Chapitre 2

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 Je sortis mon matériel, pris soin de déposer le tabac sur la feuille pour ne pas faire de gaspillage et roulai le join avec des gestes lasses, habitués. Je rangeai ensuite mes affaires dans l'ordre habituel, avant d'attraper mon briquet. Celui-ci était toujours rangé au même endroit, dans la poche avant de mon sac, sac qui ne me quittait d'ailleurs jamais. Je tirai une première bouffée avec soulagement. Bientôt, je ne me soucierai plus d'être de mauvaise humeur. Je m'assis sur mon lit tout en rapprochant de moi le cendrier. J'étais prêt à me détendre, être heureux sans savoir pourquoi, et même oublier tous mes problèmes.

 Pendant un temps, je m'étais soucié de ne jamais fumer à l'intérieur, ou encore de ne jamais garder de drogue sur moi. D'abord par principe, puis parce que j'avais commencé à me soucier de la police, des contrôles –bien plus fréquent pour les personnes qu'ils identifient comme étrangers– et puis, un jour, tout ça n'avait plus eu d'importance. On s'en foutait, au fond, de finir en tôle. Plus de famille, plus de parents. Un toît, à manger, une vie paisible. La faute serait remise sur une mauvaise éducation, dû à nos coûtumes et ce serait oublié. "Un autre accident tragique" dans le journal. Peut-être un ou deux militants en colère sur les réseaux sociaux, dans la rue, mais rien de plus. Je soufflai un nouveau nuage de fumée opaque. J'imaginai les rideaux respirer l'odeur avec moi, s'imprégner de toute cette drogue dure, étouffer, mourir. Et je pouffai, doucement, de cette comparaison si semblable à ma vie. Je fumai, j'étoufferai, avant de crever.

 Un jour, je devrai rendre ce placard à balais, à l'odeur nauséabonde malgré mon rigoureux sens de la propreté. Je ne reverrai jamais ma caution, pour sûre.

Je soufflai une nouvelle fois, puis décidai de ne pas perdre davantage de temps, de ne pas prendre davantage de risque. Il fallait que j'aille au hangar maintenant. Une crise de manque était si vite arrivée, après tout. Je tirai une dernière fois sur le joint, puis le posai sur le bord du cendrier en marmonnant. Je n'aurai qu'à le finir en rentrant. Enfin, si j'y pensais...

 J'enfournai quelques affaires dans mon sac, sans vraiment me préoccuper de quoi il s'agissait. Rien ne comptait tant que j'avais un peu de poids sur le dos. De quoi me sentir rassuré. Je me passai un peu d'eau sur le visage, dans la cuisine, pour tenter de reprendre un peu conscience avec le monde qui m'entourait. Oh et puis, peu m'importait, au fond !

 Je tirai la porte du frigo et attrapai une bouteille d'eau fraîche. Il fallait aussi faire des courses, mais avec quel argent ? Je secouai la tête et me penchai pour attraper une maigre liasse, sous le matelas. Bordel, et dire que nous n'étions qu'au début du mois... J'étais foutu. Étrangement, cette constatation ne me tira qu'un petit rire jaune. Et dire que l'Etat me payait déjà mes études. Comment faisaient les autres ? Ah oui, ils avaient des parents...

 Je me grattai l'arrière du crâne. L'effet était négatif, aujourd'hui. La faute de ce garçon, il m'avait perturbé, chamboulé, retourné l'estomac. Et dire que j'avais dormi dans son lit. Un frisson de dégoût me parcouru. Je sentis le besoin pressant de me laver les mains. C'est la dernière chose que je fis avant de passer la porte de chez moi. Je trainai les pieds sur le trottoir, la tête basse. Les effets ne se dissiperaient pas tout de suite et je me désolai déjà de leurs horribles conséquences. Il avait cette rancoeur dans mon coeur, d'habitude si calme, et pourtant, si vive aujourd'hui...

 Ne croiser le regard de personne, et surtout pas de ces putains de racistes.

 Eux étaient reconnaissables entre tous, telles des lumières dans l'obscurité : un air supérieur, imbu de leur personne, souvent d'âge mûr, une clope à la main, une sacoche luxueuse dans la main. Ils trainaient toujours par bande, comme lors de l'agression de mes parents. Je fourrai un peu rageusement mes mains dans mes poches, sans pour autant pouvoir faire quoi que ce soit pour faire passer cette colère, contenue depuis des années.

 — Arrête ça putain, marmonnai-je pour moi-même.

 Je n'en pouvai plus de toujours y penser, de toujours tout devoir ramener à ça ! Mais en même temps, tous mes comportements, le moindre de mes tics, la moindre de mes habitudes étaient dû à ce jour-là, sans que je ne puisse y faire quelque chose.

