LE RENDEZ-VOUS

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 Gabriel avait passé le week-end de Noël en famille chez ses parents. Tous n’avaient cessé de l’épier, certainement par peur qu’il ne craque et ne vienne gâcher la fête. Il était rentré dès le vingt-six, soulagé de ne plus suffoquer dans ce marasme de regards scrutateurs.

 Lundi après-midi, alors qu’il révisait ses cours, son téléphone le sort de sa concentration. Une voix féminine se présentait de la branche génome d’un des deux laboratoires pour lequel il était testeur. Elle lui avait indiqué qu’il avait été retenu pour un essai de longue durée tout en proposant un rendez-vous pour un premier entretien, dès le lendemain.

 Comme il avait une mission d’intérim pour les trois à venir, la rencontre fut fixée au vendredi à neuf heures. Avant de raccrocher, son interlocutrice lui avait précisé la fantastique opportunité qui lui était donnée de participer à un essai particulièrement novateur. Dans la mesure où ce dernier argument était souvent mis en avant aux testeurs, Gabriel s’interrogeait plus sur la « compensation conséquente » évoquée par son interlocutrice. Bien qu’il ne soit aucunement mercantile, c’était la première fois que l’aspect monétaire était agité aussi ostensiblement. L’argent n’était pas sa motivation première dans ce domaine, puis après tout... Il avait repoussé ses questions qui, de toute façon, ne trouveraient de réponses que vendredi, et repris ses révisions.

* * *

 Gabriel avait rangé, classé et étiqueté pendant trois jours afin de préparer l’inventaire d’un grossiste. Ayant déjà effectué la même mission pour cette entreprise, on lui avait laissé une certaine latitude. Aussi, il se perdait souvent dans les suites possibles des romans qu’il lisait alors que son corps agissait en automate. Qui avait enlevé et enfermé la belle jeune fille dans une cave, qu’allait-il lui arriver ? Le patron de la boîte allait-il baiser la strip-teaseuse soumise…

 Il ne savait pas pourquoi il ressentait tout cela aussi intensément. Ses parents lui disaient qu'il était un grand rêveur. Il fallait croire qu'ils avaient raison. Il vivait tout un panel de sentiments qu'il n'avait qu'effleurer ou rêver jusqu'à présent. Il voyait les images qui prenaient vie, les personnages y évoluaient, les actions qui se construisaient. Nul besoin d'une adaptation cinématographique pour Gabriel, il devenait rapidement le il ou la elle du livre du moment.

 Comme presque chaque nuit, il s’était endormi sur un livre, lisant jusqu’à l’épuisement pour que le sommeil l’emporte enfin. Il ne savait jamais vraiment s’il rêvait ou cauchemardait pendant la nuit. Même avec la meilleure volonté, il pensait qu’il s’était passé quelque chose pendant son sommeil sans ne jamais se souvenir précisément de quoi. Il était parfois confus entre rêve et réalité, c’était la conséquence.

 L’alarme de son téléphone, posait hors de portée, l’obligeait à lutter pour sortir de ce lit qui ne voulait pas le libérer. Il pensait à son rendez-vous, et s’évada de la chaleur de son couchage. Le petit-déjeuner a été expédié pour se rendre dans la salle de bain. Il se regardait dans la glace. Comme à chaque fois qu’il examinait son visage, cela se terminait avec la même amertume, pas un poil, même tout moche ou incarné.

 Il l’espérait à chaque fois, cette pilosité, quand bien même il savait que le dérèglement génétique et hormonal, cause de son micro-pénis, ne le lui laissait aucun espoir. Son visage restait glabre d’une quelconque barbe, tout comme le reste de son corps. Un jour, alors qu’il avait osé se regarder dans un miroir en pied, il s’était dit qu’il avait le corps d’un enfant du tiers de son âge. Une autre fois, il avait pensé que si son pubis avait été fort poilu, la brindille aurait pu disparaître dans la forêt pour donner l’illusion d’une chatte. Il en avait, pour une fois, beaucoup ri, d’autant plus avec son allure quelque peu androgyne.

