LE MARAIS - 4

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Le rêve l'emporta vers le passé...

"Elle était petite fille, elle courait sous les arbres. Le printemps les chargeait de fleurs. Le vent léger détachait des pétales rose tendre qui venaient se perdre dans sa chevelure, son frère la poursuivait en riant. Elle riait aussi. La voix de leur gouvernante les appelait, debout sur le balcon de la salle d'étude, qui donnait sur le jardin, la dame les grondait.

— Jeune seigneur, jeune demoiselle, revenez immédiatement ! La leçon n'est pas terminée ! Obéissez ou votre père en sera instruit et gare aux gronderies !

Ils se contentaient de rire et de rire encore, jusqu'au moment où le ciel devenait menaçant.

De lourds nuages rouges et sombres s'accumulaient au-dessus de leurs têtes, ceux-ci-ci s'ouvrait, une pluie noire tombait sur les enfants et le jardin, le feu les engloutissaient.

Des créatures grimaçantes dégringolaient sur eux, Ovaïa hurla lorsqu'elles attrapèrent son frère et le dépecèrent."

La jeune femme se redressa sur la couche, en sueur, et le souffle court. Avait-elle vraiment hurlé, ou son cri n'avait-il été qu'intérieur ?

Elle fixa son bébé, celui-ci lové contre sa poitrine, dormait à poings fermés. Cela apprit à Ovaïa que sa terreur avait été silencieuse. Elle se recoucha.

Comme souvent, les souvenirs s'étaient entremêlés pour former un cauchemar terrifiant. Ne restait de celui-ci, qu'un immense chagrin. Oui, son frère avait été tué sous ses yeux, il s'était sacrifié pour la protéger. Il lui semblait encore l'entendre crier.

"Sauve-toi, ma sœur ! "

" Tu es l'avenir de notre lignée ! "

Là, c'est au bébé niché dans son ventre à l'époque, qu'il pensait. Puis ses cris s'étaient mués en un gargouillement mêlé de douleur.

Elle s'était enfuie, la peur au ventre et sans regarder derrière elle, mais le cœur déchiré de ne pouvoir mourir avec les siens.

La voyageuse posa ses yeux sur la lucarne donnant sur l'extérieur. Une faible lueur entrait dans la pièce. Elle se demanda quelle heure il pouvait être, il était difficile à présent de se situer dans le temps. Le ciel perpétuellement couvert de nuées, jetait sur le monde une lumière rougeâtre.

Alors comment savoir si on était le soir ou le matin, ou encore en pleine nuit ? En fait, et comme souvent, elle cessa de se poser la question, bâilla, ferma les yeux, et se rendormit.

La jeune mère s'éveilla de nouveau. Cette fois, aucun cauchemar n'avait troublé son sommeil.

Elle remarqua qu'une lumière un peu plus forte passait par la lucarne. Son enfant s'agitait en poussant de petits cris impatients. Elle glissa entre ses lèvres, un mamelon, elle se laissa aller.

Cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas ressenti un tel sentiment de sécurité, de plénitude. La jeune femme se dit qu'il serait rassurant de rester dans cette communauté, de poursuivre parmi ces gens accueillants et simples une existence sans soucis.

Soudain l'évidence s'imposa à elle : Cela ne durerait pas.

Ces personnes, tôt ou tard, seraient rattrapées par les horreurs quotidiennes qui sévissaient sur le monde. Cette sécurité présente était illusoire.

Elle ne pouvait pas se laisser endormir ainsi. Son unique priorité : retrouver son époux. La jeune femme se redressa. De nouveau l'urgence de sa mission occupait toutes ses pensées

Dans la salle du conseil, la prophétesse et le chef, discutaient. Jolo qui se tenait à l'écart, écoutait avec attention.

Les deux autorités de la communauté s'opposaient à propos de la visiteuse. Tulo était mécontent.

— Ce n'est pas la manière d'agir du clan. Ce que tu veux faire entachera son honneur. Nous avons une tradition d'accueil qui garantit au visiteur, une totale protection, jusqu'à son départ. Je ne peux pas te suivre cette fois, Latiri.

— Nous vivons une époque difficile, Tulo. Les traditions anciennes doivent s'effacer lorsque la survie de tous est en jeu. Dis-toi que j'arrive encore à tenir à l'écart d'éventuels envahisseurs, grâce à l'influence que j'ai sur le dragon. Ce pouvoir s'amenuise de jour en jour, je dois donc trouver une nouvelle source, cette jeune femme précisément. Je dois absolument faire miennes les capacités qu'elle possède.

— Pardonne-moi, mais si Jolo n'était pas intervenu avec ses hommes, la voyageuse aurait été tuée par le dragon. Alors où se trouve-t-il ce pouvoir que tu convoites ?

— Il est en elle, crois moi, sinon comment aurait-elle survécu depuis l'Éraland ? D'autant plus que, d'après ce que je sais, elle a accouché seule, sans aide.


— Justement comment peux-tu envisager de prendre la vie de cette mère ? Que deviendrait son enfant ?

L'ancienne se troubla, son visage se peignit d'incertitude, avant de se durcir.

— Le clan pourvoira à ses besoins. Encore une fois Tulo, nous vivons des temps troublés ; si nous voulons survivre à cette apocalypse, il faut être prêts à faire des sacrifices ! Qu'importe une vie, au regard de toutes celles que je sauve, si je m'approprie ses pouvoirs.


Jolo assistait à cette discussion sans intervenir et maitrisant sa révolte avec peine, il consulta son père du regard. Celui-ci eut un geste infime dans sa direction. Jolo comprit, il se retira de la salle du conseil.

Dès que le jeune homme arriva dehors, il quitta l'embarcation principale. Hâtivement mais sans précipitation, il dirigea ses pas vers le bateau où se trouvait la visiteuse. Jolo venait de recevoir l'ordre silencieux de conduire la jeune femme à l'abri hors du territoire du marais...

Pour Ovaïa, le temps était compté.

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