Chapitre 6 : Dernière danse à Massil - (1/2)

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Les murs de Massil, la plus grande cité commerçante de la Nayt se dressait devant eux. Tôt le matin, Rifar avait passé la frontière. Il avait remis les prisonniers osgardiens à la petite garnison. Et deux monsihons plus tard, ils arrivaient tous en vue de Massil.

Saalyn vint chevaucher aux côtés du chef de l’escorte.

— C’est ici que nous allons nous séparer, annonça-t-elle.

— Cela aura été un plaisir de chevaucher à vos côtés, répondit Rifar.

— Hélas, vous avez à faire à Lynn et moi à Ambès.

— Je peux vous poser une question.

D’un geste du menton, elle l’y invita.

— Vos rapports avec Ksaten. Elle est une guerrière libre émérite mondialement connue, voire crainte. De votre côté, vous avez abandonné le métier des armes depuis longtemps. Et pourtant, elle vous respecte, s’incline devant vos décisions.

— J’ai abandonné le métier de guerrière depuis longtemps. Je n’ai pour autant pas renoncé à mes connaissances. Une partie des techniques qu’elle pratique, c’est moi qui les lui ai enseignées. Et puis, j’ai aussi proposé sa candidature à Helaria.

— Helaria ?

— C’était lui qui dirigeait la corporation à l’époque.

— Je vois. Vous êtes une sorte de mentor pour Ksaten. Je comprends mieux.

— Une sorte, en effet.

Elle accompagna ses paroles d’un sourire.

— À mon tour de vous poser une question, reprit-elle. Cette caravane appartient à Posasten. Mais jusqu’à présent, c’est vous que j’ai vu prendre les décisions.

— Sur la route, c’est normal. Posasten est marchand. Il me paye pour assurer sa sécurité. C’est ce que je fais pendant les déplacements. Maintenant que nous sommes en ville, les choses vont changer.

— Comme ?

— Il n’est pas avare. Nous allons bien dormir cette nuit.

— Où comptez-vous descendre ?

— Je ne sais pas encore. Une bonne auberge en périphérie de la ville pour ne pas être trop loin de nos chariots.

Saalyn jeta un coup d’œil sur le gros bâtiment qui se dressait à l’écart des remparts. Tout comme la ville, il était fortifié. La longue lutte qui avait opposé l’Osgard à la Nayt pour le contrôle de ce territoire justifiait cet état de fait. Mais avec la paix qui régnait dans le pays, les occupants n’éprouvaient pas le besoin de surveiller les entrées.

— Nous allons nous installer dans un hôtel en ville, répondit Saalyn. Je propose que nous nous retrouvions dans un bon restaurant ce soir, histoire de passer une dernière soirée ensemble.

— Une soirée où nous pourrions vraiment profiter de votre présence puisque vous n’auriez pas à assurer le spectacle, fit remarquer Rifar.

— Voilà qui va me changer en effet.

— Avez-vous une préférence ?

— Je pensais à l’auberge de la fontaine sacrée.

Sous la surprise, Rifar bafouilla.

— La font… Vous voulez vraiment marquer le coup.

— Cela donnera à Ksaten l’occasion de mettre cette jolie robe qu’elle s’est achetée à Sernos. Elle n’a pas encore eu l’occasion de la porter.

— Je suis sûr que vous-même avez une idée semblable en tête.

Saalyn lui renvoya un petit rire.

— Toute femme normale ne se mettra jamais en situation d’être comparée à Ksaten.

— Mais vous n’êtes pas une femme normale, déclara Rifar.

— Vous le regrettez ?

— Absolument pas. Je dirais même : tant mieux.

Il fit une petite pause avant de reprendre.

— Et Meghare, elle a ce qu’il faut ?

Le regard acéré de Saalyn transperça Rifar.

— Il semble que notre jeune invitée vous a laissé une marque durable, souligna-t-elle.

— Non, se défendit Rifar. Je croyais juste qu’une domestique comme elle n’ait pas les moyens de s’acheter une belle robe.

— Votre attention est louable. Mais n’ayez pas peur. Entre Ksaten et moi, on lui trouvera bien quelque chose. Au besoin, nous avons la journée pour faire les boutiques avec elle.

Rifar éprouva un petit pincement au cœur. C’est ce qu’il espérait, se balader avec elle en ville et lui offrir ce qu’elle désirait.

— C’est plutôt de Daisuren que vous devez vous occuper, reprit Saalyn. Elle ne possède vraiment rien.

