Les Monts De Cuivre - 7 -
Abeth avait réuni son conseil dans la salle principale. Avant, il leur fit servir une part du ragoût que la vieille avait préalablement cuisiné. Tous mangèrent sans se poser de question. Le chef se joignit à eux. Après le repas, la réunion débuta. Abeth prit la parole.
— J'ai pris ma décision concernant les prisonniers.
L'attention de tous fut captée.
— En contribution pour leur libération, j'ai demandé aux voyageurs l'épée de la femme et le bébé.
De vives protestations s'élevèrent. Imperturbable, Abeth les laissa fuser. Une voix plus forte s'éleva au-dessus des autres. Celle du guerrier qui avait menacé Ovaïa, plus tôt. Abeth eu un geste impératif pour demander le silence. Il fut obéi. Il dit ensuite :
— Gorio, tu as la parole !
— Pourquoi uniquement le bébé ? Nous n'en ferons qu'une bouchée. Je suis d'accord pour que Jolo s'en aille, puisque nous avons commercé avec son clan, avant la grande obscurité. La femme peut nous faire une réserve plus consistante.
Abeth sur un ton narquois rétorqua :
— Tu espères surtout t'en amuser avant, n'est-ce pas ?
— Pourquoi pas ? J'aime assez joindre l'utile à l'agréable.
Il y eut alors quelques remarques et rires égrillards. D'un regard, le chef les fit cesser.
— Si quelqu'un doit profiter de la femme, c'est moi. Quoi qu'il en soit, ce n'est pas à l'ordre du jour. Je suis les recommandations de notre mage en permettant aux voyageurs de partir. Leur contribution reste fixée au bébé et l'épée. Une épée dont le mage m'assure qu'elle a de grands pouvoirs ! Des pouvoirs qui pourront servir à assurer la survie du clan.
Incrédule, Gorio fixa l'homme en question. Le Mage, à cet instant, hésita...
Pendant ce temps hors de la maison, le Kurior fit une entrée remarquée dans le village. La stupeur s'empara des habitants quand le dragon surgit au milieu d'eux. Puis ce fut la terreur !
Alors, ils s'éparpillèrent en criant leur effroi. Toutefois, plusieurs guerriers, une fois la surprise passée firent face à la bête. Avec courage, ils pointèrent leurs lances dans sa directio et l'attaquèrent.
Les clameurs sortit les voyageurs de leur mutisme. Ovaïa la première, leva la tête.
— Que se passe-t-il dehors ?
Jolo avec prudence s'approcha du seuil de la cahute. Il regarda brièvement à l'extérieur, avant de s'étonner.
— Les gardes ne sont plus là.
Puis il décida :
— Il faut en profiter pour partir, au moins essayer.
— D'accord, mais pas sans mon épée.
— Ce n'est pas prudent, Laisse-la. Après tout, c'est ce que tu étais prête à faire pour sauver ton enfant, non ?
— Dans un premier temps, oui, mais je me serais débrouillée pour la récupérer d'une manière ou d'une autre...
Malgré lui, Jolo eut un rire sec.
— Je me demande bien comment tu comptais t'y prendre ?
— Va-t-on continuer à en discuter, ou alors vas-tu m'aider à la récupérer ?
Il la contempla. Son air farouche et décidé acheva de le convaincre. La jeune femme ne partirait pas sans l'ultime héritage de sa lignée. Il abdiqua.
— C'est entendu, mais c'est moi qui m'en charge. Je sais où se trouve la maison d'Abeth. Toi, tu m'attends ici !
— Et si les gardes reviennent ?
Jolo tendit l'oreille. Les clameurs dehors s'amplifiaient.
— Ils sont trop occupés pour se soucier de nous. Je reviendrai suffisamment tôt.
Elle n'insista plus. Il quitta la cahute.
Dehors, c'était le chaos. Jolo le constata. Aux alentours de la hutte, il n'y avait plus personne. Il n'entendait que les cris de frayeur, de douleur, mais aussi d'agonie. Il ne chercha pas à savoir quelle en était l'origine, il fila en direction de l'habitation du chef.
Chez Abeth, les discussions tournèrent court, dès que les cris arrivèrent jusqu'à eux. Alerté, Le chef se redressa, puis ordonna à Gorio :
— Va voir ce qu'il se passe.
