant de parler, deux autres faisaient trop de bruit pour que je m'entende moi-même, un de plus que je n'avais même jamais rencontré en personne, deux autres encore faisaient la sourde oreille... Et la dernière ,c'était la Guérisseuse, la plus sympa de tous. Je croyais sincèrement obtenir une réponse... Mais j'avais beau m'égosiller, elle me regardait de loin sans rien dire comme si elle attendait juste que je blesse un nouvel assaillant.

Un détail intéressant fut que sur toute cette liste, aussi, aucun ne possédait d'yeux blancs. Seule la Dame Végétale avait perdu leurs attributs durant la Lune de Sang. A ce propos, dans un premier temps, ni elle, ni Xenthores ne vinrent à ma rencontre. J'y voyais une sorte de salut... Si je ne les avais pas vus après autant de temps, c'est qu'ils ne me poursuivaient pas.

Bref ! Le temps avait passé. Combien de temps cette gigantesque Lune de Sang était-elle restée dans le ciel ? Probablement plusieurs heures, mais j'avais l'impression qu'il s'était déroulé une éternité...
Chaque téléportation m'épuisait plus que la précédente. Heureusement, le timing entre les attaque était relativement long, donc je pouvais me reposer assez longtemps pour récupérer. Malgré tout, la faim et la soif prirent le dessus. Je réussis à me transporter vers l'étang de la veille, où je pus boire un peu. Cependant, trop paranoïaque, je ne réussis qu'à boire quelques gorgées avant d'entendre des bruits suspects et de commencer à surveiller les environs. Mais plus de buissons fruités...
Heureusement, une téléportation plus tard, en plein milieu d'une plaine, je dénichai un pommier duquel je me rassasiai en partie... Mais pas suffisamment, comme l'Assassin profita du bruit de mes dents contre la chair du fruit pour m'envoyer un shuriken en toute discrétion... Manque de bol pour lui, le timing était juste, et je bougeai suffisamment pour ressentir le projectile frôler mon épaule. Après ce coup-là, je n'osai même plus manger quoi que ce soit... Et mon estomac gargouillait...

Dans cet état d'esprit, je me téléportai près de la mer, où je comptai bien me coucher sur le sable et écouter le son des vagues en attendant la prochaine attaque. Je suis d'accord, c'est risqué : s'il y a un mage du l'eau, je serais à sa merci près de la plage. Mais c'est pas comme si j'avais le choix... Vers le volcan, je n'étais pas à l'abri des explosions de veines de laves ; dans la forêt, la Dame Végétale rôdait, apparemment incapable de se maîtriser ; vers les grottes, le Fourbe aurait plein de cachettes, et surtout attention aux mages de la Terre... En fait, les seuls endroits à peu près sûrs --façon de parler, rien n'était sûr dans cette fichue dimension--, c'était la montagne et les rares plaines. Et me téléporter entre ces points-là uniquement serait dangereux, j'aurai risqué de regrouper mes ennemis, de leur montrer mon pattern de téléportations et donc qu'ils puissent me tendre une embuscade.
J'avais donc préféré opter pour une autre tactique ; la téléportation complètement aléatoire. Mais là, j'avais vraiment envie de détendre l'atmosphère, alors si je pouvais au moins chasser une dernière fois les coquillages, avant... Eh bien, avant la prochaine attaque, j'ai envie de dire. Il ne fallait pas perdre espoir...

Après avoir senti une énième fois les effets d'une dématérialisation électronique, je me couchai sur le sable, et fis attention à chaque bruit de vagues, à chaque mouvement de l'air, même au hululement lointain d'une chouette --au fond, cela pourrait autant être le Fourbe qui tenterait de me leurrer--.
Je reprenais progressivement mon énergie. Je finis par me sentir bien, dans cet endroit, bercé par les vagues, le sable fin parcourant mes doigts, baignant dans une lumière poétiquement écarlate. J'avais réussi à ressentir de l'apaisement dans toute cette anarchie où tout le monde voulait me tuer... Le fait qu'aucun ne se soit entre-tué me confortait dans ma théorie de "pacte de non-agression". Surtout avec les personnalités comme le Guerrier et l'Artificier, vivant pour le combat ou la destruction...

Je me sentais si bien que je fus bientôt entouré d'un halo de lumière. Autour de moi, les couleurs se révélèrent. Je me trouvais dans un havre de paix avec une mer bleue, des coquillages colorés et un sable brun clair, dans un monde entier où régnaient le rouge et le noir... Je reposai ma tête sur le sable, méditant sur chaque bruit.
Grâce à cet état d'esprit, je discernai un mouvement suspect sur le sable près de mes pieds et me relevai d'un coup, tout pile avant qu'un gigantesque tentacule de poulpe ne m'attrape la jambe. J'esquivai la saisie des ventouses sur mon pied et me relevai, avant de voir au large l'Invocatrice se tenir sur les flots, debout entre les deux yeux d'une pieuvre gigantesque.
Voyant que l'animal levait un de ses tentacules dans la volonté évidente de m'écraser, je me téléportai une fois de plus...

