PROLOGUE

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Rovor est-il vraiment passé par le pays d'Ikryl ?

Une interrogation récurrente pour Ovaïa d'Eraland, qui s'associait à ses états d'âme, si sombres au fil des jours qui passaient. La jeune femme se concentra sur une missive destinée à son beau-père. De sa part, elle espérait des réponses et des nouvelles, qu'elles soient bonnes ou mauvaises.

Quatre mois ; le temps écoulé depuis le départ de son conjoint, sans adieu, sans explication, sans même lui laisser ne serais-ce qu'une lettre. Elle et son frère avaient mené l'enquête. Ce fût pour découvrir que le jeune homme était parti, en compagnie d'un apprenti-mage, en direction du nord ; le pays de Surilor.

Pour quelle raison ? Mystère.

L'heure n'était plus aux spéculations, mais aux actions. Il devait revenir au plus tôt.

Elle posa une main sur son ventre. Il commençait tout juste à s'arrondir. Le bébé qu'il abritait donna un coup de pied. Ovaïa sourit avant de soupirer, puis poursuivit sa prose épistolaire.

*

Sous un soleil radieux, une aérienne brise printanière agitait les ramures des arbres du domaine. Heureux, les gens s'interpellaient en vaquant à leurs occupations, les rires des enfants qui se taquinaient sous les pruniers en fleurs, ricochaient en éclats cristallins. Les pétales s'égaraient dans les chevelures ébouriffées, caressaient les joues, effleuraient les tendres lèvres des bambins.

Soudain, venant du nord, une vague ardente étouffa le domaine, assécha d'un seul coup l'eau des fontaines, avant de raccornir les frondaisons. L'inquiétude interrompit les activités ; des servantes, malgré la chaleur, frissonnèrent d'effroi et les chevaliers rassemblés dans la cour pavée de pierres, pressentant le danger, sortirent leurs épées. .

Akeron d'Eraland et son fils quittèrent leur demeure au moment où progressivement, le ciel se couvrait et se teintait de rouge, baignant ainsi les êtres et les choses d'incarnat. Une forte odeur d'ammoniaque se répandit dans l'air ambiant, des nuées devenues purpurines tombèrent d'innombrables et ignobles créatures. L'une d'elles chuta juste devant eux, ils sursautèrent de concert. Dès lors, tout alla très vite. Le diable de son glaive transperça l'ainé de part en part.

Akeron s'écroula sur les marches du perron, supplia dans un souffle.

— Sauve... Ovaïa..

Malgré les différentes émotions qui le transperçaient, le jeune homme perçut du coin de l’œil un assaut de l’être démoniaque. Vif, il dégaina l’arme de son fourreau ; l’offensive fut parée sans une once d'hésitation. Empreint de frénésie justicière, il repoussa l’assassin. Tel un ours enragé, il enchaina attaque et esquive. Agonisant d’un ultime râle, son père succomba.

L'héritier d'Eraland tua la créature avant de se ruer dans la maison...

*

Une soudaine clameur ; la jeune femme sursauta.

Le cœur battant, l'oreille aux aguets, Ovaïa frissonna. Elle percevait des cris stridents, des hurlements d'effroi, des appels à l'aide. Elle posa sa plume sur sa table de travail, ses doigts tremblaient. La porte s'ouvrit brusquement sur Oréon.

— Le domaine est attaqué !

Il insista, car elle restait tétanisée.

— Ovaïa, nous devons fuir !

Dans un fracas épouvantable, la fenêtre explosa. Un vent brûlant pénétra dans la pièce, suivit d'une créature de cauchemar. La face obscure et grimaçante de cet être les révulsèrent  ; avec ses petits yeux rouges qui luisaient de cruauté, des dents pointues et jaunâtres, une bouche tordue de haine d'où émanait une odeur pestilentielle.

Le jeune homme poussa sa sœur hors de la chambre. Tous deux détalèrent enfin, le démon sur leurs talons. Ovaïa sentait le sang battre à ses tempes ; son souffle devenait sifflant ; ses jambes flageolaient. Les hurlements de la créature leur vrillèrent les tympans, tandis que des vagues d'air crépitant arrivaient jusqu'à eux, menaçant de les submerger, les consumer.

Ils atteignirent l'escalier. Elle, était presque à bout de souffle. Enveloppant son ventre de ses bras elle gémit en grimaçant.

— Je.. n'en... peux... plus !

