Chapitre 4 - Seule ?

6 minutes de lecture

Au matin le soleil filtrait à travers le volet. La jeune femme sentait un poids sur son corps, comme si Anna avait encore repoussé, en se levant, toutes les couvertures sur son côté du lit. Elle ouvrit les yeux. Séfria se tenait là, à califourchon sur son ventre. Un rai de lumière éclairait un sourire tout en dents qui déformait son beau visage. Une larme coulait sur sa joue. Mathilde voulait hurler, mais sa respiration était coupée par la peur. Séfria se pencha vers Mathilde en penchant légèrement la tête de côté. Son nez touchait presque celui de son amie et la larme de Séfria s’écrasa sur la joue de Mathilde. Séfria ouvrit la bouche. Mathilde regagna enfin le contrôle de son corps se dégagea d’un revers du bras. Elle hurla en s’échappant du lit et se jeta sur sa vieille épée. Lorsqu’elle se retourna les mains tremblantes, le tas de couverture était immobile. Elle en souleva un morceau de la pointe de son arme. Rien. Pantelante elle attrapa la couverture de sa main libre et la tira brusquement. Toujours rien. Ce n’est qu’après avoir vérifié sous le lit qu’elle accepta l’évènement comme un cauchemar. Elle remit son épée au fourreau.

Mathilde attrapa quelques fruits secs dans sa besace qu’elle picora sans appétit. À la lumière du petit matin, elle ouvrit le carnet et s’attaqua aux premières pages. Ici les lettres étaient tracées avec plus d’application et à force d’acharnement elle parvint à décrypter les premières pages. L’auteur expliquait avoir quitté sa famille pour entrer au temple de Numès à Pévarbu, la capitale d’une baronnie voisine. Un long passage était consacré à une personne sans pour autant que son nom soit mentionné. Les hyperboles et les rimes bon marché lui rappelèrent le poème mielleux qu’elle avait déclamé un an plus tôt en secret à Séfria à propos de Bastien de Nervaul. Le souvenir la fit rougir de honte, au moins avait-elle échappé au pire, Bastien n’avait jamais rien su de cela. Après avoir juré de ne plus jamais faire de poésie, Mathilde reprit sa lecture laborieuse. Quelques pages plus tard, elle massa ses tempes douloureuses. Elle posa le carnet sur le lit, attrapa ses affaires et descendit vers la cuisine. Le feu s’était éteint et l’odeur avait à nouveau envahi la pièce. Mathilde eut un hoquet. Elle pinça son nez et sortit.

Lila renifla de dédain à l’arrivée de sa maîtresse, Mathilde réalisa qu’elle ne lui avait rien donné à manger la veille.

  • Excuses-moi ! Je t'amène à l’herbe tout de suite.

Elle attrapa les rênes et emmena sa jument dans les herbes hautes pour lui permettre de brouter.

  • Tu penses qu’on devrait rentrer ?

Lila s’ébroua en signe de désapprobation. Rassuré par le son de sa propre voix, Mathilde continua :

  • T’as raison, on va passer pour qui ? on sait toujours pas où est Frank, ni sa famille. On pourrait profiter du soleil pour faire le tour des environs.

Joignant le geste à la parole, elle remit la selle puis s'engagea avec un enthousiasme discutable sur un petit sentier en direction de l’est. Elle remarqua ici un rocher d’une taille mémorable, là un arbre sec et biscornu. Le paysage gris et froid s’assombrit encore quand le soleil disparut derrière une épaisse couche de nuages. Bientôt la pluie reviendrait. Le sentier avait plusieurs petits embranchements vers le nord et le sud, mais tous ou presque avaient été envahis par les ronces. En fait, le sentier qu’elle suivait avait lui aussi été la proie des ronces, mais quelqu’un les avait récemment coupées. Finalement le petit chemin mena à une crevasse et se divisa en deux branches, l’une partant au nord de l’obstacle, la seconde au sud. Comme celle du nord était obstruée par une végétation dense, Mathilde continua au sud en chevauchant au pas sur un chemin inégal. Le ciel noircissait à vue d’œil. Finalement elle arriva devant la paroi de la montagne. Sur la gauche le sentier s’était effondré et les arrêtes encore saillantes de la roche à cet endroit contrastaient avec le reste de la paroi usée et lissée par l’érosion. Elle avisa une ouverture, comme l’entrée d’une grotte, mais en partie rebouchée par des briques. Elle essaya de s’approcher, mais Lila hennit et se cabra. Mathilde se raccrocha à l’encolure pour éviter la chute. Elle descendit et attacha la jument à un rocher, le plus loin possible de la grotte.

