Les Monts De Cuivre - 8 -

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Le regard de Jolo allait de l'un à l'autre. Quant au Kurior, il se remettait  sur ses pattes. Il parut évaluer la situation avant de quitter silencieusement les lieux. Personne ne s'en aperçut et surtout pas Gorio qui fixait l'arrivant d'un air hébété. En fait, il connaissait fort bien le visage de Dokar. Celui-ci venait souvent pour acheter du cuivre au clan. C'était avant la grande obscurité, bien sûr, mais Gorio se rappela aussi, que le seigneur d'Ikryl avait autorité sur les peuples des monts de cuivre. Sa première prérogative étant de rendre la justice ! Il eut peur soudain que Dokar soit venu pour cela : rendre la justice, car tous, au sein du clan avaient enfreint le tabou ultime, l'un des premiers commandements divins  : Des tiens, tu ne te repaîtras pas. 

Cependant, le cavalier descendait de sa monture. Il s'approcha de la jeune femme, prit ses mains entre les siennes, les porta à ses lèvres et dit avec respect :

— Dame Ovaïa, c'est une joie et un soulagement de vous savoir en vie !

— Frère de mon bien-aimé, ma joie et mon soulagement égalent les vôtres !

Il sourit, étreignit une dernière fois ses mains, les lâcha, se recula et demanda plus simplement :

— Où est mon frère ? 

Ovaïa s'en retrouva muette. Dokar, croyant comprendre, sentit sa gorge se serrer. Il parvint à demander :

— Est-il mort ?

Elle cilla puis répondit :

— En réalité, je ne sais pas.

Elle ajouta :

— Je pensais que, peut-être, tu aurais des nouvelles. Cela fait longtemps qu'il  a quitté la terre d'Eraland. Bien avant que les armées démoniaques foncent sur le monde. J'avais espéré qu'il se serait arrêté en Ikryl. Car ton domaine natal est sur le chemin du pays de Surilor. 

Dokar pâlit, il s'écria :

— Il s'est rendu en Surilor  ?

Ovaïa, troublée par la contrariété qu'elle percevait chez son beau-frère, répondit :

— Oui, c'est ce qui m'a été dit !

Le bébé choisit cet instant-là pour manifester sa présence, il pleura.

*****

Dokar sursauta, il se rapprocha d'elle. Il s'étonna :

— Un enfant ?

— Le fils de Rovor. C'est la raison principale de mon voyage jusqu'en Surilor.

Dokar ne sut que dire. Des milliers de questions se posaient à lui. Il réalisa qu'elles devraient attendre. Il regarda autour de lui, il remarqua les corps dépecés qui jonchaient le sol. Il alla regarder Gorio. Sur un ton autoritaire, il demanda :

— Que s'est-il passé ici ? 

— Un monstre a tué les miens !

Il désigna alors Ovaïa et jeta sur un ton accusateur :

— C'est cette sorcière qui l'a conduit ici.

La jeune femme le toisa avec mépris. Elle rétorqua :

— Les calomnies d'un homme qui voulait m'égorger, ne me touchent pas !

Elle détourna la tête ensuite, et ajouta à l'intention de Dokar :

— Ces gens sont tombés dans la sauvagerie,  ils sont cannibales.

À la surprise de la jeune femme, Dokar ne parut pas étonné. Elle s'enquit :

— Tu le savais ?

— C'est l'une des raisons de ma présence ici. 

Il dévisagea Gorio. Celui-ci baissa la tête. Cette fois, il se taisait, il savait que les crimes perpétrés par le clan, désormais, il devrait tous les payer. Dokar lui ordonnait :

— Va chercher ton chef. Celui qu'on appelle Abeth. 

En même temps, il fit signe à l'un des cavaliers. Il ajouta :

— Obro va t'accompagner !

Ainsi fut-il obéi. Obro et Gorio quittèrent le cœur du village. Ensuite, Dokar regarda autour de lui. Il soupira pour lui-même :  "Il est temps de nettoyer tout ceci." Il donna donc à ses hommes des ordres allant dans ce sens. Bientôt, tous se mirent à l'ouvrage.

