Chapitre 2 (le nouveau)

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Elle déambulait le long du tapis rouge, son esprit se trouvait ailleurs. « J'aurai le pouvoir de m'interposer. » Depuis tout ce temps, c'était ça qu'il préparait. Pheone le surprenait parfois lors de ses entraînements, mais en aucun cas elle n'aurait pu se douter d'un tel projet. Cependant, elle s'inquiétait pour lui, Kolaris ne le laissait pas intervenir aussi facilement. Ses lèvres se tordirent, le regard lointain, elle n'eut pas le temps de voir une petite boule de poils à ses pieds, qu'elle tomba.

Pheone se réceptionna difficilement sur ses mains, avant de s'asseoir par terre. Elle chercha ce qui avait pu la faire tomber, à cet instant elle vit Xoka, une renarde polaire qu'elle avait eue lors de ses dix ans. Elle était comme un familier, à la suivre partout dans le château ou dans la ville.

—Oh pardon, Xoka, dit-elle en époussetant sa tenue. Qu'est-ce que tu fais en plein milieu du couloir ?

L'animal jappa. Xoka frotta sa tête contre les jambes de Pheone.

—Je te cherchais !

La démone se rappelait la première fois où elle avait entendu la renarde parler, sur le coup, elle avait été surprise, mais après elle s'y était habituée. Elle ne savait pas d'où venait Xoka, elle l'avait trouvé dans une rue assez sombre et sale du royaume. La renarde avait directement cherché le contact de sa main.

Pheone s'accroupit et caressa tendrement la tête de l'animal, un sourire étirant ses lèvres.

—Pourquoi me cherchais-tu ?

—Il faut qu'on rejoigne rapidement Anya dans ta chambre. Ton père t'aurait convoqué dans la salle du trône !

Elles se précipitèrent vers la grande porte en bois au bout du couloir. Pheone leva la tête vers la fresque des éléments, comme si elle attendait une réponse à une question muette.

Quelques pas plus loin, elle hésita à appuyer sur la poignée. Elle repensait au fait qu'elle devrait se changer pour porter une tenue correcte face à son père, un léger maquillage pour enjoliver les traits de son visage et cacher quelques boutons, rien qu'à cette idée, ses dents grincèrent. Était-elle obligée d'être hypocrite ? D'avoir besoin de se cacher derrière un masque que seul son géniteur souhaitait voir ?

Pheone expira avant d'ouvrir la porte. La fine lumière provenant de l'extérieur lui montrait l'ambiance sombre et pesante de sa chambre, l'aspect terne de la pièce. Seulement quelques meubles nécessaires étaient positionnés par-ci et par-là pour combler l'endroit. Un lit simple qui avait tendance à grincer lorsqu'on s'asseyait dessus. Un bureau accompagné d'une chaise et un petit chevet en marbre. Pheone passait la plupart de son temps à vagabonder dans les longs couloirs du château, plutôt qu'à être enfermé dans sa chambre. Anya se tenait appuyée contre la fenêtre, à regarder l'extérieur d'un air rêveur. Chaque jour, Pheone observait le royaume, sa chambre lui permettait une vue incroyable sur les Enfers. Elle aimait voir que les habitants s'affairaient à leurs activités tous les jours. Souvent, elle installait son chevalet au bord de la fenêtre pour dessiner le paysage, encore et encore.

—Aujourd'hui, ça fait vingt ans qu'elle nous a quittés, avoua Anya avant de se reprendre. C'est aussi le jour de ton anniversaire, en ce vingt-six janvier.

La femme qui était comme une mère adoptive l'enlaça précipitamment. Pheone resserra leur étreinte, Anya était son pilier, la personne qui lui permettait de garder l'équilibre dans ce monde.

—J'espère que les garçons te l'ont souhaité !

—Tu les connais, ils sont tête en l'air tous les deux, ricana Pheone.

Anya attrapa les mains de la jeune femme et la fixa attendrie.