Rifar avait oublié Daisuren. Elle avait manifesté son désir de rester avec la caravane, pour à terme rejoindre l’Yrian. Pour remplacer ses haillons, quelques gardes parmi les plus petits lui avaient prêté des vêtements. Mais ils étaient trop grands et ne convenaient pas à une soirée. Sans compter qu’elle allait devoir se procurer des habits plus adaptés à sa taille et à son sexe.

— Arda a perdu ses bagages, fit-il remarquer. Elle pourra peut-être prendre Daisuren avec elle quand elle ira se rééquiper, proposa-t-il.

— Excellente idée.

Tout en chevauchant, Rifar jeta un bref coup d’œil vers le désert empoisonné qui commençait officiellement au nord de la route. À Massil, il n’était pas très dangereux. C’était plus à l’est, vers Ambès, que les poussières de feu rendaient indispensables de se recouvrir le nez même par temps calme. Aussi loin au sud-ouest de son cœur mortel, seul le vent obligeait à prendre des précautions. Les natifs du coin portaient cependant la capuche et le petit rabat de cuir, pour le moment ouvert, mais prêt à être rabattu sur le visage si cela s’avérait nécessaire. Sur une colline faisant face à la ville, il remarqua quelques agents qui s’affairaient à planter des sortes de buissons bas.

— C’est nouveau ça, remarqua-t-il. Qu’est-ce que c’est ?

— C’est une barrière destinée à protéger Massil et le sud du pays des poussières de feu, expliqua Saalyn.

— C’est ridicule. Comment des plantes aussi basses peuvent-elles protéger la ville ?

— C’est simple. Leurs branchages couvrent le sol et empêchent le vent d’emporter les poussières. Et leurs racines stabilisent le sol.

— Et ça marche ?

— C’est un projet expérimental. Il va falloir attendre un peu pour le savoir.

Ils étaient arrivés devant la porte nord de la ville. Au-dessus de l’arche, s’affichaient gravé dans la pierre les termes « comptoir 2 » en alphabet ocarian, le matricule que les feythas avaient donné à la ville avant que les Naytains ne lui donnent son nom actuel.

— Nous nous séparons ici, annonça le caravanier.

— À ce soir, promit Saalyn.

— Je n’y manquerai pas.

Saalyn, Ksaten et son petit groupe se dirigèrent vers Massil où la garde vérifiait les voyageurs entrants. Rifar détailla l’un d’eux. Sa stature, sa musculature et son équipement — une lance à la pointe acérée, une cuirasse et un casque — n’incitaient pas à la plaisanterie. Puis il rattrapa la caravane qui avait continué sa progression vers la route de Lynn et le caravansérail où ils allaient passer la nuit.

À l’heure dite, Rifar, Dalbo, Posasten, le capitaine Acron et Vlad, le jeune homme qui avait abordé Ksaten le premier soir, se présentèrent à l’auberge indiquée par Saalyn. Ni Daisuren ni Arda ne les accompagnaient. La prêtresse ayant perdu ses bagages s’était rendue en ville pour s’habiller. Elle avait entraîné sa consœur osgardienne, qui n’avait jamais possédé de toilettes de sa vie, avec elle. Le jeune frère de la noble Naytaine les accompagnait, autant comme escorte que pour suppléer à sa garde-robe disparue.

Les trois Yrianis avaient sorti de leur paquetage une tenue habillée typique de leur pays : une chemise blanche à jabot, une veste noire et un pantalon noir surligné d’une bande bleue sur la couture. Cette austérité était rompue par une large ceinture colorée — violette pour Rifar, rouge pour Dalbo et jaune pour Posasten — qui leur enserrait la taille, soulignant sa sveltesse.

Le groupe se reconstitua devant l’auberge. Rifar fut stupéfait en découvrant les deux femmes. Daisuren ne ressemblait plus à la fillette pouilleuse qu’ils avaient recueillie. Sa sage robe blanche couverte de rubans lui donnait l’air de la petite fille qu’elle était. Et elle en avait pris un peu l’attitude. C’était amusant, Rifar l’avait toujours considéré comme une adolescente alors qu’elle avait à peine atteint la puberté.

La transformation la plus spectaculaire était toutefois celle d’Arda. Elle avait troqué la tunique et le pantalon qu’on lui avait prêtés par une longue robe bleu sombre qui lui descendait jusqu’aux chevilles. Sa jupe, fendue d’un côté, découvrait sa jambe gauche à chaque pas. Et le haut était constitué de deux bandes de tissu partant de la taille, lui couvrant les seins, pour s’attacher derrière son cou, lui laissant le dos nu. La robe paraissait simple, mais elle tombait si parfaitement qu’elle avait dû nécessiter des ajustages. Seule une personne riche pouvait se les offrir. Apparemment, l’éparchie de Bayne était prospère.