******

Jolo, qui n'était pas intervenu durant l'aparté entre Dokar et Ovaïa, prêta naturellement main forte aux hommes du seigneur d'Ikryl. Dokar ne le remarqua qu'à cet instant, il demanda à Ovaïa :

— Qui est-il ?

— C'est Jolo, fils de Tulo. Il est du clan du Marais. Il m'escorte et me guide dans mon périple. C'est un homme d'honneur.

La réponse de la jeune femme ne le satisfaisait qu'à moitié. Il dut renoncer à d'autres interrogations concernant Jolo, car Abeth et Gorio arrivaient. Ils étaient accompagnés par Obro, bien sûr. Dokar ne salua que brièvement le chef des grottes jaunes. Puis il désigna une des huttes en déclarant :

— Nous parlerons à l'intérieur. 

Abeth ne protesta pas. Tous trois entrèrent dans la cahute. Avec assurance, Ovaïa les suivit !

******

Durant cet entretien où Abeth fut interrogé, le chef ne nia pas sa responsabilité. Ovaïa remarqua son air abattu. De plus, il faisait profil bas. La jeune femme apprit avec horreur, que le chef des grottes jaunes, avant de décimer les siens, s'était attaqué aux autres clans des Monts de cuivre. De véritables razzias avaient été organisées. Les survivants de ces clans avaient quitté leurs foyers, pour se rendre en Ikryl. Ils y avaient demandé aide, protection et justice. C'est ce qui expliquait l'arrivée de Dokar. Quand les faits furent définitivement établis, Dokar demanda à Abeth :

— Regrettes-tu au moins les terribles souffrances que tu as infligées aux autres ?

— J'ai agi avec une unique priorité à l'esprit : Assurer la survie du plus grand nombre. 

— Mais en premier lieu, tu sacrifias l'avenir de ton clan en t'attaquant aux plus faibles d'entre eux. À ceux qui demandaient prioritairement ta protection : les enfants. 

Abeth balaya cet argument :

— J'ai fait en sorte qu'un nombre suffisant de femmes reste en vie. Pour que le moment venu, d'autres enfants remplacent ceux qui ont été sacrifiés ! 

Dokar laissa tomber :

— Et à mon sens, tu fus mal avisé !

Abeth protesta avec véhémence :

— Qu'aurais-je dû faire selon vous ? Laisser tout le monde mourir de faim ?

— Tu aurais dû, tout comme les autres clans, venir chercher assistance ! Tu n'as même pas essayé !

— Je ne pouvais pas savoir que vous n'aviez pas été détruits par la grande obscurité !

— Les autres clans non plus, et pourtant, ils ont fait l'effort de faire le voyage jusqu'en Ikryl, afin d'éviter aux leurs la déchéance ultime. 

Il précisa :

— Tu aurais pu au moins envoyer des émissaires. Tu t'en es bien gardé ! Tu as choisi la solution de facilité !

Abeth se tut définitivement. Dokar reprit :

— Voilà ma décision : Toi et les tiens serez conduits en Ikryl pour être jugés et condamnés. Tu vas annoncer à ton peuple qu'il se prépare à un voyage de plusieurs jours. Nous partirons demain matin. Pendant que tu y es, tu feras préparer un chargement de cuivre. Je suis sûr que tu en as en réserve. 

Il se leva sur ces mots et quitta la hutte. Obro resta avec le chef et Gorio. Il était chargé de veiller à ce que les directives de son seigneur soient suivies. Ovaïa  emboîta le pas à son beau-frère.

*****

Il fallut plusieurs heures pour mettre de l'ordre dans le village. Les morts furent brûlés sur des bûchers, les cendres dispersées dans la nature environnante. Jolo et Ovaïa apprirent en cette occasion, qu'Abeth avait tué le mage de sa communauté, et que ce mage était son jumeau. Quoi qu'il en soit, le crépuscule tomba, assombrissant le village. Les torches furent allumées. Les survivants du clan enfermés ensemble, dans la même habitation. L'une des plus grandes.

