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Louise tourne la clé de contact de sa moto. La machine tousse un coup, puis s'éteint. Tout est calme dans le voisinage. Pas âme qui vive, et aucune lumière ne brillent aux fenêtres.

L'air est doux. Quelques nuages glissent lentement devant la lune. Une légère brise fait bruisser les feuilles.

La jeune femme a garé son véhicule dans une allée discrète, entre deux immeubles situés en bordure de Beverly Hill, le quartier chic de Los Angeles.

Moulée dans une combinaison noire, elle soulève sa manche pour vérifier l'heure: 2 heures moins 10, parfait. Elle plaque un loup noir sur ses yeux, rabat sa cagoule sur son visage et resserre les sangles de son sac à dos.

Avec une souplesse féline, elle enjambe les haies et les balustrades clôturant les jardins des résidences. Sans bruit, elle grimpe sur le haut mur qui encercle une propriété endormie, puis se hisse dans un chêne immense. Telle une funambule, les bras écartés garants de son équilibre, elle empreinte doucement une branche imposante, poussant à un mètre du balcon d'une des chambres de la villa. Saut. Enfin, l'acrobate se cramponne au toit et s'introduit silencieusement par une lucarne entrouverte.

Elle ondule jusqu'au parquet sombre, au bout du couloir, et descend à pas de loup l'escalier aux marches suspendues. Rasant le pilier, Louise prend sur la gauche et arrive au cabinet de travail.

L'endroit semble vaste. Son appartement tout entier tiendrait ici. Une grande table moderne en verre et acier longe le mur, sur la droite. Trois larges écrans d'ordinateur en occupent un tiers de sa surface. Un siège à roulettes est placé devant. Au fond, une cheminée au manteau de platine rutilant fait face à une méridienne en tissu gris clair. Sur la gauche, une baie vitrée s'étale sur toute la longueur la pièce, elle est occultée par un volet roulant.

L'intruse balaye scrupuleusement les lieux du regard. Puis, elle se dirige vers le tableau abstrait accroché au mur, derrière le bureau. Elle pousse le fauteuil et décroche l'œuvre, un Detine bleu-irisé d'une grande douceur. Un coffre-fort apparait.

La jeune femme retire ses gants de cuir et pose délicatement ses doigts fins sur les roues crantées, sous le cadran digital. Pendant qu'elle tourne lentement la molette d'une main, elle note la combinaison décryptée à l'aide d'un crayon blanc, à même la façade, de l'autre.

Quand brusquement, elle perçoit des bruits de pas dans les graviers de l'entrée, suivis d'éclats de voix. La serrure clique-tique.

"Je sais que t'as faim, c'est bon, j'ai compris!"

Retenant son souffle, tapie dans l'ombre, elle perçoit les crépitements de griffes d'animal sur le parquet. En un clin d'œil, elle tire une boite de friandises canines odorantes, de son sac. D'un geste vif, elle en jette une poignée à son opposé.

Elle entend maintenant des croquettes tomber dans une écuelle en métal, au loin dans la cuisine.

Alors qu'elle s'apprête à repartir silencieusement par où elle est venue, elle sent qu'une personne marche vers le bureau.

Le cœur de Louise s'affole.

La porte s'ouvre. On actionne l'interrupteur. Découvrant le siège de travail au milieu de la pièce et le tableau par terre, le propriétaire de la maison saisit un club de golf qui dépasse d'un porte-parapluie. Il s'avance prudemment, la tige en joue, levée au dessus de l'épaule, et annonce d'un ton menaçant:

"Y a quelqu'un? J'ai appelé la police!"

Se faufilant dans son dos, Louise répond calmement:

"Donnez-moi ça, vous allez blesser quelqu'un."

Le disant, elle attrape l'ustensile et simultanément, presse la détente d'un brillant petit pistolet à vaccins, contre le cou de l'homme.

"Laissez-vous faire, ne luttez pas. Je vous retiens."

Elle l'encercle de ses bras tandis qu'il perd connaissance.

A son réveil, quelques instants plus tard, il se trouve solidement entravé par des colliers de serrage en plastique, liant ses poignets aux accoudoirs du siège.

"Qu'est-ce que vous m'avez fait?", articule-t-il péniblement. Sa tête, visiblement trop lourde, balance indiciblement.

La cambrioleuse affiche un visage désolée.

