Les Monts De Cuivre - 13 -
Dokar discutait près du puits avec Ulkir, quand il vit Jolo et Obro arriver vers lui. En constatant l'absence d'Abeth, le jeune seigneur pressentit le pire. Il laissa les deux hommes arriver vers lui. Il les regarda tour à tour en demandant :
— Qui commence ?
C'est Jolo qui raconta en détails les faits précédant l'évasion d'Abeth. Quand il eut terminé, Dokar, contrarié, reprocha à Jolo :
— Tu aurais dû intervenir plus vite !
Obro prit sa défense.
— Il ne le pouvait pas. Ce cloporte nous a pris de vitesse, ce diable d'homme est bigrement agile, ajoutez avec ça l'effet de surprise. Vous comprendrez, seigneur, qu'il n'était pas possible de l'arrêter.
Dokar soupira, avant d'ordonner à Obro :
— Va faire voir ton ecchymose à Ulkir. Je crois qu'il a quelques onguents.
Ensuite, il s'adressa à Jolo :
— Accompagne-moi donc, nous devons discuter un peu avec Gorio.
Jolo accepta volontiers. Ils quittèrent les lieux.
Il ne fallut pas longtemps aux deux hommes pour faire parler Gorio. Ainsi la pierre tranchante que le butor avait sur lui, fut confisquée. Par ailleurs, Jolo retourna le sol de la hutte afin de récupérer celles qui étaient ensevelies. Ceci fait, le jeune seigneur demanda à Gorio :
— Tu ne saurais pas, par hasard où ton chef s'en est allé ?
Gorio jeta un regard revanchard à Dokar et répondit :
— Non !
Calmement, le seigneur d'Ikryl l'interrogea encore :
— Tu es sûr ? Réfléchis bien, je serais désolé que tu nous caches des informations précieuses, car contraint de te confier à l'un de mes hommes, qui connait très bien l'art de délier les langues...
Le front buté, il lança à l'adresse de Dokar :
— Vous ne ferez jamais ça, Vous êtes tous trop faibles !
Dokar le contempla, puis répliqua :
— Tu crois ?
Ensuite, d'un mouvement rapide, il fut près de lui et l'agrippa, sa main droite fusa vers la gorge de l'impertinent qu'elle serra progressivement. Ensuite, Dokar ramena sans le lâcher, le visage de Gorio près du sien, et il lui susurra :
— Écoute-moi attentivement, renégat, mes hommes et moi combattons depuis des mois des créatures bien plus malfaisantes et effrayantes que toi, j'ai dû envoyer à la mort des guerriers remarquables, vertueux et bons, bref tout ce que tu n'es pas, Alors, ne crois pas une seconde que j'hésiterais à ordonner qu'une ordure comme toi soit torturée.
Il le lâcha brusquement et l'envoya valser contre le mur de la hutte. Gorio s'effondra sur le sol, sonné...
Dokar reprit son souffle :
— À présent, je t'écoute ! Dit-il ensuite
Le butor se releva péniblement et fixa le jeune seigneur en frottant sa gorge, qui avait bleui sous la pression des doigts de Dokar. Son regard reflétait sa terreur. Il dit sur un ton éraillé :
— Le chef, il a une cabane, pas très loin d'ici. Près d'un bosquet de pins noirs. Il y a de l'eau et de la nourriture. Je... Je peux vous y conduire.
Dokar le toisait, il savait qu'il disait vrai ! Il hocha la tête et dit :
— Bien...
Il sortit de la hutte en faisant signe à Jolo de le suivre.
Dès qu'ils furent dehors, Obro arriva vers eux en courant, s'adressa aussitôt au seigneur d'Ikryl :
— Seigneur, Dame Ovaïa n'est plus là !
— Comment ça, elle n'est plus là ? Elle doit se promener dans le village sans doute...
Il secoua négativement la tête et précisa.
— Ses affaires ne sont plus là, j'ai interrogé plusieurs personnes, une l'a vue partir.
Dokar ferma les yeux, il se sentait soudain épuisé, il s'exclama :
— Comme si j'avais besoin de ça !
Il pivota vers Jolo et commença à dire :
— Tu ne pourrais pas...