On emprisonna Abeth et Gorio à l'écart de leur peuple. De la nourriture apportée par le jeune seigneur leur fut distribuée à tous. Dokar prit possession de la demeure du chef ; bien sûr, il invita Ovaïa, mais aussi Jolo à y dormir. La jeune femme qui aurait souhaité quitter cet endroit au plus vite, dût modérer son impatience.  

Cependant, à l'extérieur du village, le Kurior patientait. Il avait décidé d'attendre la jeune femme et de la suivre, quel que soit l'endroit où elle se rendrait...


Une aube sombre se leva sur le village. Ovaïa ouvrit les yeux. Son enfant commençait de s'agiter. Dokar se tenait sur le seuil de l'habitation. L'attention de la jeune femme se focalisa sur lui. Elle remarqua son air préoccupé. Elle se redressa et l'interpella ainsi :

— Tu as dormi au moins ?

Il tressaillit, puis pivota vers elle. Là, il lui sourit et demanda à son tour :

— Et toi ?

— Plutôt bien. En fait, dès que je me sens un peu en sécurité, mon sommeil est tranquille.

Elle se leva. Dokar alla vers elle en déclarant :

— J'ai l'impression de ne pas avoir passé une nuit correcte depuis des lustres !

Ovaïa soupira, mais ne releva pas cette remarque. Elle jeta autour d'elle un bref regard. Ses sourcils se froncèrent. Elle s'étonna :

— Où est Jolo ?

Sur un ton laconique, il répondit :

— Il s'est proposé pour participer aux tours de garde. 

Dokar s'avança vers l'endroit où il avait (peu) dormi. La veille au soir, il y avait posé la selle de sa monture. Des fontes de celles-ci, il extirpa plusieurs paquets. Il en sortit deux et en apporta un à Ovaïa en disant :

— Tu dois avoir faim. 

Elle le remercia. Elle s'installa sur le sol. Il prit place à ses côtés. Il déballa sa nourriture. La jeune femme fit de même en disant :

— Du pain de voyage ! Il y a longtemps que je n'en avais pas mangé. Hier soir, j'ai été surprise que tu en aies. Vous arrivez encore à cultiver la terre en Ikryl ?

Dokar répondit :

— Difficilement, mais le fait est. 

Il croqua dans sa portion de pain. Celui-ci était dur et friable. Son goût fade. En revanche, c'était extrêmement nourrissant. Ovaïa commença à manger également. Dokar, entre deux bouchées demanda à la jeune femme :

— Parle-moi de Jolo.

Surprise, elle rétorqua :

— Que veux-tu que je te dise ?

— Tu as l'air de l'estimer. De lui faire confiance également. Je désire faire mienne cette confiance et cette estime.

Elle assura :

— Jolo est quelqu'un de bien !

Septique, il objecta :

— Mais encore ?

Un peu contrariée, elle protesta :

— Ne peux-tu te contenter de cette réponse ? 

— Sans vouloir t'offenser, ton jugement en matière d'homme laisse à désirer.

Consternée, elle répliqua :

— Comment peux-tu dire ça ?

Il secoua la tête, eut un vague sourire et cette réponse :

— Voyons Ovaïa, tu as épousé mon frère !

Stupéfaite, elle sursauta puis soupira :

— Bon, d'accord, un point pour toi. Néanmoins, en ce qui concerne Jolo, j'en reste à ce que je t'ai dit : c'est un homme d'honneur.

Dokar, loin de se contenter de cette réponse, insista  :

— Parle-moi des circonstances de votre rencontre ?

La jeune femme sut qu'elle ne pourrait pas éluder avec lui. Elle n'hésita plus, elle raconta...