—Je n'ai rien à t'offrir à part mon amour éternel, ma puce.

—C'est largement suffisant.

La servante embrassa tendrement le front de la princesse. Pheone aimait le lien mère fille qu'elles avaient réussi à construire. La démone réalisait petit à petit les paroles d'Anya, vingt ans que sa mère était morte. Ses poings se fermèrent tout comme son visage, ses yeux s'embuèrent alors qu'elle tournait son regard vers le portrait de sa mère qu'elle avait dessiné. Un sourire étirait les belles lèvres de la reine et on lisait à travers son regard toute sa douceur. Pheone s'en rapprocha et caressa délicatement le dessin.

—Je t'aime, maman.

—Ta mère serait fière de la femme que tu es devenu, annonça Anya en posant sa main sur l'épaule de la démone.

Détournant le regard pour cacher ses larmes, elle acquiesça d'un signe de tête.

Depuis sa plus tendre enfance, Anya lui racontait régulièrement les aventures de sa mère, Leona avait tout retranscrit dans des carnets avant son arrivée en Enfers. Certaines pages étaient illustrées par les espèces peuplant ou les architectures des royaumes. Chaque histoire fascinait Pheone, elle était admirative des exploits de la reine. Elle repensa à la fête qui serait tenue en son honneur ce soir, en un vingtième hommage pour Leona. La démone aurait aimé que sa mère soit là pour l’aider à choisir une tenue et qu'elle puisse la coiffer tandis qu'elles parleraient de sa vie à Kindénia. La démone fut sortie de ses pensées par la renarde polaire :

—Pheone, nous devons nous présenter dans la salle du trône. Ton père a une requête à te faire, répéta Xoka.

Contrariée, elle refusa avant de finir par suivre son familier jusqu'au seigneur. Face aux arches d'or, elle sentit l'angoisse qui serrait son cœur. Pheone détestait son géniteur pour tout ce qu'il lui avait fait vivre, les coups de fouet, la torture psychologique par rapport à la perte de Leona. Pendant de nombreuses années, elle s'en était voulu, elle avait vraiment cru que c'était de sa faute. Elle n'était qu'une enfant en quête d'amour et de reconnaissance, elle souhaitait seulement que son père l'aime. Ses dents grincèrent pendant que ses ongles pénétraient la chair de ses paumes. Elle n'avait été qu'une enfant ! On lui avait arraché son innocence, collé du sang sur les mains et fait valser tous ses rêves de gosse. Toutes les fois où elle avait fini en larmes dans le cachot, cette pièce froide et humide, où Cosalys venait la retrouver pour la sortir de cet enfer. Ses mains tremblaient alors qu'elle se remémorait chaque sensation, les émotions qui la traversaient lors de ces instants.

Le trône de Kolaris se trouvait au centre de la salle ; il était immense et orné d'or pur. Le dossier contenait de nombreuses épées de guerriers que le roi avait tuées. Plusieurs piliers de grès formaient des arches tout le long de la pièce. Un vitrail décorait le plafond, où les exploits de Kolaris étaient illustrés. Cette pièce était aussi joliment décorée que les couloirs du château avec en plus des bancs et des bougeoirs, les partisans de Kolaris devaient venir prier en ce lieu même. Le roi aimait montrer sa richesse ainsi que sa puissance. Quelques gardes restaient postés à l'entrée.

Un haut-le-cœur la prit tandis qu'elle avançait la tête haute.

—Tu n'as pas peur, Pheone, pensa-t-elle. Tu peux l'affronter, tu n'es plus une enfant.

Il fallait qu'elle soit courageuse, qu'elle se montre déterminée et sûre d'elle ; ce qui n'était pas une tâche facile face à son géniteur. Lorsqu'elle sentit son regard sur elle, son cœur rata un battement et elle eut l'envie de s'enfuir loin d'ici. Malgré les années, il continuait à lui faire peur, mais Pheone voulait que cela change.

—Ma fille !