"Tout d'abord, je tiens à vous présenter mes plus vives excuses concernant ce désagréable incident. Normalement, nous n'aurions pas dû nous rencontrer, mais je dois finir ce que j'ai commencé... Votre coffre est un Harrold, or son signe particulier est d'avoir un temps imparti entre chaque chiffre composé dans la combinaison. Lorsque vous m'avez interrompu, il me manquait le dernier chiffre. Mon silence a donc été compté comme une erreur, bloquant le mécanisme pour une heure."

Le chien, se léchant les babines après s'être régaler des gourmandises apportés par la jeune femme, désormais, lui réclame joyeusement des caresses, en remuant la queue. Elle lui accorde avec plaisir.

"Coriace, votre garde du corps! Comment il s'appelle?

- D... Drogo, répond-t-il, le souffle court.

- Il a l'air moins antipathique!, ironise-t-elle.

- Hein, quoi?? Aaaah ma tête!

- C'est rien, ça va passer... 15 minutes, 30 vraiment au maximum! C'est du tranquillisant pour fauve que je vous ai injecté... Vous devez boire, ça ira mieux. (Elle sort sa gourde de sport.) Tenez, buvez... Je suis tellement navrée.", supplie-t-elle presque.

L'homme boit une demie douzaine de gorgées, goulument.

"Dites, la cheminée, c'est du snobisme? Non parce que, à la base, ce système est conçu pour réchauffer les habitations, mais ici il fait 25 degrés à l'année...

- Je... Quoi?! , bredouille-t-il, sonné.

- Pardon, c'est stupide comme question, je dis n'importe quoi quand je suis nerveuse.

Un long silence s'installe.

Elle reprend, rougissante:

"Vous avez un physique à faire du cinéma."

Depuis le premier coup d'œil, elle est troublée par cet homme, son allure, ses yeux bleus si expressifs, son visage subjuguant de perfection.

- Effectivement, je suis acteur.

- Tiens donc, et où aurais-je pu vous apercevoir?

- Avez-vous Superman?

- Le dernier que j'ai vu date du début des années 80. Vous n'étiez même pas né!

- Avec Christopher Reeves? Je connais, je l'ai vu quand j'étais enfant. J'ai 35 ans, pour information!

- Je ne suis pas très au fait des nouveautés cinématographiques. J'ai un net penchant pour les vieux films.

- Genre Forest Gump ou Beetlejuice?, interroge-t-il, tout à fait remit.

- Genre "Certains l'aiment chaud", Maryline est juste délicieuse dans ce film.

- Pas vu.

- Comment?! Sacrilège! Je...

La jeune femme pâlit tout à coup.

"Quoi? Qu'est-ce qu'il y a? , demande-t-il, surpris.

- Notre conversation est complètement surréaliste! Jamais dans l'histoire du cambriolage, le voleur et la victime n'ont échangé ainsi sur leurs goûts. Je suis la honte de la profession!", s'exclame-t-elle, penaude.

L'homme ne peut réprimer un rire sonore.

" La victime, allons donc, comme vous y allez!

- Je m'introduis illégalement chez vous, dans le but avoué de vous dépouiller. Je vous retiens en otage. Navrée mais..."

Un infime grésillement retentit.

La jolie criminelle se positionne devant le coffre. Avant de débuter la manœuvre, elle se retourne vers lui, lui intiment le silence en pointant un index manucuré devant ses lèvres rosées.

Pendant qu'elle s'attèle à numéroter correctement, le captif profite de cette accalmie pour détailler la ravisseuse. Sa tenue particulièrement ajustée, trahie, pour son plus grand ravissement, chaque courbe de son corps élancé, sa taille menue, son fessier musclé...

A l'ultime tintement qui déverrouille la porte, mais avant de l'ouvrir, elle sautille vers son prisonnier, pivotant la chaise afin de lui éviter la vision traumatisante d'un vol, sous ses yeux, impuissant.

"C'est très prévenant de votre part, complimente-t-il.

- Je vous en prie.

- Il n'y a plus rien dans le coffre, au fait. J'ai acheté la maison il y a un mois, j'y ai fait faire des travaux que j'ai payé ce matin. Désolé!

- Il reste 2000 $, c'est mieux que rien!", confie-t-elle, amusée, en comptant une liasse esseulée.

Glissant sans bruit jusqu'à lui, Louise susurre à son oreille:

"Pardon pour ça aussi..."

Elle inocule une autre dose de calmant dans l'avant-bras dénudé de l'homme. Le contournant, elle se penche, avançant sa bouche prés de la sienne:

"J'espère que vous viendrez hanter mes rêves..."

A ces mots, elle l'embrasse tendrement, alors que sa vue se brouille déjà.

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