Les Monts de Cuivre - 2

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Debout devant l'entrée de la grotte, Jolo jetait des regards quelque peu anxieux sur la manifestation orageuse qui sévissait au-dehors. Pour lui, cela avait quelque chose de révérencieux et d'effrayant à la fois.
— Les dieux sont en colère.
Ovaïa qui nourrissait son enfant répondit sur un ton égal.
— Les dieux nous ont abandonnés.
Il pivota vers elle.
— Tu ne penses pas ce que tu dis.
— Bien sûr que si. Comment expliquer sinon ce qui s'est abattu sur le monde ?
Il la regarda, dubitatif, avant d'aller s'asseoir près d'elle.
— Peut-être que tu as raison, mais je veux croire que, malgré tout, ils sont encore avec nous pour nous aider, nous guider. C'est dans les moments les plus noirs que la foi est indispensable.
Elle n'argumenta pas, se contentant de l'observer, puis le bébé termina de boire. Elle le posa sur sa veste étendue sur le sol. Jolo, troublé, détourna le regard, mais reprit l'initiative de la discussion.
— Les dieux vous ont quand même protégés.
— Tu parles comme ta prophétesse.
Sur ses mots, elle démaillota l'enfant.
— Ce qu'elle voulait te faire, c'était mal. Cependant, elle avait annoncé ta venue, donc, elle reste un grand oracle.
Ovaïa secoua la tête et soupira en se taisant. Elle termina de s'occuper de son fils puis le replaça contre elle. Jolo insista :
— Quand même, tu es arrivée vivante jusqu'ici et tu as vaincu le dragon. N'est-ce pas un signe que les dieux te protègent ?
— Tu vois de simples coïncidences comme des faits avérés. J'ai eu de la chance, voilà tout.
— Et ce vent qui est brusquement venu t'assister ? Comment l'expliques-tu ?
La jeune mère sursauta et le fixa avec surprise, en disant :
— Je ne pensais pas que tu l'avais remarqué, tu étais dans l'eau.
— Le fait est…
Ovaïa se mordit légèrement les lèvres avant de hausser les épaules.
— Je ne m'explique pas ce qui est arrivé.
— Mais tu ne nies pas que cela soit un signe des dieux.
Elle secoua la tête en souriant.
— Tu es toujours comme ça ?
— Que veux-tu dire ?
— À vouloir avoir raison.
Il sourit à son tour et répliqua malicieusement :
— Toi aussi…
Elle s'en retrouva muette. Un silence suivit bientôt brisé par Jolo.
— Tu as faim ?
— Un peu, oui.
— Alors, je vais apprêter la Taroluï.
Ainsi, il se plaça à l'écart et entama la préparation de la bête…
Donc, ils avaient mangé et bu ; à présent, ils se reposaient. Du moins, Ovaïa étendue sur le sol, dormait-elle. Jolo restait assis, le regard braqué sur l'accès de leur refuge. L'orage s'éloignait. Dehors, les ténèbres s'épaississaient encore. Le jeune homme se demanda quelle heure il pouvait être. C'était difficile à savoir. Il cessa de s'interroger et reporta son regard sur la jeune femme et entendit son bébé gazouiller. Le jeune homme attendri sourit. Puis fixa de nouveau son attention sur l'extérieur. Un éclair l'illumina ; le dernier, pour ce jour-là, en tous les cas. Jolo bâilla, la fatigue l'emportait, ses paupières s'alourdirent ; il ne résista pas et s'assoupit à son tour.
*
Une sorte de rugissement déchirant l'éveilla ; un cri à vous glacer le sang. Il tressaillit, se redressa. Ovaïa, déjà, se tenait près de l'entrée. Elle regardait là où les ténèbres se dissipaient. À la place, s'installait l'ambiance rougeâtre dont l'un et l'autre avaient l'habitude. Jolo remarqua son inquiétude, mais également sa surprise. Il osa se rapprocher d'elle et demanda :
— Que se passe-t-il ?
Elle répondit à voix très basse.
— C'est impossible…
— Quoi ?
Elle lui laissa la place.
— Regarde.
À son tour, il inspecta l'extérieur et pâlit. Tandis qu'Ovaïa déclarait :
— Tu ne rêves pas, c'est bien le Kurior.
Jolo s'écarta de l'entrée.
— Comment est-ce possible ? Tu l'avais bien tué, n'est-ce pas ?
— Je le croyais. Cela dit, il semble mal en point.
Elle s'avança plus sur le seuil de la caverne, posa ses yeux sur la bête ; celle-ci regardait dans leur direction et tremblait sur ses pattes. Cependant, elle ne hurlait plus. Au contraire, elle gémissait ; elle s'effondra. Jolo s'approcha de la jeune femme ; par-dessus son épaule, il contempla le dragon en admettant :
— C'est vrai, il n'est pas en forme. Cela ne l'a pas empêché de nous suivre jusqu'ici. Pourquoi ?
— Peut-être que la prophétesse le contrôle encore ?
Soudain, Ovaïa se délesta de son bébé et le confia à Jolo.
— Patiente ici.
— Quoi ? Non Ovaïa, que fais-tu ?
La voyageuse ne l'écoutait pas. Elle sortit de l'abri et chemina vers la créature à pas prudents et l'épée à la main. Elle entendait son souffle ; haché, plaintif et souffrant. Une vague de pitié la happa.
Je vais l'achever et abréger ses souffrances.
Lentement, sans geste brusque, elle progressait, le Kurior se coucha sur le flanc. Ovaïa voyait le ventre écailleux se soulever au rythme d'une respiration difficile. Quand elle fut proche à le toucher, il leva péniblement la tête. C'est alors qu'elle croisa ses yeux. Ce qu'elle perçut, où crut percevoir, la stupéfia ; nulle sauvagerie dans ce regard, bien au contraire ; elle y lisait de la supplication.
Comment est-ce possible ?
Doucement, elle rangea son épée, avança sa main, la posa entre les yeux du dragon, toute appréhension venait de la quitter…
Les paupières du Kurior s'abaissèrent, sa respiration sembla moins oppressée, plus calme ; elle crut même ouïr une sorte de bourdonnement, régulier et placide. La jeune femme porta son attention sur la panse de la créature ; la blessure restait béante, mais ne saignait pas. Elle s'interrogea ; devait-elle l'exécuter ? Ovaïa n'en était plus aussi sûre, elle ignorait pourquoi, mais elle sentait que la bête pouvait se remettre et souhaitait lui laisser cette chance de survivre. D'autant plus qu'à présent, le Kurior paraissait serein et non vindicatif. Elle prit sa décision ; sans brusquerie, elle se redressa puis rejoignit Jolo. Celui-ci consterné s'exclama :
— Tu ne l'achèves pas ?
— Ça ne sera pas utile.
En disant ces mots, elle récupéra son bébé, le nicha contre elle, et décida :
— Il est temps de partir.
Le jeune homme, bien que perplexe, opina du chef. Ils récupérèrent leurs affaires dans la grotte et la quittèrent. Une fois encore, Jolo ouvrait la marche, conduisant la jeune femme sur un sentier tortueux et raide. Leur ascension des monts de cuivre débutait vraiment, alors que les yeux rouges du Kurior, plus qu'attentifs, les observaient…

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