Obéissant, il quitta la maison. Le chef conseilla aux autres :
— Vous êtes en sécurité ici. Surtout, n'en bougez pas..
À son tour, il vida les lieux...
Le Kurior, sans difficulté contrait l'offensive des guerriers qui s'attaquaient à lui. D'ailleurs gisaient, autour du dragon, les corps démembrés de ses assaillants. Certains avaient fuis avant qu'il ne les tue. Le dragon, à présent, cherchait celle qu'il avait suivie jusque-là. Il perçut son odeur au milieu des exaltations diverses qui flottaient dans l'air vicié. La bête s'achemina vers Ovaïa.
Jolo, en arrivant à la maison d'Abeth, tomba nez à nez avec Gorio. Il s'immobilisa. Puis sans peur, fit face à l'homme.
— Qu'est-ce que tu fais là, toi ?
Jolo n'eut pas le temps de répondre. La voix du chef intervint :
— Laisse-le et va voir ce qu'il se passe là-bas.
Gorio objecta :
— Je suis sûr qu'il le sait !
Jolo se défendit aussitôt en ces termes :
— Pas du tout et franchement ça m'est égal.
Abeth fixa durement son guerrier.
— File là-bas !
Visiblement à contre-cœur, il obéit. Le chef reporta son regard sur Jolo.
— Va-t'en avec elle et son mioche ! Dépêche-toi avant que je ne change d'avis.
Jolo un peu surpris, fronça légèrement les sourcils.
— C'est ce qu'Ovaïa et moi allons faire. Elle ne partira pas sans son épée.
Abeth le regarda avec une certaine admiration.
— Tu es très courageux, ou alors complètement fou ! N'abuse pas de ma patience, quitte cette communauté, considère que l'épée est votre contribution et remercie les dieux que je m'en contente.
Jolo eut un vague sourire.
— Si ce n'était que de moi, je te la laisserais volontiers, mais Ovaïa ne l'entend pas ainsi.
Le chef cilla et répliqua d'une voix dangereusement calme.
— Alors nous avons un problème, car je compte bien la garder.
Il dégaina son poignard...
Dans la maison d'Abeth, les autres membres du conseil, passablement inquiets, attendaient en parlant à voix basse. Le mage, pour sa part, s'éclipsa, pour gagner la pièce de repos d'Abeth, il commença à y chercher l'épée...
Il la trouva rapidement. Car aussi bien cachés que soient les objets, et même les personnes, rien n'échappait à sa clairvoyance. Il quitta la chambre du chef et sortit ensuite de l'habitation. Bien sûr, il tomba sur le chef et Jolo qui se faisaient face. Abeth lançait au jeune homme du marais :
— Tu aurais dû accepter ma proposition. À présent, te voilà bien avancé.
— Je suis prêt à combattre loyalement pour régler notre différend.
— Cela ne sera pas nécessaire ! intervint le mage
Abeth pivota brusquement vers lui. Le Mage jeta adroitement l'épée d'Onyx. Elle voltigea au-dessus de la tête du chef. Jolo la rattrapa de justesse.
— Je te remercie.
— Ne le fais pas. Pars avec la femme. Surtout, prends soin d'elle. Fais en sorte qu'elle réussisse sa quête.
Ainsi, Jolo ne se fit pas prier. Il quitta les lieux. Il laissait Abeth seul avec son devin qui lui tenait tête sans peur. Le chef, furieux, fulminait.
— De quel droit m'as-tu défié, espèce de fou ?
— Pour la première fois depuis des mois, j'ai bien agi. Es-tu aveugle ? Nous nous sommes perdus. Je l'ai compris au moment où j'ai touché cette épée.
Abeth, le visage déformé par la colère, lui cracha :
— Tu as surtout signé ton arrêt de mort !
Il se rua sur lui et lui enfonça profondément son poignard dans l'abdomen, ensuite, d'un geste rapide, il l'éventra, le mage n'avait pas esquissé un geste de défense. Il rendit l'âme avec soulagement.
Abeth se redressa. Il était en sueur, toute sa colère s'envolait. Il écarquilla les yeux de stupeur en contemplant le corps de sa victime. Son couteau s'échappa de ses doigts. Il tomba à genoux près du cadavre.
