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Et pourtant la vie de Lindsay n’était pas facile ; son travail harassant, ses mains meurtries, debout à longueur de journée ses jambes la faisait souffrir le soir. Elle s’occupait vaillamment de tout « à la maison » et avait transformé le grenier en un petit nid douillet, sans compter les soins constants prodigués à son Lorenzo, le génie planant haut dans le ciel, qu’elle maternait.

Et Lorenzo ? Était-il heureux ?

Cela lui est impossible. Cette équation n’a pas de solution ? C’est la quintessence de l’insatisfaction faite homme.

Fébrile, multi-taches, semblant tout le temps dans son monde, inconscient, aveugle aux réalités, Lorenzo avait, en fait, l’âme du voleur : tout le temps attentif au moindre détail, mémorisant la moindre information qui pourrait se révéler opportune. Il paraissait distrait, en fait il était si rapide qu’il observait tout, tout le temps.

Faisant une partie d’échecs avec la pauvre Lindsay qui rassemblait toutes ses forces pour tenter de survivre plus de quelques coups, il s’emporta soudain :

— Tes mains ?

— Hein ?

— Fais-voir !

— Mais…

Il s’empara des pauvres mains de la belle coiffeuse. Il palpa et trouva rapidement les zones douloureuses. La pauvre sourit gauchement et tenta de le rassurer :

— Tu sais… les brushings toute la journée…

— C’est pas possible ça… Tu ne peux pas continuer.

— Ce n’est rien, tu t’inquiètes pour…

— Tu n’as pas bonne mine. Tu as maigri ! Non, c’est bon, tu arrêtes.

— Mais enfin, qu’est-ce que tu racontes ?

— J’ai dit : tu ne bosses plus !

— C’est mon travail ! Tu n’as pas d’ordre à me donner ! Comment feront nous, tu ne gagnes plus rien…

— Je vais me débrouiller ! Mon problème.

— Je refuse de t’obéir !

— Tu refuses ?

— Je refuse !

— Regarde-moi bien, dans les yeux ! Regarde-moi ! Tu ne retournes pas travailler, répète !

— Tes trucs de Jedi, ça marche pas sur moi, je t’ai déjà dit !

— Silence : suis mon doigt du regard sans bouger la tête ! Écoute ma voix…

— Lorenzo, tu veux m’hypnotiser ? T’es sérieux, là ?

— Silence, femme !

Il se leva et tourna dans la pièce comme un lion en cage. Il finit par lui faire face, menaçant du doigt :

— Tu ne m’aimes pas en fait !

Elle se leva avec gravité :

— Comment peux-tu dire ça ? Tu es ma vie !

— Je suis ta vie ?

— Oui ! Tu le sais ! Je mourrais pour toi !

— Fais-le !

— Hein ?

— Meurs un autre jour ! Et fais ce que je te demande !

Lindsay baissa les yeux. Ce salaud pouvait faire d’elle ce qu’il voulait, elle le savait, d’autant plus qu’il ne demandait rien pour lui.

— Mais enfin…

— Tu ne bosses plus. Je gère.

— Tu vas faire quoi ?

— Un braquage… T’inquiète, c’est du gâteau.

Elle étouffa un cri de stupeur.

— Je rigole ! Je blague ! Tu me prends pour un voyou ?

— Tu es un voyou ! Tu vas finir en prison et moi j’en mourrai.

— Tu n’as pas le droit de mourir pour moi. C’est défendu, ça aussi.

— Alors, Lorenzo, j’en ai marre…

— Silence. Tu me fais mal à la chichette à tout discuter comme ça ! Tu m’épuises !

Il s’empara d’elle et la porta comme si elle ne pesait rien. En réalité, la pauvre avait encore maigri, si c’était possible…

— Repose-moi, espèce de brute !

— Non ! Moi le chef !

— Salaud, je te déteste !

— Ta copine est plus gironde que toi, tu sais, la belle Marie.

— Tu… Hein ? Tu t’es tapé... ?

— Nan… Je t’expliquerai… commença Lorenzo, hilare.

Une pluie de coups s’abattit sur son dos, ses épaules. Lindsay griffa et mordit le pauvre innocent.