 Prenons par exemple ma manie de toujours devoir me laver les mains. La faute du sang. La moindre égratinure manquait de me faire gerber. Alors toucher à toutes ces choses sur lesquels il pourrait potentiellement en avoir eu ? Non, c'était hors de question, je devais me laver les mains, faire disparaitre toute cette saleté, tout ce sang... C'était plus fort que moi, ne pas le faire me tourmentait au point de me causer des crises de panique.

 Je relevai la tête au moment d'arriver devant un endroit qui était, à un moment, devenu mon plus grand refuge, mon seul endroit de réconfort, ma maison : le hangar. J'entrai discrètement, comme à mon habitude, et saluai le guetteur de l'entrée, qui ne me connaissait que trop bien. Je passai entre les corps shootés sans vraiment y préter attention, pour rejoindre un homme de la trentaine. C'était le chef de la bande ou, du moins, ce qui s'en rapprochait le plus. Imberbe, des allures de bon père de famille, et pourtant... il n'avait pas hésité un seul instant à tremper dans de sales affaires pour nourrir ses deux enfants en bas âge, et sa femme, de nouveau enceinte. Un homme que j'admirai pour n'avoir jamais touché à la drogue, malgré la quantité phénoménal qui lui passait entre les mains depuis les années qu'il était là. C'était quelqu'un de bien, qui n'avait pas eu une vie des plus tendres. Un rescapé, comme moi. Son père avait fait de la prison, alors qu'il n'avait que douze ans, et sa mère avait fini par mourir de chagrin...

 — Qu'est-ce que tu fais déjà là, p'tit gars ?

 — J'ai eu... un problème... Il m'en faut pour le mois, mais j'ai pas de quoi payer.

 Je séparai la liasse de billet en deux. Une d'une cinquante d'euros pour manger, le reste pour la cocaine. Il prit l'un des tas, le compta et le recompta, les sourcils froncés par la concentration.

 — Tu n'as plus rien du tout ?

 Je secouai la tête.

 — C'est pas sérieux, p'tit gars.

 — C'est pas de ma faute ! m'empressai-je de lancer, pour tenter de me justifier envers cet homme, la seule figure paternelle qui me restait.

 — T'en as donné ?

 — On l'a jeté.

 — Jeté ? T'as trouvé une copine qui n'était pas contente de tes affaires ? Elle a tapé une crise ?

 — J'ai fait une crise de manque, puis une overdose et un gars de la fac de médecine m'a trouvé.

 — Il a fait le moraliste ?

 — Je pouvais pas me permettre de dire quoi que ce soit, il aurait pu appeler les keufs...

 — T'as fait le bon choix p'tit gars, t'inquiète pas. Mais tu sais, avec ce que t'as là, tu ne feras jamais le mois, reprit l'homme.

 — J'ai des cours importants, je peux pas me permettre de...

 — Tu fais crédit.

 Je soupirai, un peu soulagé, sans penser à tous les problèmes que cela pouvait m'apporter. Rien ne comptait à part repartir avec un sachet de poudre.

 — Je le fais parce que tu viens ici depuis des années, et parce que je sais que tu as des principes inviolables, mais ça n'arrivera plus p'tit gars.

 — Je vous le promet, récitai-je en l'observant tirer une bonne dose de cocaine d'un sac plastique.

 Il me le tendit et ébouriffa mes cheveux avec un sourire paternel. Je le rangeai aussitôt, avec mes précautions habituelles. Il me regarda dire sans rien faire, avec un regard indescriptible.

 — Tu paies le reste le mois prochain, affirma-t-il.

 J'acquiesçai, une fois de plus, et me détournai, prêt à partir. Il me retint par le poignet.

 — Fais en sorte de ne plus recroiser le médecin, il ne t'attirera que des ennuis. C'est d'accord p'tit gars ?

 Je lui assurai avec un léger sourire. Il s'en contenta, car il savait bien que je n'en offrais que très rarement. Il me laissa quitter l'endroit sans plus de cérémonie. Je m'arrêtai à la sortie et pris le temps de soigneusement désinfecter mes mains. Le joint ne faisait plus effet. Enfin, je le supposai, puisque mes idées semblaient claires. Avais-je encore les yeux rouges, les pupilles dilatées ? Ou pouvai-je me permettre de faire mes maigres provisions pour le mois sans craindre d'être arrêté ?

 Je choisis de me faire confiance et me dirigeai vers un petit supermarché de proximité, sans vraiment prêter attention à ce qui se passait autours de moi. On me bouscula. Je relevai la tête, prestament. La copine du médecin. Je sentis la panique envahir mes membres, bien qu'il n'y ai pas de trace du médecin, et accélérai tout en me fondant dans la foule.

 Que faisait-elle là ? me demandai-je tout en me pressant jusqu'au magasin. Au fond, il y avait des chances pour qu'elle soit simplement sortie profiter des rues de la capitale avec des amies...