Celui-ci n'était déjà plus là, il avait subrepticement déserté les lieux pour se lancer sur la piste de la jeune femme...
Ovaïa, d'un pas décidé, avançait sur la route. Elle laissait de côté les interrogations, que sa fuite suscitait en elle. Soudain, elle stoppa : "Je n'aurais pas dû partir ainsi, comme une voleuse." pensa la jeune mère.
Son éducation, au sein de la cour de son père refaisait surface, mais il y avait des mois qu'elle ne suivait plus les codes sociaux de sa maison natale. Qui s'en souciait aujourd'hui ? Puis elle songea à Dokar et se sentit rougir de honte. Soudain, elle perçut une présence derrière elle. Elle fit volte face et se retrouva, pour ainsi dire, nez à nez avec le Kurior...
Sa surprise passée, elle abandonna l'attitude défensive, qu'elle avait naturellement adoptée et s'adressa au dragon ainsi :
— Qu'est-ce que tu fais là ? Tu veux donc te faire tuer ? Je te signale que j'ai failli le faire une fois déjà !
La bête prit place sur son arrière-train, inclina la tête sur le côté et la contempla de ses yeux écarlates. Ovaïa fronça les sourcils, puis s'exclama presque en colère :
— Pourquoi me suis-tu ? Tu te rends compte à quel point tu me compliques la vie ? Tu devrais partir loin, très loin dans ton pays, quel qu'il soit.
Soudain elle eut un rire sans joie et se parla à elle-même : "Ma pauvre fille, tu deviens folle ! Tu t'adresses à cet animal comme s'il pouvait te comprendre et te répondre !"
Néanmoins, elle s'adressa une dernière fois à lui :
— Au moins si tu veux me suivre, ne reste pas derrière moi, cela me rend nerveuse.
Elle se détourna et reprit sa marche. Elle fit quelques pas et pivota de nouveau. Cette fois, le Kurior n'était plus là...
Abeth, après être parvenu à fausser compagnie à ses gardiens, avait gravi aisément la falaise. Il était parvenu sur un plateau herbeux, jadis verdoyant, où les chèvres de roches venaient souvent. À présent, l'herbe jaune craquait sous ses pieds et le sol craquelé ne produisait plus que de la poussière. Il soupira, la nostalgie du temps d'avant le happa, un temps où la nourriture était abondante, sa tribu souriante et prospère. Sa maison regorgeait de richesses, dues au commerce du cuivre. Ses deux épouses, belles, avenantes, soucieuses de lui plaire, et ses nombreux enfants riaient et chantaient autour de son habitation. Le chagrin surprit Abeth à ce moment-là. Comme lorsqu'il avait tué son frère jumeau, il gémit : "Par les Dieux ! Qu'est-ce que j'ai fait ?" Comme cette fois-là, il ne le laissa pas durer. Il le repoussa en se disant : "J'ai fait ce qui devait être fait !"
Il redressa les épaules et réfléchit. Deux options se présentait à lui : rejoindre le refuge qu'il avait aménagé pas très loin de là, mais Gorio connaissait l'existence de cette cabane. Abeth savait que pour sauver sa vie, son comparse n'hésiterait pas à révéler sa position au seigneur d'Ikryl. Ne lui restait que l'autre option : quitter les monts de cuivre. Perspective peu réjouissante, étant donné qu'il n'avait ni eau ni nourriture. Il décida de retourner au village discrètement afin de prendre ce dont il avait besoin. Bien sûr, pas question d'utiliser la route en lacets. Il allait falloir qu'il passe par les rochers et les murailles. Fort heureusement pour lui, comme tous les gens nés dans ces montagnes, il était un excellent grimpeur. Abeth ne tergiversa pas longtemps, il se mit en chemin...
La voie qu'utilisa Abeth était ardu. Il passait juste au-dessus de la sente louvoyante qu'avait empruntée Ovaïa. Ainsi le chef des grottes jaunes ne fut pas long à la repérer, alors qu'il progressait en sens contraire, mais aussi parallèlement à elle. Il se dissimula derrière un rocher, la regarda passer et se dit : "Voilà qui va régler mon problème de nourriture. De plus, je vais pouvoir régler mes comptes avec elle." Ses yeux brillaient de convoitise. Il se prépara à bondir sur la jeune femme ...
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