Ce fut des minutes terribles entre eux, ponctuées de tentatives d’hypnose, de manipulations Jedi, d’envoûtements…

Finalement, très abattue, perdue dans la contemplation de sa tasse de thé fumante (boisson affectionnée par ce snob de Lorenzo) :

— Et je vais faire quoi ? fit-elle, très lasse. Esclave sexuelle, bonne à tout faire ?

— Tu vas d’inscrire à l’école d’assistante sociale. Et t’as intérêt à bosser, sinon tu seras battue à la savate.

Lindsay leva les yeux. Il était capable de dire des énormités avec un sérieux confondant. Et c’était le cas.

— Tu veux me battre ?

— Bah… obligé, avec les femmes… obligé. Je n’y prendrai pas de plaisir, note-le bien… Es ist meine Pflicht (c’est mon devoir) !

Il était dans sa période où il parlait allemand, lisant Goethe, une lubie.

— Tu serais incapable de porter la main sur moi, fit-elle avec un sourire provocateur.

— Tu crois ça ? Un type de mon calibre ?

— J’en suis certaine.

— Tu te goures !

— Tu me masses les mains depuis tout à l’heure !

— Mmmm… Tu m’agaces ! Tu sais que je ne t’aime pas, en réalité.

— Ne dis pas ça. Tu es probablement infidèle, volage, dragueur, mais tu m’aimes…

— Tu me prends pour un con ? fit-il scandalisé.

— C’est comme ça… Tu n’y peux rien. Autant accepter l’évidence.

— J’accepte rien du tout !

Un silence pesant se fit. Lindsay savait qu’il était inutile d’insister, il y avait des limites à ne pas franchir avec l’amour propre hypertrophié de Lorenzo.

— Pourquoi assistante sociale ? fit-elle enfin.

— J’ai connu une fille… C’est un job pour toi. Ça gagne plein de tunes, comme les profs, des nantis du système, je les hais. Et surtout, tu as l’âme du bon samaritain. Bordel tu me fais honte, t'es trop honnete... et tu aimes les pauvres ! Beurk !

— Tu as connu une fille ? Quand ? Qui ?

— J’ai oublié !

— Tu n’oublies jamais rien ! Racaille ! Menteur ! Cavaleur !

— Moi cavaleur ?

Et c’est ainsi que Lindsay reprit ses études. Ayant travaillé, c’était une difficulté supplémentaire, parce qu’elle avait perdu le rythme de l’apprentissage scolaire. Mais Lorenzo veillait au grain avec son insolence coutumière. La rage est une puissante motivation et Lindsay était souvent enragée contre cet insupportable phallocrate qu’elle aimait par-dessus tout.

Elle voulait lui prouver qu’elle y arriverait, pour qu’il soit fier d’elle, et aussi à tous les autres, à sa famille qui ne l’avait pas soutenue ni encouragée dans les études. Mais lui surtout… Il était insaisissable, comme le sable qui s’écoule inexorablement des mains. D’un instant à l’autre, il disparaissait, c’était une inquiétude constante pour elle, toujours dans la crainte qu’on lui annonce sa mort ou sa détention.

Pourtant elle s’accrocha. Lindsay n’avait pas une bonne mémoire et peinait beaucoup. Les notes n’étaient pas bonnes. Lorenzo intervint :

— La mémoire c’est une question de technique ! Mais tu es ignorante de tout !

Lindsay serra le poing, mais se contint, attendant patiemment l’explication limpide dont il avait le secret. Avec lui la lumière se faisait, le casse-tête devenait trivial. Il lui expliqua les techniques de mémorisation que, pas un enseignant -il les haïssait- ne lui avait donné et bientôt… elle fit des prouesses.

Elle reprit du poids. Ses mains cicatrisèrent, ses jambes ne lui pesaient plus le soir. Elle constata même, avec stupéfaction, que ses seins prenaient du volume : ils poussaient, et emplissaient (enfin) les bonnets du soutien-gorge.

Oui, les seins peuvent pousser ! Il y a des choses inexplicables comme ça… Non ? Un truc de fille, je crois, les femmes sont un mystère pour moi.

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