Pendant ce temps, Jolo justement, était en faction devant la hutte où étaient enfermés Abeth et Gorio. Tous les sens aux aguets, il était attentif à ne rien laisser au hasard. Néanmoins, il accueillit la venue de l'aube avec soulagement. Les pics montagneux qui entouraient le village se teintaient de rouge foncé. Comme souvent depuis le début de cette ère de ténèbres, le lever du soleil s'annonçait sinistre. Cependant, une  certaine clarté envahissait peu à peu les alentours. Un des cavaliers arriva vers le jeune homme du marais. Il lui dit :

— Je prends la suite. Va te reposer un peu. 

Il ne se fit pas prier et quitta sa position. D'un pas sûr, il se dirigea vers la maison du chef.

Il arriva sur le seuil de cette demeure au moment où Ovaïa déclarait :

— Voilà toute l'histoire, c'est pourquoi je lui fais confiance. 

Jolo stoppa brièvement. Puis résolument entra dans la pièce, en déclarant sur un ton un peu fort :

— Dame Ovaïa, Seigneur Dokar, je vous souhaite le bonjour.

La jeune femme, comme prise en faute, sursauta. Dokar quant à lui, répondit calmement :

— Bonjour Jolo.

Il se leva sur ces mots, alla fouiller dans ses fontes, sortit une ration de pain de voyage et la lança à Jolo en disant :

— Un petit déjeuner ? 

Le jeune homme l'attrapa adroitement. Il le remercia ainsi :

— Ma reconnaissance, seigneur Dokar.

En réponse, il dit :

— Je t'en prie. 

Jolo alla s'asseoir, pas trop loin d'Ovaïa, mais pas trop près non plus. Depuis la veille, il préférait garder avec la jeune femme une certaine distance. Le chevalier d'Ikryl demandait : 

— Tout s'est bien passé durant ton tour de garde ?

— Rien à signaler, les prisonniers sont calmes.

Ceci dit, Jolo dépaqueta sa nourriture et commença à manger. Dokar annonça alors :

— Nous partirons dans deux heures. Soyez prêts.

Il quitta alors l'habitation.

Jolo mangeait en silence. En fait, il savait bien que l'on parlait de lui, lorsqu'il était entré. Mais il ignorait s'il fallait aborder le sujet avec Ovaïa. Depuis l'arrivée des cavaliers, il la sentait moins proche de lui et cela le désolait. Pourtant, il n'ignorait pas non plus que c'est lui qui restait en retrait. En fait, une émotion profonde envers la jeune femme était en train de croître en lui. Cela aussi le déconcertait. D'autant plus qu'il se devait de ne pas le montrer. Car elle était mariée. Cela même si ses sentiments naissants étaient empreints d'un profond respect envers la jeune femme. Ovaïa de son côté ne comprenait pas vraiment cette distance. En fait, elle était à cent lieues d'imaginer que le jeune homme du marais pouvait s'éprendre d'elle. Elle tenta d'amoindrir la distance qui s'était établie entre eux de cette façon :

— Tout va bien ?

Il lui jeta un regard fugitif, avant de répondre :

— Oui.

Ce fut tout. Ovaïa préféra ne pas insister. Elle se détourna de Jolo et se concentra sur son enfant.

Deux heures plus tard, Dokar et ses cavaliers quittaient le village. Il entraînait dans son sillage sa belle-sœur Ovaïa et Jolo, mais également les survivants du clan des grottes jaunes et leur chef Abeth. Dans le cortège, deux chariots tirés par les chevaux les plus robustes. Dans le premier s'entassaient les personnes les plus affaiblies de cette triste communauté, des femmes et des vieillards en priorité, l'autre contenait du cuivre. La voyageuse s'y installa. Quant à Jolo, il préférait continuer à pied. 

Abeth et Gorio avaient été entravés pour ce voyage. Ils marchaient à l'écart des autres, entourés de cavaliers. Car, ce que ne voulait surtout pas Dokar, c'est qu'ils s'enfuient. 

La colonne s'engagea sur le sentier en lacets qui traversait toute la montagne et menait en terre d'Ikryl. Un voyage de plusieurs jours les attendait. Il n'allait pas être de tout repos. 

Dans leurs pas, et silencieusement, le Kurior s'élança...

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