LE MARAIS - 3

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La vieille femme intervint, c'était la première fois qu'elle s'exprimait depuis qu'Ovaïa était arrivée. La surprise transparaissait dans le son de sa voix éraillée et grave.

— Tu as un enfant avec toi ? Comment est-ce possible ? Aucun n'est né vivant, depuis le début de la grande obscurité. Ici en tous les cas.

Elle s'avança vers la voyageuse qui eut un geste de recul.

— Tu n'as rien à craindre. Je veux juste jeter un coup d'œil à ton bébé.

Ovaïa hésita encore, avant d'écarter le châle. La vieille plongea son regard à l'intérieur du cocon. Une odeur forte monta à ses narines. La voyageuse restait sur ses gardes.

— Viens avec moi, je vais te conduire sur un lieu de repos, tu pourras t'occuper de ton enfant, et de toi aussi. Tu parleras avec Tulo plus tard.

Elle se tourna vers le chef .

— Tu es d'accord ?

Il accepta bien sûr. La prophétesse prit la jeune femme par un bras, et l'attira hors de la salle.

Ovaïa ne protesta pas. Elle se laissa conduire.

Elle l'emmena dans une pièce, assez petite. Au regard de la voyageuse, elle semblait digne d'un palais. La couche, se limitait à un matelas posé à même le sol. Pour Ovaïa Il représentait le summum du confort. En s'y laissant tomber, elle prit conscience de son immense fatigue.

La vieille femme Interpella une jeune fille se trouvant là .

— Apporte des linges et une cuvette d'eau à notre visiteuse, à manger et à boire aussi.

L'adolescente obéit, et la prophétesse retourna auprès d'Ovaïa.

Celle-ci venait de se délester de l'épée et son fourreau. Elle ôta sa veste de peau, puis dénoua les lacets de la protection en cuir, qui entourait son bébé.

En dernier, elle enleva le châle avec précaution et posa l'enfant sur le lit, une odeur pénétrante envahit la pièce.

La jeune femme n'avait plus sur elle qu'une chemise de lin froissée, déchirée et tâchée par endroit, en plus d'un corsaire de coton rouge brodé, qui avait connu de meilleurs jours. L'ancienne remarqua sa maigreur.

Ovaïa songea qu'elle devait, peut-être, trouver son apparence bien misérable.

"qui s'en soucie à présent ? Ce sont des préoccupations d'un autre temps. D'une époque révolue où l'opulence était reine." se dit-elle finalement.

Ovaïa se rappela cette insouciance. Elle arpentait le château de son père fièrement, consciente de sa séduction qui faisait tourner la tête des hommes. Au moins de ceux qui fréquentait assidûment la cour d'Eraland. C'était avant son mariage avec Rovor d'Ikryl. Avant qu'elle ne découvre qu'il était loin du mari idéal imaginé par son romantisme.

La voix de la vieille femme la fit tressaillir. Elle sortit de sa rêverie éveillée qui, une fois de plus, l'avait emportée bien loin de sa condition présente.

Elle fixa la prophétesse.

— Pardonnez-moi, j'étais ailleurs, je n'ai pas compris ce que vous disiez.

— Ce n'est pas si grave, je te demandais quel âge avait ton bébé ?

— Cinq ou six semaines.

Elle s'assombrit .

— Il est né au début du mois de la lune noire, enfin je crois...

Une voix timide l'interrompit.

— Où dois-je mettre ceci ?

Elle leva la tête vers la porte. L'adolescente revenait, les bras encombré de linges et d'objets divers.

— Assieds-toi sur les nattes, Diri, et attends. ordonna la vieille

La prophétesse reporta son attention sur Ovaïa, elle lui sourit.

— Ma petite fille, va t'aider. Confie-lui ton bébé, elle a l'habitude, elle sait s'y prendre.

Ovaïa était trop lasse pour refuser. C'est elle qui mit son fils dans les bras de Diri.

La jeune fille déposa l'enfant sur les nattes, le démaillota, et s'en occupa avec célérité et adresse.