Lorsque je me rematérialisai, pantelant de sueur et de nouveau inquiété, j'étais dans un marais --sans doute le seul de cette dimension--, avec l'eau qui m'immergeait en-dessous de la taille. Mon premier réflexe : SORTIR, BORDEL ! Et si j'étais coincé dans la vase quand viendra le Fourbe, voire l'Assassin ?

Seulement, voilà : mes jambes étaient complètement bloquées... J'en étais réduit à devoir attendre là, jusqu'à la prochaine attaque, en priant de ne pas tomber en premier lieu sur le Fourbe...
Je me tranquillisai à nouveau. Et puis, une liane descendit dans mon champ de vision. Lorsque je relevai la tête, une forme humaine se dressait au bord du point d'eau dans lequel j'étais piégé. J'étais suffisamment apaisé pour canaliser un sortilège de lumière, ce que je fis... Pour révéler la Dame Végétale, ses cheveux bruns, sa peau légèrement basanée, ses vêtements antiques et... Ses yeux blancs.

-Attrape, me dit-elle en désignant la liane.

Je n'étais plus vraiment habitué à ce qu'on me parle. Cela faisait plusieurs jours que je survivais dans la nature, sans entendre aucune autre voix humaine que sous la forme d'onomatopées... Et elle, elle était la seule qui me parlait. Et ça faisait déjà la deuxième fois.
Je sortis de ma paralysie et agrippai la liane, qui me tira vers le haut, hors de la vase.

-Merci ! dis-je. Qui es-tu ? Pourquoi m'aides-tu ?

-Arrête de résister, m'avertit-elle en évitant mes questions. Tu es coincé, cela va être difficile de te sortir de là. Cela va probablement te faire souffrir.

Mes doigts râpaient en effet sur la liane, et ce n'était pas une sensation agréable du tout.

-Moi c'est Thauroji, retentai-je. Et toi ?

-Je suis A, tu es B, répondit-elle sans aucune raison.

Je sentais progressivement mes jambes s'extirper du bourbier.

-Continue ! l'encourageai-je. Je suis en train de sortir ! Merci de m'aider, sans toi j'aurais été grandement désavantagé.

-T'aider ? Oui, t'aider... Je t'aide... souffla-t-elle, le regard complètement vide.

-Oui, c'est ça, tu m'aides, lui dis-je en m'étonnant de son langage particulier.

-Je t'aide... Pour mieux te flouer.

Sans crier gare, la liane retomba d'un coup, et des ronces que je n'avais pas remarquées enveloppèrent chaque morceau de mon corps tels des bandages pour momie sylvestre. Je ressentais la douleur de chaque épine sur ma peau, et ces tentacules n'arrêtaient pas de m'enserrer, griffant mon épiderme, arrachant mon sang... J'essayai de me dématérialiser, mais la Dame Végétale le devina et resserra d'autant plus mes liens de milles tortures.

J'étais coincé. Trop de douleur, trop de peine, trop d'immobilité pour me dématérialiser rapidement, j'étais contraint à regarder celle qui avait maintes fois été ma sauveuse manipuler les ronciers pour m'enfoncer d'autant plus vers la surface de l'eau, où mon sang se mêlait aux sédiments...
Bientôt, l'eau a atteint mon menton. Incapable de bouger sans hurler de douleur, ne disposant pas de sortilèges efficaces pour couper mes liens dans un tel milieu, je réalisai que j'allais mourir soit par hémorragie, soit par noyade...

Il ne me restait plus que le nez hors de l'eau lorsque j'achevai ma descente vers le fond. La silhouette de la Dame Végétale avait cessé son sortilège, et regardait quelque chose vers sa droite d'une posture voûtée. Elle fuya lorsqu'un cri se fit entendre... Sur ma gauche, une lumière jaune perçait la nuit incarnate, accompagnée de bruit de bois qui brûle.
Une autre silhouette avança devant le marais. Malgré l'ombre et grâce aux lueurs des flammes, je reconnus là le dos de Xenthores.

-Hmmmblglblgl ! fis-je pour l'avertir, inapte à l'élocution avec ma bouche sous eau, enveloppée de ronces.

Xenthores se retourna... Et je vis très clairement ses deux yeux blancs scruter le marécage avec fureur, flammes aux mains.

-Pas ici... grogna-t-il après de longues et douloureuses secondes. 'l est pas ici... TU PEUX TOUJOURS COURIR... JE T'AURAI !

Et il s'en alla, non sans déclencher une explosion incendiaire qui alluma les alentours du marais dans leur entièreté.
Mon ami me cherchait... Pour me tuer ? Et pourquoi ces yeux blancs, nom de Zeus ? Par contre, dans son sadisme absolu, la Dame Végétale m'avait sauvé de mon propre pote, en me camouflant parmi les plantes du marais.
J'aurais pu rester là... Mais premièrement : une telle situation serait préjudiciaire si je rencontrais qui que ce soit, même le Guerrier. Deuxièmement : j'étais déjà ankylosé à me forcer de ne pas bouger, sous peine de souffrir le martyr, et troisièmement : il y avait un tel brasier que même si je n'étais pas dans les flammes, je commençais à avoir très chaud. Alors je commençai la procédure de téléportation, qui prit bien plus longtemps que prévu...

