Chapitre 3 - Enquète

4 minutes de lecture

Quelques minutes plus tard, Mathilde était devant la bâtisse. Le rez-de-chaussée était en pierre brute, avec une porte bardée de fer. L’étage avait été rajouté récemment et était fait de chêne. C’était une de ces vieilles fermes que les nains avaient été heureux de vendre aux humains quelques milliers d’années plus tôt. On pouvait encore voir quelques symboles propres aux nains résistant toujours à l’érosion dans certaines des pierres.

La pluie se mit à tomber sur les sommets voisins. Le rideau gris s’avançait rapidement en un grondement sourd. Mathilde attacha rapidement sa jument sous un abri à bois accolé à la maison, puis la dessella. Elle se précipita ensuite devant la lourde porte. Elle tapa … Pas de réponse. Elle poussa le battant. L’intérieur était plongé dans l’obscurité. Une odeur putride provoqua un hoquet de dégoût. Mathilde passa son écharpe sur son nez et appela :

  • Frank ?? Frank le montagnard ?

Aucune réponse ne vint, elle insista :

  • Je suis Mathilde de Trécampa, je viens vous demander quand vous reviendrez au village … heu … les villageois veulent savoir si vous allez bien ?

Sa voix se brisa sur ce dernier mot. Elle avait le souffle court et une sueur froide coulait sur sa nuque. Elle éleva la voix une nouvelle fois, mais se tut avant d’avoir prononcé un mot complet.

Mathilde posa sa besace dans l’embrasure de la porte et en tira une chandelle et une pierre à feu. La petite flamme lui fit découvrir une cuisine d’une belle surface. Les étagères en acacia couvraient le mur de gauche. Une immense table occupait l’espace central. Une cheminée vide et froide trônait en face de la porte. Enfin sur la droite de la pièce une demi-cloison délimitait un couloir.

La jeune fille avança de quelques pas. Les étagères étaient couvertes de pots en terre cuite, pour certains scellés à la cire. Elle reconnut, dans certains pots, quelques unes des herbes que sa mère faisait pousser dans ce qu’elle appelait orgueilleusement « le jardin d’hiver » et dont la maigre récolte suffisait tout juste à soigner les habitants de la maison forte. Sur la table se trouvaient les restes d’un repas. Un imposant morceau de viande pourrissait dans un grand plat. Mathilde frissonna : la viande grouillait de vers blancs. C’est de là que venait l’odeur, Mathilde recula en plissant le nez. Elle s’approcha de la cheminée et entassa quelques brindilles et feuilles mortes sous une bûche à demi-consumée. Elle alluma une flambée avec sa chandelle. La fumée chassa quelque peu l’odeur pestilentielle. La jeune fille se dirigea vers le couloir. Sur sa droite, la demi-cloison se poursuivait jusqu’à l’escalier. Il y avait bien une porte, mais elle était fermée à clé. Mathilde n’insista pas et se dirigea vers les marches de bois. Chacun de ses pas émit un grincement sinistre.

La chandelle que tenait Mathilde d’une main tremblotante projetait des ombres mouvantes sur les murs. La pièce unique de l’étage était coupée en deux par un rideau. D’un côté le lit de Frank et de sa femme, de l’autre celui de leurs enfants. Une unique fenêtre était fermée par un volet. Il y avait sur le sol des tas de vêtements en désordre. Mathilde écarquilla les yeux devant les étoffes abandonnées, même sa mère ne possédait pas une telle garde-robe : voiles en soie anveline, gant de velours, cotte ajustée de lin teintée… Les yeux brillants, elle souleva une robe jaune en velours ornée de petites topazes. Avec pareil accoutrement, même la marquise aurait été à ses pieds.

Elle fut tirée de sa rêverie par le bruit étourdissant d’une soudaine averse sur le toit en bois. La robe n’était de toute façon pas à sa taille et ses maigres talents de couturière ne suffiraient pas à faire les modifications nécessaires pour changer ça. Un peu honteuse de s’être laissée distraire, elle reprit son exploration, non sans avoir précautionneusement rangé la robe en évitant tous plis inutiles. Elle découvrit plus de vêtements dans des coffres, mais ceux-ci étaient de bien moindre qualité. Il y avait aussi quelques livres dont les titres lui étaient familiers : Diamfria ; Précis des régions impériales. Seuls les apôtres de Numès possédaient le Diamfria. Une personne de cette maison au moins avait été initiée au temple de la déesse. Elle trouva aussi un carnet. L’objet était vieux et fort mal conservé. Mathilde ouvrit une page et comprit qu’elle avait affaire à un palimpseste. Les pages avaient tellement été effacées et réécrites qu’elles étaient presque transparentes. En de nombreux endroits, elles étaient déchirées ou trouées, rendant la lecture difficile. Mathilde glissa l’ouvrage dans sa besace et continua l’exploration de la pièce.

Elle savait en partant qu’il lui faudrait passer la nuit chez Frank. Cependant elle imaginait dormir en compagnie de la famille, après un chaleureux accueil et un repas chaud, pas seule dans une maison vide. Elle n’aimait pas dormir seule, chez elle, elle partageait sa chambre et son lit avec sa cousine Anna.

Pour retarder l’heure de dormir, elle installa sa chandelle sur le rebord de la fenêtre, s’installa sur le lit des enfants et sortit le carnet. Avide de savoir, elle observa les dernières pages remplies et tenta de les lire. L’écriture brouillonne et la qualité du papier rendait l’exercice difficile. Elle distingua un mot qui revenait régulièrement : pierre. Elle insista, mais les lettres étaient si mal tracées que les « s » étaient indifférenciables des « l », des « e » et des « f ». Forçant à la faible lueur de la chandelle, ses yeux devinrent douloureux. Elle abandonna et souffla sa dernière source de lumière.

Les yeux fermés, Mathilde sondait les bruits de la nuit. La pluie provoquait un martèlement sourd et constant. Rarement le grondement lointain du tonnerre venait troubler cette monotonie. Sous la poussée du vent, les bois de la maison grinçaient parfois, donnant l’impression qu’une personne déambulait de l’autre côté du rideau. Mathilde se força à expirer, elle avait retenu son souffle pour écouter avec plus d’attention. Elle ferma les yeux et essaya de détendre les muscles de son cou, de ses épaules et de son visage. Le temps s’écoulait laborieusement, comme un ruisseau boueux sur une pente faible. Finalement elle se sentit sombrer au fond du lit, elle griffa des ongles les bords de sa conscience pour ne pas sombrer, en vain.

Annotations

Vous aimez lire Eldir ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0