Le roi se rapprocha d'elle en quelques enjambées. Pheone eut le pressentiment qu'elle devait reculer, mais elle resta figée, il fallait qu'elle soit insensible à ses tentatives d'intimidations.

—Tu oses faire attendre ton roi ? Je ne tolérerai pas un tel affront, surtout de mon propre enfant, déclara-t-il d'une voix amère. Tu me dois obéissance et respect, j'espère avoir été clair, petite ingrate !

Ses mots ébranlèrent la jeune femme, même si elle s'y était habituée aux files des années. Ses paroles continuaient toujours à franchir la carapace qu'elle s'était formée. Sur le coup, elle recula en perdant légèrement l'équilibre.

—Reprends-toi, Pheone ! pensa-t-elle.

Kolaris se trouvait être un homme froid et insensible, en tout cas c'est comme ça qu'elle l'avait connu. Il ne souriait que très rarement. Comment sa mère avait-elle pu aimer un tel homme ? L'avait-il forcé ?

La douleur face à ses paroles se transforma en une colère profonde, ses sourcils se froncèrent et ses poings se serrèrent. C'était fini, elle ne se laisserait plus faire, il n'était et ne serait jamais son père, ni son roi ! Terminé l'enfant terrifié, elle voulait maintenant voir de l'avant.

La tête haute, elle avança vers lui, déterminée.

—Cela suffit ! s'écria-t-elle.

Les gardes se rapprochèrent lorsqu'ils entendirent le ton de la jeune femme. Elle l'entendait aux cliquetis de leurs bottes métalliques contre le plancher. Les pupilles de son géniteur se faisaient menaçantes, mais ce n'était pas le moment pour fléchir.

—Je ne suis pas l'un de vos sbires et encore moins une servante. Mère n'aimerait pas que vous me traitiez ainsi, déclara-t-elle, faisant sursauter son père à l'évocation de Leona. Dites-moi votre requête que je puisse quitter rapidement ces lieux qui me répugnent.

De sa main aux griffes en acier, le roi la gifla, marquant son visage d'une plaie. Elle débutait de son front jusqu'à sa bouche, traversant son œil. Pheone le ferma avant que sa pupille ne soit transpercée. La blessure saignait faiblement, mais juste assez pour lui faire comprendre qu'il n'aimait pas le ton qu'elle employait.

La démone était sous le choc, son souffle irrégulier, ses battements cardiaques affolaient. Elle ne l'aurait jamais cru capable de lui infliger une telle blessure en public. Baissant la tête, elle remarqua les gouttelettes sur le sol, que devait-elle faire ? Crier son mécontement et sa colère ? Ou tout simplement se taire... Ses yeux se fermèrent, retenant les larmes de haines qui menaçaient de couler le long de ses joues. Elle devait partir, elle ne supportait plus de vivre ainsi, d'être torturée gratuitement.

Pheone déposa sa main sur la plaie, en regardant son père avec haine. Kolaris était un homme plutôt sournois et assoiffé de pouvoir, il ne supportait pas le moindre affront ou désobéissance. Elle ne connaissait que sa colère, le mépris qu'il lui portait.

Kolaris attrapa son menton pour croiser son regard. Elle lisait à l'intérieur son dégoût envers elle. Malgré son âge et sa carapace, ce constat lui lacéra le cœur, l'enfant en elle nourrissait un espoir éternel d'un jour être aimé par son géniteur.

—Tu vas rejoindre Kindénia en tant qu'espionne pour les Enfers ! Tu devras me fournir chaque mois, un compte-rend de chaque espèce vivante sur cette planète en me citant leur force et faiblesse, annonça-t-il d'une voix froide. Est-ce bien compris ?

Pheone resta hébétée face à cette requête. Elle pourrait enfin découvrir le monde où avait vécu sa mère ? Peut-être pourrait-elle rencontrer la tribu citée dans quelques carnets ? La joie la faisait sourire, elle irait là-bas pour reconstituer la vie de Leona, en apprendre plus sur qui elle était. Kindénia la fascinait, elle voulait découvrir les peuples y vivants et leurs façons de vivre, peut-être possédaient-ils des langues différentes de la sienne ?

