Le potage, un peu trop clair pour la saison, est servi frémissant. Annah trempe des morceaux de pain dedans, et se brûle la langue. Elle sourit à l’aubergiste Tiroc, pour ce tranquille réconfort. Quelques personnes rient au fond de la salle principale de l’auberge. La sorcière sent que ce lieu goûte depuis peu une paix retrouvée.
« Tiens ! Une nouvelle gamine en ville ! » entend dire Annah dans son dos.
Elle se retourne, et voit l’homme jovial qui l’a désignée en tenue de travailleur légère, malgré le froid. La peau de son visage, comme celle de ses mains, indique qu’il œuvre dehors toute l’année sans souffrir des intempéries.
« Hervé, tu tombes bien ! Tu ramènes…
- Allons dehors » demande le nouveau venu à Norbert Tiroc.
L’aubergiste suit le livreur, abandonnant la salle à Alice, une serveuse bavarde.
« Tout le monde semble remarquer ma présence, avoue Annah à Alice. Parce que je suis seule, je suppose…
- Et aussi parce que les voyageurs ordinaires attendent les beaux jours, pour venir à Auren. Ne fais pas attention à Hervé ; c’est un transporteur de légumes et de salaisons qui ne quittera jamais le village, mais colporte les rumeurs sur tout le monde. Pas sûr que tout soit vrai, d’ailleurs… Mais ce n’est pas un mauvais bougre. Il a même empoigné, avec ses paluches sèches comme des feuilles mortes, Pierre le Brisé, le dernier des brigands qui étaient au service de Jacquot d’Agne… »
Annah commence à s’endormir sous ce déluge de paroles, mais le retour de Norbert la ramène à la réalité.