 Peu importe, mon esprit ne voulait pas y croire. Et si elle me cherchait, pour me dénoncer ? S'il lui avait tout raconté, après mon départ précipité de la veille ? Patrick avait raison, il vallait mieux ne pas revoir ce garçon. C'était trop risqué.

 Je m'apaisai définitivement en constatant que j'étais seul dans le commerce. Je soufflai et attrapai un petit panier avant de me diriger vers le rayon des pâtes. Pas de viande, pas de fruit, et l'hygiène avant tout. Je m'en sortai avec, tout au plus, assez de repas pour une semaine. Je me rappelai, pour me rassurer, que je ne sentirai pas la faim. La cocaine coupait l'apétit... Quelques jours sans manger, je n'en mourrais pas. Ces quelques paroles à moi-même suffirent à me rassurer. Je passai à la caisse vide, où l'employée mâchonnait un chewing-gum. Elle me salua avec un sourire polie, que je ne puis lui rendre. Elle se renfrogna et se contenta de passer mes quelques articles au scanner. Le manque de place m'obligea à en prendre à la main, ce que je n'apréciai guère. Je lui lançai un "bonne journée" au moment de sortir, sans voir son rictus étonné.

 Je traversai la rue bétonnée sans même faire attention aux voitures ou aux autres passants. Il fallait que je rentre, maintenant. J'avais déjà passé trop de temps dehors. Sortir ne devait pas être un plaisir. Jamais, me sermonnai-je encore une fois. Si j'y prenai trop de plaisir, alors il m'arriverait malheur, pour sûre. Sans parler de la rousse qui se baladait dans les parages.

 J'arrivai assez rapidement chez moi et montai les étages quatre à quatre. Une fois dans le couloir, je dus déposer une partie de mes commissions sur le sol pour pouvoir attraper mes clés. Nouveau moment de stress, qui prit fin au moment où je m'enfermais dans mon cher placard à balais adoré.

 Je rangeai mes courses en pensant me faire à manger plus tard puis procédai à mon rituel habituel de désinfection avant de me laisser tomber sur mon lit. Je tirai mon téléphone de ma poche, pour constater qu'il n'avait plus de batterie. Impossible pour moi d'oublier ma vie en me concentrant sur celle des autres. Tant pis, je scrollerai plus tard, jusqu'au milieu de la nuit, jusqu'à m'endormir, l'écran sur la face, jusqu'à louper, une énième fois, mon réveil. Le dernier point m'interpella. Je branchai mon cellulaire et le rallumai, après quelques minutes, pour réactiver ma sonnerie. Je me laissai tomber sur mon lit, le corps lasse et l'esprit déprimé.

 Je devais travailler, appeler cette fille de la fac, qui s'asseyait parfois à côté de moi, pour qu'elle me passe ses cours, mais je n'en avais pas envie. J'avais mes partiels au mois de mars, il fallait que je bosse, je ne pouvais faire autrement. Pourtant, mon esprit divaguait et refusait de faire quoi que ce soit cette année. Peut-être parce que j'avais doublé les doses, pour faire face au stress des vacances d'été...

Allez, bouge toi, il faut que tu te bouges...

 Une bataille mentale s'engagea à l'intérieur de mon crâne et ma volonté farouche finit par l'emporter. Je me redressai, restai immobile un instant, puis me penchais pour attraper mon ordianateur, sous le canapé. Je l'avais fait, j'avais bougé, quel miracle !

 Je jubilai intérieurement tout en allumant mon appareil. Je perdis mon sourire en ouvrant mon agenda numérique. Le travail en retard me sauta au visage, me faisant presque pâlir. Rien que pour demain matin, j'avais deux études de cas à rendre, de plusieurs pages. Je grognai et fis défiler le sujet, avant de tirer mon dictionnaire juridique de sous le lit. Je regrettai de ne pas avoir travaillé pendant les deux dernières semaines et soufflai en tentant d'identifier le plus important à faire.

 J'étais comme la stupide fourmis de la fable : j'avais chanté, chanté et maintenant, je devais demander de l'aide à la cigale. Mais quelle cigale ? Je n'en avait pas...

 Je devais me débrouiller, passer l'hiver sans un grain. Je rigolai. C'était si réel, cette fable collait si bien à ma situation ! Parce qu'au fond, je n'avais ni à manger, ni de quoi réussir mes études. Rien.

 Je secouai la tête. Je devais me reprendre !

 J'avais promis à mon père de réussir mes études ! Je me devais de tenir cette promesse là !

 Et puis, des gens avaient besoin de moi, des gamins paumés, comme je l'avais été, attendaient quelque part, qu'on leur tende la main, qu'on les tire de leur merdier. J'y arriverai, je n'avais pas le choix, je devais le faire ! J'acquiesçai avec détermination, et me plongeai dans mon travail.

 Pendant quelques heures au moins, je réussirai à me donner l'illusion d'être utile à ce monde, de pouvoir réaliser quelque chose de bien et peut-être même, de rendre mon père fier...

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