Elle s’approcha de l’ouverture. Un courant d’air froid s’en échappait, charriant une odeur de moisi. Plusieurs briques avaient été poussées à l’intérieur, suffisamment pour refermer complètement le trou. En les regardant de plus près, la jeune fille remarqua que ces briques portaient la marque de fabrique des nains. Elle entra en se baissant, un silence sinistre régnait dans la grotte. Mathilde s’activa sur sa pierre à feu. Ses mains tremblaient légèrement, mais sa chandelle finit par prendre. L’odeur de résine se diffusa autour d’elle. La faible lueur révéla une grotte artificiellement agrandie. Les murs étaient couverts de symboles étranges. Au sol, des planches d’un autre âge finissaient de pourrir. Mathilde hésita à avancer plus. Il y avait une sorte de renfoncement dans le mur du fond, comme une cuvette creusée à même la paroi rocheuse. Le souffle court, elle fit un pas. Un lointain coup de tonnerre fit écho à son geste. Elle avança un peu plus et regarda nerveusement à l’intérieur. Seuls quelques éclats de bois récompensèrent son courage. Elle leva les yeux et observa les symboles gravés sur les murs.

Elle ne connaissait pas vraiment l’écriture naine et peu de gens dans l’empire aurait pu se vanter de faire mieux. Cependant il y avait dans sa maison à Trécampa, un document extrêmement ancien datant d’avant la fondation de l’empire. La légende voulait que ce soit une déclaration d’amitié entre les nains de Kardhir et la maison de Trécampa. Mathilde avait passé un certain temps à l’observer espérant que son talent pour les langues étrangères lui permette de percer ce secret. Malgré son acharnement, les symboles lui étaient restés hermétiques.

Aucun des symboles gravés sur le mur ne ressemblait à ceux qu’elle avait vus sur le document, à tel point qu’elle était sûr qu’il ne s’agissait pas de la langue naine. Elle finit cependant par trouver un symbole qu’elle comprenait. Un symbole si universel en fait que tout homme l’aurait compris. Un crâne était gavé juste au-dessus de la cuvette.

Mathilde recula. Dehors la foudre tomba, projetant l’ombre déformée de la jeune fille sur le crâne gravé. Le grondement du tonnerre déchira le silence. La jeune fille sursauta et la chandelle s’éteignit en tombant au sol. Un hennissement de terreur retentit. Mathilde se précipita vers l’ouverture. Elle glissa sur le sol humide et tomba. Malgré une écorchure sur la paume de la main, elle se releva.

Lila avait réussi à sortir la longe du rocher et galopait sur le sentier. Mathilde s’élança à sa poursuite. La pluie se mit à tomber. De grosses gouttes s’écrasaient sur son visage. Elle appela sa jument, espérant contre toute logique la voir revenir. Elle accéléra, glissa et tomba dans la boue. Ignorant la douleur dans sa cuisse, elle continua à courir jusqu’à ne plus pouvoir. Pantelante, elle marcha suivant les profondes traces de sabot dans la boue. Elle chercha des yeux un des nombreux repères qu’elle s’était forcé de mémoriser à l’aller, mais tout était différent. L’air chargé de gouttes devenait opaque et l’eau qui coulait à gros bouillon sur son front et dans ses yeux n’arrangeait rien. En quelques minutes ses vêtements furent trempés jusqu’à la corde. Alourdie et frissonnante Mathilde avança encore.

  • Lila ! hurla-t-elle.

La montagne lui renvoya son cri de désespoir avec cruauté.

  • Maman ? murmura-t-elle alors que ses larmes se mêlaient aux torrents d’eau cascadant déjà sur son visage.

Personne ne pouvait l’aider à présent, elle était seule. Elle rassembla ses forces et reprit la route. Le froid et le poids de ses vêtements mouillés la ralentissaient considérablement. Une montée trop raide, une descente glissante, Lila aurait-elle pu passer un obstacle pareil ? Son pied dérapa et elle tomba en arrière glissant sur quelques mètres. Plus gênant que les cailloux aigus qui lui meurtrissaient l’arrière train, elle sentait le vide sous ses pieds. Elle se tenait assise au-dessus d’un précipice dont elle ne voyait pas le fond. Mathilde repoussa la panique qui menaçait de la submerger et se força à ramener ses jambes sur la terre ferme. À quatre pattes elle s’éloigna du bord et regagna le centre du sentier. Elle reprit sa route. Après ce qui lui sembla une éternité, elle vit le chemin s’élargir à nouveau. La pluie perdit un peu d’intensité. Enfin Mathilde aperçut l’ombre de la maison de Frank. Elle se précipita espérant que Lila l'aurait attendu là. Hélas nulle trace de la jument aux abords de la maison.

Annotations

Vous aimez lire Eldir ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0