"Par les Dieux ! Qu'est-ce que j'ai fait !?"
Il prit sa victime dans ses bras, l'étreignit en gémissant :
"Non ! Non ! Mon frère ! Pardonne-moi ! Pardonne-moi !"
Un violent chagrin l'emporta. Il hurla sa douleur.
Pendant ce temps, Gorio venait d'arriver au centre du village. Là, le Kurior continuait à décimer tous ceux qui se mettaient au travers de son chemin. Le colosse n'avait pas été gratifié d'une grande intelligence, mais il ne manquait pas de courage, Il bondit sur la bête...
Jolo était revenu dans la cahute où Ovaïa patientait. Il lui donna l'épée.
— Voilà ton bien.
— Tu as fait vite.
— Je n'ai pas eu à rentrer chez Abeth.
— Explique-moi ça ?
— Plus tard, si tu le veux bien, il s'agit pas de traîner !
Elle dut en convenir. Elle fixa de nouveau l'épée dans son dos. Ils quittèrent la hutte.
Les voyageurs passèrent par le cœur du village. Là, une surprise les attendait. D'abord ce furent les cadavres dépecés qui s'imposèrent à eux : ensuite Gorio aux prises avec le Kurior. Jolo, consterné, s'exclama :
— Il nous a suivis jusqu'ici, par les Dieux, il a aussi massacré tous ces gens !
Sur un ton étonnamment calme, Ovaïa répondit :
— Je le vois, en effet.
— Il faut aider Gorio !
— Je ne sais pas trop si j'en ai envie...
— Tu ne penses pas ce que tu dis !
— Bien sûr que si, je te signale que cet homme a voulu m'égorger !
Elle désigna ensuite les corps en pièces autour d'eux.
— Et que tous ceux-ci, étaient prêts à nous faire passer de vie à trépas, afin de nous dévorer !
— C'est vrai, mais, soyons meilleurs qu'eux, faisons preuve de miséricorde...
Ovaïa leva les yeux au ciel.
— C'est entendu, je vais aller prêter main forte à ce porc.
Elle sortit son épée de son fourreau et s'avança vers l'homme. Résolument, la jeune femme s'approcha du Kurior qui, à cet instant, l'aperçut. Il délaissa aussitôt Gorio et s'avança vers elle. Le guerrier, consterné de le voir renoncer à l'affrontement, s'écria :
— Où vas-tu toi ? J'en ai pas terminé !
Le dragon n'avait cure de ses protestations. Il arriva devant la jeune femme. Soudain, à la grande consternation de Gorio, mais aussi de Jolo, il se coucha à ses pieds, pivota sur le dos et offrit au regard d'Ovaïa, l'endroit le plus vulnérable de son corps écailleux.
Gorio, les yeux écarquillés et la bouche ouverte, assistait à cette scène hors du commun, avec un mélange de crainte et de révérence. Puis il se reprit et lança à la jeune fille :
— Quelle sorte de sorcière es-tu ?
Jolo, lui se taisait. Qu'aurait-il pu dire ? Si ce n'est que la prophétesse de sa communauté, avait eut raison d'affirmer qu'Ovaïa possédait un grand pouvoir. C'est à ce moment précis qu'une troupe de cavaliers, rentra dans le village....
Ils venaient non du sud, comme Jolo et Ovaïa, mais du nord. La jeune femme ébahie, contemplait ces hommes montés sur des chevaux solides, en majorité à la robe claire et aux jambes robustes et musclées. Des animaux typiques d'une région qu'elle connaissait bien : la région d'Ikryl. La région d'où était originaire Rovor, son époux.
Ovaïa sentit une émotion puissante la saisir. Surtout quand elle reconnut les étendards déployés au sein de la troupe. Cette émotion atteignit son paroxysme, quand celui qui menait cet escadron s'arrêta non loin d'elle et ôta son heaume. Cela révéla un visage jeune encore, mais marqué de quelques cicatrices, des cheveux blonds cendrés attachés en catogan par un simple lien de cuir et des yeux bleus reflétant une réelle surprise.
— Ovaïa ?
Sur un ton incrédule, elle répondit :
— Dokar ?
Il s'agissait du beau-frère de la jeune femme...
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