Meghare avait adopté une tenue assez semblable à sa compatriote, à ceci près que les bandes se croisaient juste sous la poitrine et la couvraient davantage. Tradition locale à la province de Burgil ou hasard ? Vu la façon dont les deux femmes se détaillèrent, presque hostile, Rifar pencha pour la seconde possibilité.

Saalyn, qui en tant que stoltzin, on aurait attendu à laisser exploser sa beauté, paraissait presque sage en comparaison. Sa courte robe au décolleté carré ne dévoilait pas grand-chose. Elle aurait même paru chaste si le tissu n’avait pas été si fin qu’il laissait deviner la couleur de sa peau à travers.

Toutefois, la plus resplendissante restait Ksaten. Rifar, ainsi que tous ses hommes, l’avait vue nue. Ils avaient pu se rendre compte à quel point elle était belle. Elle ne semblait pourtant pas porter attention à ce fait ni en tenir compte dans ses relations avec les hommes. Jusqu’à ce soir. La jeune femme… Non ! Elle était déjà guerrière depuis longtemps quand son arrière-grand-père tétait encore sa mère. La stoltzin avait choisi une jupe en cuir brun, étroitement serrée, qui s’arrêtait à mi-cuisse. Elle exhibait des jambes que le caravanier aurait passé des heures à caresser. Ni musclées comme celles de Saalyn, ni fines comme celles de Bayne. Sa carnation se situait d’ailleurs à mi-chemin de ces deux femmes. Aux pieds, elle avait chaussé des sandales du même cuir que sa jupe. Il remarqua qu’elle avait verni ses ongles en rouge. C’était une habitude courante en Orvbel, mais rare en Helaria. Il fallait croire que les communications n’étaient pas totalement fermées entre les deux États. En haut, elle portait une tunique à manches longues boutonnée jusqu’au cou. Elle aurait été très chaste, voire austère, si elle n’avait été taillée dans un tissu transparent.

C’est vers elle, en tant que cheffe du groupe, que Rifar se dirigea. En approchant, il ne put s’empêcher de la détailler de haut en bas. Si elle le remarqua, elle n’en dit rien. Il ne put donc voir le regard intrigué de Saalyn vers Posasten. En tant que chef et commanditaire de la caravane, c’était à lui que cet honneur aurait dû revenir.

— Maître, vous êtes éblouissante, la félicita Rifar.

— Je vous remercie, répondit Ksaten d’une voix mélodieuse.

— J’étais loin de me douter que sous vos atours de guerrière se cachait une silhouette si ravissante.

— Alors vous êtes aveugle, répliqua-t-elle en riant. Lors de notre escale au lac, vous ne m’avez pas quitté des yeux.

Ah ! Elle l’avait remarqué. Sans comprendre pourquoi, il se sentit gêné. Il jeta un bref coup d’œil vers Meghare. Sous le poids de son regard, il se sentit rougir. Pour se donner bonne contenance, il offrit le bras à la guerrière libre sur lequel, très au fait des convenances, elle posa une main légère. Il remarqua du coin de l’œil Posasten qui faisait de même avec Arda. C’était logique, elle était la personne de plus haut rang parmi eux. Son capitaine, en revanche, délaissa sa compatriote pour préférer Saalyn. Qu’est-ce qu’un guerrier entraîné pouvait bien trouver à une chanteuse ? Cet oubli fut vite réparé par Dalbo qui proposa à Meghare de l’accompagner. Il ne restait plus que Daisuren à n’avoir aucun cavalier. Quand Dercros lui offrit son bras, elle hésita, jetant un regard plein d’espoir vers Nillac qui l’ignora. À son corps défendant, elle accepta le bras du jeune stoltzen.

— Vous n’aimez pas beaucoup les stoltzt, remarqua-t-il. Pourtant nous sommes très peu en Osgard.

Elle ne répondit pas tout de suite.

— Mon père disait que vous étiez des démons, maître en magie noire.

— Il nous confondait avec les gems. Nous avez-vous vus, Ksaten, ma sœur ou moi-même, lancer le moindre sort ?

— Saalyn. Elle se battait trop bien pour une femme.

— Ce n’est pas de la magie. Elle est guerrière depuis six cents ans presque. Peu de gens en ce monde atteignent son niveau.

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