Chapitre 2 (1/2)

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Pour quiconque s'est intéressé aux liens entre politiques et grands patrons, l'affaire Marquise demeure le séisme médiatique majeur dont les répliques affectent encore élus du peuple et journalistes aujourd'hui. Nul professionnel du milieu n'a oublié le feuilleton surréaliste qui opposa à cette époque "Les Dossiers de la semaine" aux ministres du gouvernement, et son issue qui fit du simple nom "Marquise", un marqueur de honte et de scandale pour les années à venir.

L'histoire commence - si on peut le dire ainsi - lorsque le PDG du groupe Marquise, leader dans l'aéronautique, se prend au jeu de conquérir d'autres marchés en s'implantant dans les télécoms, l'énergie et surtout l'automobile. L'idée est ambitieuse, mais racheter des entreprises et remporter des contrats n'est pas aussi simple quand on débarque dans un marché où les concurrents sont déjà installés.

Heureusement pour lui, le PDG a une idée en tête: deux de ses anciens camarades de promotion viennent de booster leurs carrières. Pourquoi ne pas leur demander un peu d'aide ? Les deux compères acceptent et, forts de leurs nouvelles relations, commencent à promouvoir la cause de leur ami. Un petit coup de téléphone pour convaincre un maire, deux ou trois entrevues avec le ministre de l'Industrie pour faciliter un rachat, en quelques mois, l'opération porte ses fruits: Marquise croît.

Les résultats ravissent le PDG qui en retour, montre l'étendue de sa gratitude en prêtant aux deux hommes et leurs familles, ses résidences secondaires en bord de mer. Quoi de plus normal après tout de récompenser des efforts? Et si jamais la Sardaigne les attire plus que la Riviera, pas de problème: le numéro 1 du groupe affrétera son jet personnel, ou si ce n'est pas possible, un jet estampillé "Marquise" - aux frais de la boîte, cela va de soi.

Tout le monde trouve son compte dans cet échange de bons procédés, et même le ministre de l'Industrie, qui a accepté de donner un coup de main, est remercié de sa contribution. Un échange efficace, certes illicite, mais qui n'aurait pas fait autant jaser si les deux amis du PDG n'étaient autres que le Premier Ministre et le ministre des Transports eux-mêmes. Car à ces postes, le terme "échange de bons procédés" ne fait pas consensus chez les magistrats, qui lui préfèrent souvent le doux nom de "trafic d'influence", un terme qui peut amener à ses auteurs la bagatelle de dix années d'emprisonnement.

Arrive à ce moment un nouveau personnage aussi trouble que célèbre dans son milieu. Un personnage qui dispose de pouvoir par ses relations ainsi que d'une assise par ses possessions. Un homme connu sous le surnom de "Gérant". Le Gérant - Roger Malbec pour l'état civil - a une carrière longue et… disparate derrière lui. Tantôt vendeur immobilier, trader ou propriétaire de boîtes de nuit - ce qui lui aura valu son surnom - il aura su attirer et côtoyer nombre des membres de la haute société, leur proposant la jouissance de luxueux biens tels que des villas, yachts ou autres voitures de sport, mais en leur proposant aussi des soirées dans les carrés VIP de ses nightclubs les plus selects, lui rapportant au passage contacts - pour ses meilleures relations - et moyens de pression pour les pires d'entre elles.

A ce joli patrimoine, le Gérant ajoutait une petite armée de fidèles laquais, constituée durant sa carrière, qu'il envoyait filer ou épier ses cibles, pour accumuler du renseignement. Cambrioleurs chevronnés, anciens policiers véreux ou équipes de hackeurs, le bonhomme ne reculait pas devant un ou deux larcins pour s'assurer d'un avantage stratégique contre ses adversaires.

Cet homme ne tarda pas à faire la connaissance d'un certain Alexandre Vérini avec qui il se lia d'amitié, chacun profitant des avantages que lui accordait l'autre. Ainsi, si Tristan Dufrêne avait Vérini, Vérini lui, avait le Gérant qui lui apportait fidèlement les renseignements nécessaires pour manœuvrer son groupe dans les tourments du monde financier.

A l'occasion d'une partie de golf, le milliardaire présenta un Tristan alors fraîchement nommé au Gérant, scellant par là même, le début d'une fructueuse collaboration. Mis au fait de la présence de ministres dans les villas du PDG de Marquise, le Gérant en informa le journaliste qui, avec son équipe, foncèrent à la pêche de données bancaires, relevés téléphoniques et autres mails. Un travail auquel l'homme de l'ombre apporta sa touche, en obtenant un enregistrement clandestin du ministre par le biais d'un intermédiaire dont il tut le nom. Dufrêne le questionna un jour sur ses moyens d'obtention de preuves: "Aussi discrètement et légalement qu'on le peut", lâcha le Gérant en guise de réponse.

Tristan et son équipe rassemblèrent les éléments à l'encontre des trois ministres pendant plus de cinq mois. Plus que pour leurs travaux précédents, ils compilèrent, vérifièrent, recoupèrent à l'excès: on ne s'attaque pas à un Premier ministre sans être sûr de son coup. Mais le plus dur restait à venir et les éminences grises du journal, qui en avaient connu d'autres, prévinrent leur jeune supérieur:

- Peu importe ce qu'on écrira dans l'article, Tristan, le schéma sera le même: D'abord, ils diront que ce n'est pas vrai. Ils t'insulteront, et ils te traineront dans la boue. Si on passe ce cap, qu'on prouve nos dires, ils répondront que ce n'était pas vraiment ça, qu'ils ont fraudé pour une bonne raison. En t'insultant, bien sûr. Et même si au bout on les coince, ils diront que ce n'était pas si grave, qu'après tout, il y a pire qu'eux. Quoi qu'il en soit, attends-toi à la boue.

La veille de prévenir les concernés - comme la transparence l'exige - Tristan relut le texte à vingt-trois reprises et réexamina son dossier à l'affut d'une coquille imaginaire que jamais il ne trouva. Les ministres nièrent en privé et menacèrent le journal de poursuites en diffamation. L'heure était venue de lâcher l'article. Hasard du calendrier, le groupe Marquise devait signer le rachat d'un constructeur automobile de premier plan l'après-midi même. "Quand la Marquise séduit trois ministres" est l'article qui fit avorter la transaction.

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