— Nous devons atteindre les écuries.

Ils dévalèrent les escaliers. Les jeunes gens, peu après, surgissaient dans la pièce principale ; en flammes ! Oréon, rebroussant chemin, entraîna sa sœur vers les communs ; le diable, haineux, les talonnait. Ils traversèrent le manoir incandescent sans que le malfaisant les rattrape. Parvenue dehors, leurs visages se figèrent d'horreur. Ils ne reconnaissaient plus ce qui les entouraient : le ciel rouge sang, les jardins en proie aux flammes, les statues brisées, et les démons qui massacraient leurs gens. Aucun n'avait le temps de s'enfuir, à peine l'occasion de se battre et de résister.

— Il faut les aider.

— Hélas, nous ne pouvons plus rien faire pour eux.

— Tu ne penses pas ce que tu dis, et notre père...

Dominant avec peine l'émotion qui le submergeait, il parvint à avouer.

— Je... suis désolé, Père..il est mort.

Soudain le jeune seigneur l'attrapa à bras le corps, la tira en arrière, dégaina son épée ; leur diabolique poursuivant bondit sur lui, le frappa. Il para l'attaque et après une courte rixe parvint à l'embrocher. À sa grande surprise, le démon hurla, se désagrégea. Oréon reprit son souffle. Puis, sans un mot, incita Ovaïa à le suivre. Une fine sueur couvrait son front. Sur sa chemise, une fleur de sang s'épanouissait ...

Docile, elle restait près de son frère, qui, sans tenir compte de la douleur qui lui déchirait le flanc, frappait de taille et d'estoc tous les démons qui se mettaient en travers de son chemin. L'épée des seigneurs d'Eraland s'avérait extrêmement efficace, bien plus qu'il ne l'aurait cru. Enfin, ils s'approchèrent des stalles ; elles se consumaient.

Des animaux attendaient à l'écart sous un appentis. Un lad, terrorisé, et miraculeusement épargné des exactions des démons jusqu'ici, tenait entre ses mains les rênes de plusieurs destriers, dont ceux d'Ovaïa et d'Oréon. Le jeune seigneur les récupéra, en le remerciant. À cet instant, Le servant cédant à la panique et sans répondre détala.

Le jeune seigneur aida sa sœur à se jucher sur une des montures, grimpa ensuite sur la sienne. Ovaïa remarqua alors, le sang qui poissait le vêtement de son frère. Il posa sur elle un regard incertain, sa vision se troublait, la douleur l'envahissait. Il s'efforça de sourire, puis pris d'un accès de faiblesse, se relâcha, glissa de sa monture. Elle mit pied à terre, se précipita, se baissa et tenta de le relever. Il protesta.

— Ne t'attarde pas ! sauve-toi... tant que c'est... encore possible...

— Mais...

— Ne discute pas !

Il désigna son destrier et surtout l'épée familiale qu'il avait glissée dans la gaine accrochée à la selle.

— Prends... mon étalon, il est... rapide... robuste et... prend soin de l'épée de Père. Désormais, elle est l'u.. unique trésor qu'il reste à notre famille, avec... ton en...fant.

La faiblesse avait presque raison de lui. Ovaïa allait protester encore, mais un hurlement de souffrance l'alerta. Elle tourna la tête sur sa droite et déglutit péniblement. Là, devant ses yeux écarquillés de terreur, un diable éventrait le lad avec une sauvagerie inouïe.

La voix souffrante d'Oréon s'éleva.

— Si tu attends encore, il sera trop tard !

Elle se remit debout en tremblant.

— Je ne peux pas...

— Tu es dorénavant... l'aven...ir de la lignée...

La jeune femme posa sa main sur son ventre. Gorge serrée, yeux qui débordaient de larmes ; brisée à l'idée de le quitter. Pourtant elle grimpa sur le cheval. Son frère, d'un effort surhumain, se releva, frappa la croupe de l'étalon qui partit au galop. Ovaïa serrant les rênes se tourna une dernière fois vers Oréon. Son cœur se glaça ; Plusieurs démons réduisaient en charpie le dernier seigneur d'Eraland.

Elle hurla son chagrin, tandis que l'étalon l'emportait loin du domaine d'Eraland, loin des haineuses et féroces hordes de malfaisants qui, sans qu'elle ne puisse rien y faire, poursuivaient leur terrible œuvre de dévastation.

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