Je repris mes sens sur une colline, mes vêtements ponctués de taches de sang. Craignant l'hémorragie et les infections, je me dénudai et fit chauffer mes doigts à l'aide de l'électricité dans l'espoir de cautériser mes plaies...
J'en ai souffert. Cette douleur, c'était insupportable, mais c'était déjà bien plus supportable que des milliers d'aiguilles simultanément dans la peau, sur tout le corps. J'ai donc réussi à cautériser le gros de mes plaie, et espérai que ça ne s'était pas infecté, dans ces eaux troubles grouillant de vie...

Je me rhabillai, et me couchai sur le dos. Des larmes coulèrent sur mes joues... Affamé, assoiffé, lessivé, exténué, blessé, nerveux, à court de patience, je ne rêvais plus que de la fin de ce calvaire... Bientôt, j'allais subir un nouvel assaut... Avais-je seulement encore la force de le fuir ? Absolument rien ne me paraissait plus incertain que mon futur.

-Combien... Combien de temps encore ? Me demandai-je d'une voix vacillante. J'ai même plus la force ni l'envie de crier...

J'essayai de réveiller mon côté enragé, néanmoins rien ne se passa. J'étais à bout de mes forces, à la fois mentales et physiques. J'avais au moins réussi à dépasser toutes mes espérances... Jamais je n'aurai cru faire preuve d'autant de volonté et d'ardeur.

Au loin, les explosions de l'Artificier et les secousses des pas du Golem de l'Avare se rapprochaient immanquablement, comme elles l'ont toujours fait. Peut-être avais-je encore assez d'énergie pour une ultime téléportation...

-Hey ! fit la voix de la Dame Végétale.

Je me relevai d'un coup, anxieux. Dans le bas de la colline, à l'orée du bois, la mage de la nature me regardait avec insistance. Il était visible qu'elle voulait en découdre avec moi, mais la Guérisseuse retenait ses bras. Quelques centaines de mètres derrière elles, le Titan d'Or me fixait en frayant son chemin à grands coups de déforestation.
Un léger coup de vent dans mon dos m'incita à balancer un arc électrique et à me retourner, me laissant apercevoir le Fourbe et l'Assassin fuir au loin. En aval, des tentacules bioluminescentes s'agitaient autour de l'Invocatrice.
A ma droite, un bruit de flamme. Le Guerrier, pour la première fois, ne bougea pas à ma vue, se contentant d'agiter sa lame ardente dans les airs d'une manière menaçante. Au-dessus de lui, les explosions de l'Artificier devenaient de plus en plus proches.
Finalement, à ma gauche, une lumière jaunâtre intense manqua de m'aveugler après toutes ces péripéties dans l'obscurité. Xenthores se tenait impassiblement dans une mer de flammes, accompagné d'étranges humanoïdes ignescents.

Aucun ne manquait à l'appel, sinon ceux qui ne s'étaient jamais montrés... Pourquoi ? Pourquoi restaient-ils là ? Pourquoi ce regroupement soudain ? J'étais trop rompu pour réfléchir correctement, pour me dire que cela signifiait que la Lune de Sang approchait à sa fin. Ils allaient opérer une ultime attaque.

Le Guerrier mugit en brandissant sa lame vers le ciel. A cet appel, chacun se mit soudainement à gravir la colline, au sommet de laquelle je m'étais posé. Flammes, vents, lianes, tentacules, explosions et poings d'or furent projetés, convergeant tous en ma direction...
Non, je ne devais pas finir comme ça. Mes cordes vocales crachèrent une ultime vocifération, et je fermai les yeux...

Tout n'était plus que froid et silence. Je me crus mort, jusqu'à ce que je ressentisse la neige dans mes paumes. De faibles bruits de bataille me parvinrent, en même temps que le murmure du vent.
Je me relevai avec difficulté. Je me trouvai sur la Montagne de l'Est... De mon perchoir, j'apercevais, pile au centre du cercle formé par les points cardinaux, la bataille que j'aurai dû subir. Je ne voyais particulièrement que des tentacules lumineuses et des flammes s'écraser çà et là sur la colline. A cela s'ajoutait le Titan d'Or, rougi par la lumière lunaire comme s'il avait été forgé par le sang, labourant massivement la terre de ses poings et pieds.

Combien de temps allait-il leur falloir pour qu'ils se rendent compte que je n'étais plus là, à leurs côtés ? Je ne connaissais pas la réponse, et à vrai dire je n'avais pas envie de la savoir. Brisé comme je l'étais, je ne pouvais plus que me coucher lentement sur la neige froide et espérer...

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