Chapitre 1

4 minutes de lecture

L'ombre des arbres défile de chaque côté. La lune éclaire la nuit d'une lumière blême et maladive. Il y a du vent, peut-être, car les feuilles mortes volent, tourbillonnent avant de retomber brutalement sur le bitume. Tout est nimbé d'une sorte de ouate, asphyxiante.

Je n'entends plus rien. À peine les larmes qui glissent sur mes joues. A peine les virages, à peine les crissements de pneus qui tentent tant bien que mal d'accrocher à la route.

Dans le flou de mes pupilles, des flashs bleus commencent à clignoter. Je souris. J'entends le chant des sirènes. Ça veut dire que je ne suis plus loin du terminus.

Ma tête commence à tourner... Mon corps aussi... Les lumières se mélangent... Les images défilent... A l'envers, à l'endroit.

*

Parfois, nous ressentons étrangement que les choses ont suivi leur cours, même si nous les avons rejetées telles qu'elles étaient. Cette sensation peut survenir bien des années après leur déroulement. Ce n'est pas tant que notre perspective sur ces événements ait changé, ni même que leur signification ait évolué en raison de leur caractère révolu. C'est simplement que nous finissons par les accepter enfin. On finit par lâcher prise, car on s'épuise à se battre contre nous-mêmes et à ressentir de la colère envers tout et n'importe quoi, surtout envers ce qui fait de nous de simples êtres humains, sensibles et contradictoires. Je ne sais pas pourquoi. Peut-être que cela nous est enseigné à notre insu. Je ne comprends pas pourquoi nous courons toujours après cet idéal absolu, cette notion que nous devrions être heureux dans un univers idéalisé où les événements s'enchaîneraient parfaitement. J'ignore d'où vient cette envie de les raconter, alors que nous savons très bien qu'elles ne seront pas entièrement comprises, voire même partiellement entendues.

*

Je n'avais rien en poche lorsque je suis arrivé à la capitale. J'étais parti comme cela sans réfléchir. Aucune idée sur ce que j'allais faire demain. J'avais fait ma valise. J'avais donné mon congé à ma propriétaire moyennant un dédommagement substantiel. J'avais remercié mon patron d'avoir eu l'aimable gentillesse de me verser l'aumône qui atteignait à peine le montant d'un SMIC pour mes semaines de boulot de quarante-cinq heures. J'avais pris mon billet de train pour Paris et j'étais parti. Où allais-je dormir ? Est-ce que les personnes qui me connaissaient, s'inquiéteraient ? Aucune de ces questions ne s'était posée dans mon esprit.

Une fois arrivé, la première chose que j’ai faite, c’est aller m'asseoir sur les marches du parvis de la Gare Montparnasse. J'étais un peu perdu, un peu sonné d'avoir voyagé assis sur mon sac entre deux voitures. Il y avait des gens, plein de gens partout, qui allaient d'un côté, d'un autre, des enfants qui criaient, des petites amies qui téléphonaient à leurs petits copains parce qu'ils n'étaient pas là. Cela fourmillait sans qu'il y ait, ne serait-ce un espoir, à un moment donné, que ce grouillement s'atténue.

Et c'est ici, que je l'ai rencontrée la première fois. Je ne l'avais pas vue s'asseoir à mes côtés et ce n'est que lorsqu'elle m'a demandé du feu que je l’ai regardée. D’abord, j'ai sursauté et j'ai levé les yeux. Je n'avais jamais vu de créature pareille. Elle n'était pas jolie au premier sens du terme. Elle était sûrement trop petite pour être totalement mince, une poitrine suffisamment invisible pour ne pas entrer dans les canons de l'attirance masculine, des cheveux pas tout à fait blonds, un peu roux, mal lissés, emmêlés retombant lourdement sur des épaules toutes fines. Ses fringues étaient usées, mal assorties, un chemisier légèrement brun trop décolleté, un jean rapiécé de toutes parts avec des morceaux de tissus divers qui sentaient la récupération.

« Tu fais quoi ici ? m'a-t-elle demandé après m'avoir remercié d'un hochement de tête pour le briquet que je lui avais tendu. T'as l'air un peu perdu, non ? »

Je n'ai pas pu m'empêcher d'avoir ce sourire niais qui me trahit souvent quand je me sens découvert.

« Ouais, à vrai dire, je ne sais pas trop ce que je fais ici. Je viens d'arriver. Je suis un peu perdu, ouais... C'est un peu ça...

  • Ce sont tes bagages ? m'a-t-elle demandé en plantant son regard sur mon sac.
  • Oui. Deux ou trois affaires que j'ai sauvées au passage... C'est tout. »

Elle s'est mise à rire. Elle a tiré une longue taffe sur sa cigarette et a continué de pouffer. Je ne savais pas bien ce qui la faisait sourire comme cela mais c'était franc et je n'y discernais aucune ironie méchante.

« T'es marrant, toi... » a-t-elle fait.

Je ne comprenais pas.

« Fais pas cette tête-là... C'est juste que tu ne sais pas où t'es et tu ne sais pas où tu vas. Tu n'es pas le premier et tu ne seras pas le dernier à débarquer ici comme ça... »

Elle a détourné le regard un instant et a fouillé dans une de ses poches. Elle en a sorti un bout de papier.

« T'as un stylo ? »

J'ai fouillé dans mon blouson et en ai sorti un crayon. Elle l'a pris et a griffonné quelque chose.

« Tiens, prends ça... » m'a-t-elle fait en me tendant le papier avec le stylo.

J'ai attrapé les deux trucs l'air un peu incrédule.

« Tu n'auras qu'à l'utiliser en cas de besoin... »

J'ai déplié la feuille qu'elle avait pliée en quatre. C'était un numéro de téléphone. J'ai relevé les yeux et j'ai fait le tour du parvis du regard : la fille avait disparu. Comme si elle s'était évaporée.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 5 versions.

Vous aimez lire Eric Laugier ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0