* * *

 Gabriel avait de la chance, qu’un bus desserve la zone industrielle où se trouvait le laboratoire. Le cadre était un peu particulier par le silence qui y régnait. Il s’était souvenu que cet endroit aujourd’hui trop proche de la ville avait été déserté par les entreprises. La nature reprenait ses droits dans cet endroit qui avait des airs de ville fantôme. Le bâtiment qui abritait GenX n’avait aucun autre signe distinctif que le nom sur la boîte aux lettres.

 Coïncidence, il appréciait beaucoup un chanteur du nom de Billy Idol dont le groupe de ses débuts portait ce nom. Tombé par hasard sur un de ses titres, il était envieux du sentiment de liberté que lui inspirait le chanteur à la chevelure peroxydée. Il semblait pouvoir tout s’autoriser, y compris dans ses textes qui dataient d’une époque où il n’était pas même né.

 A la porte surveillée par une caméra, on lui autorisa l’accès après s’être identifié. Sans y paraître, le site semblait plutôt sécurisé, et il fût même fouillé et prié de laisser son téléphone et ses effets dans une consigne. On le conduisit ensuite vers Rachel qui se présenta comme son interlocutrice.

 Après qu’il eut signé un accord de confidentialité, elle lui dévoila enfin le but de l’essai pour lequel il avait été retenu. Elle lui expliqua qu’au moment où ils travaillaient sur la mise au point d’un vaccin contre une maladie occasionnant des mutations génétiques multiples, ils avaient, lors de différents essais, conçu une protéine de synthèse. Sa particularité était qu’elle pouvait restaurer le génome.

 Gabriel avait ouvert aussi grand ses yeux que sa bouche, et plus encore quand elle lui indiqua qu’il pouvait la programmer. Le problème était que cette protéine était aussi unique que l’adn auquel elle était associée. Elle devait donc être conçue individuellement jusqu’à ce qu’ils aient trouvé comment la rendre générique. Mais ce serait une autre étape.

 Le concernant, il avait été retenu, et il le comprenait maintenant, à cause de l’origine génétique de son micropénis. Rachel lui avait indiqué que si l’injection fonctionnait, son pénis se développerait et qu’il aurait une pilosité. Elle ne lui avait pas caché qu’il pouvait y avoir des aléas quant au degré de réussite en ce sens qu’ils ne pouvaient pas lui assurer que sa voix évoluerait par exemple.

 Mais il était déjà loin, en train de s’imaginer avec un beau pénis entouré de poils et d’un main évaluant la pousse de sa barbe comme le faisait son père ou son frère. Il l’écoutait d’une oreille distraite quand elle en vint à expliquer les effets indésirables de la restauration. Elle pouvait entraîner des changements de couleurs de cheveux, des yeux ou de la carnation de la peau. Oui, Gabriel en était déjà à imaginer sa nouvelle vie et même à envisager des prothèses de testicules. Oui, il était loin.

 Il s’était remis à écouter quand Rachel lui expliqua qu’il devrait venir tous les jours pendant les deux prochaines semaines pour des examens et des entretiens. Conséquences des implications possibles, ce serait quinze mille euros qui lui seraient versés. Lui qui n’avait eu quelques dizaines d’euros tout au plus, il n’avait pu cacher sa surprise. L’injection aurait lieu lundi, on lui laissait encore le week-end pour réfléchir.

 Encore sous le choc, Gabriel était pour le moins déstabilisé par l’implication de cet essai, avoir une vie normale. Sa réserve naturelle l’avait empêché de sauté de joie et d’embrasser Rachel pour cette nouvelle. Il avait également réalisé que GenX savait que de toute façon il accepterait, son injection était déjà prête.

 Il allait devoir patienter deux jours encore, certainement parmi les plus longs de sa vie.

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