Ovaïa regarda ensuite la prophetesse, son visage se tendit légèrement, car elle l'observait.

— Donc tu viens d'Eraland, n'est-ce pas ?

— Oui.

— D'où exactement ? Le royaume d'Eraland est vaste.

— Quelle importance ? Il est détruit à présent, ce n'est plus qu'un champ de ruines, une terre stérile, envahie de démons !

Elle frémit. La prophétesse la scrutait avec une attention soutenue.

— Tu es la fille du seigneur d'Eraland, la fille d'Akéron.

Ovaïa sursauta. Éberluée, elle fixa l'ancienne. Celle-ci eut un lent sourire.

— Ne sois pas autant surprise, le royaume d'Eraland est puissant et connu. Par ailleurs, ton épée trahit tes origines. C'est évident pour le devin que je suis.

— Je pourrais l'avoir trouvée ou volée, cette épée...

— C'est le cas ?

Elle cilla, haussa les épaules et détourna la tête.

La vieille insista.

— Si tu me parlais un peu de ce qu'il t'est arrivé ?

Un silence suivit. Ovaïa contemplait Diri, qui s'occupait toujours de son fils.

— Quand j'ai quitté ma terre natale, tout était détruit. Je n'ai échappé que de très peu à l'anéantissement. J'étais enceinte de mon fils. Aujourd'hui encore, j'ignore par quel miracle, j'ai survécu.

La prophétesse se contenta de ce résumé succinct du drame qui avait anéanti la famille de la jeune mère. Cependant elle déclara avec une certaine conviction :

— Les dieux t'ont protégée.

Ovaïa tourna vivement la tête vers elle.

— Les dieux nous ont abandonnés !

— Pourtant tu vois ta survie comme un miracle ? La tienne et celle de ton enfant. Je ne crois pas que tu penses vraiment ce que tu dis.

Les épaules de la jeune femme s'affaissèrent, elle paraissait brusquement accablée.

— Pardonnez-moi, je ne voulais pas vous offenser.

— Je ne me sens pas offensée.

Sur cette phrase la devineresse se leva .

— Je vais te laisser te reposer, tu en as besoin, nous nous verrons plus tard, prends soin de notre visiteuse. ajouta-t-elle à l'intention de Diri.

Elle quitta la pièce sur ces mots.

Plus tard, Ovaïa étendue sur la couche, son fils tout contre elle, se sentait plutôt bien.

Elle s'était un peu nettoyé, s'était restaurée, avait bu. À présent, elle nourrissait son enfant, elle avait beaucoup de lait, c'était le cas depuis sa naissance. Pourtant elle n'avait pas souvent mangé à sa faim. Quant à étancher sa soif...

Elle songea que la devineresse avait peut-être raison, que les dieux les protégeaient vraiment elle et son fils.

En fait, depuis son départ d'Eraland, elle n'avait pas l'occasion de se poser ce genre de questions méthaphysiques. Ses préoccupations pragmatiques, prosaîques, empêchaient qu'elle s'y arrête.

Par association d'idées, elle pensa au dernier service religieux auquel elle et sa famille avait assisté.

À la fin de celui-ci, l'officiant avait eu une sorte de malaise, il s'était écroulé inconscient près de l'autel. Cela avait épouvanté les fidèles, elle y comprit.

C'était dix jours avant l'invasion du domaine, mais déjà, à l'époque, de terribles histoires étaient parvenues jusqu'au castel de son père. En tous les cas, beaucoup avaient vu un mauvais présage, dans la mort de l'officiant.

Son fils cessa de boire, elle sortit de ses souvenirs.

Ovaïa contempla l'enfant et sourit, celui-ci dormait presque. Un vague sourire venait de s'égarer sur son visage aux joues rondes et roses. Une goutte de lait s'attardait à la commissure de ses lèvres.

Ovaïa se détendit tout à fait. Elle ferma les yeux. Doucement, elle glissa vers le sommeil...

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