Un doute apparut lorsqu'elle se demanda ce que voulait son géniteur à cet endroit, quelles était ses intentions ? Tout à coup, elle craignait que les personnes citées dans les carnets de Leona soient en danger. Elle ne pourrait pas les laisser périr en apportant les souvenirs qu'ils détenaient. Pheone souhaitait en apprendre plus sur sa mère, sur la vie qu'elle avait vécue là-bas. En grandissant sans elle, Pheone avait douté de l'amour qu'elle lui avait porté. Leona était-elle une héroïne comme on la décrivait dans ses écrits ou ce n'était que supercherie ? Elle avait besoin de retrouver ses origines et d'arriver à la comprendre.

—Quand est-ce que je dois partir ?

Le roi ne riposta pas face à ce nouvel affront, mais il lui répondit qu'elle pouvait s'en aller dès maintenant. Kolaris leva la main pour dire que la réunion « père, fille » était terminée et qu'elle pouvait quitter les lieux.

La jeune femme se dirigea avec hâte vers sa chambre, elle ne pensait plus à la fête de ce soir ni à ses proches. Sa conscience se concentrait seulement sur le fait que bientôt, elle foulerait les terres de Kindénia à la recherche des personnes qu'avait connues sa mère. Elle devait rapidement préparer son sac avec le strict nécessaire.

La chambre de Pheone se trouvait plutôt loin de la salle du trône. Son père l'avait fait construire à cet endroit spécialement pour elle. Kolaris préférait que la princesse soit le plus reculé possible dans le château. Le roi l'accusait d'avoir assassiné sa mère, ce qui avait tendance à faire culpabiliser Pheone dans son enfance. Cela dit, il était bien plus simple d'accuser un nouveau-né que de voir que sa propre femme souffrait affreusement. Pheone se posait des questions à haute voix :

—Mère, pourquoi m'avez-vous laissée naître dans un monde rempli de haine ? Qui étiez-vous exactement ? Pourquoi Kolaris ressent-il autant de colère envers Kindénia ?

Lorsqu'elle eut franchi la porte de sa chambre, elle se laissa glisser contre celle-ci. Ses bras enlaçaient ses jambes dans un geste réconfortant, formant une carapace. Entre ses mains, elle serrait un carnet de sa mère tandis que des sanglots secouaient ses épaules.

—Si seulement tu étais là, souffla-t-elle d'une voix éteinte.

Son chagrin se creusait une place dans son cœur. Elle voulait être impassible face à son père, mais dès qu'elle était seule, elle se recroquevillait sur elle-même, car les nombreux souvenirs de torture qu'elle avait vécue revenaient au galop. Pheone restait une enfant terrifiée au fond d'elle, elle pouvait se cacher derrière Anya, Ash ou Cosalys, mais en étant seule, qui la protégerait ? Ses épaules s'affaissèrent. Elle allait se retrouver seule dans un monde inconnu, certains peuples ressemblaient-ils à son géniteur ?

Elle se leva et fit quelques pas pour voir son reflet à travers sa fenêtre. Elle souleva son haut et vit les cicatrices qui recouvraient son dos. La jeune femme porterait ses marques pour toujours, des plaies cicatrisées en surface, mais pas en profondeur. D'une main tremblante, elle laissa retomber son vêtement, retenant un sanglot.

—Si tu avais été là, tu aurais pu empêcher ça, pleura-t-elle.

La renarde polaire se frotta contre les jambes de Pheone dans un geste réconfortant, elle venait de pousser la porte avec l'aide de son poids. La démone déposa un regard attristé sur Xoka puis elle lui caressa délicatement la tête.

—Au moins, je peux compter sur toi, murmura-t-elle d'une voix enrouée sous l'émotion.

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