Les Monts De Cuivre - 15 -
Son maigre repas terminé, Ovaïa extirpa de son sac, un livre relié, mais aussi une plume et un encrier qui contenait une substance noire et collante. Ses objets ne venaient pas de sa terre natale, elle les avait trouvés, trois semaines après sa fuite, dans une bourgade abandonnée par ses habitants dans laquelle elle était restée cachée deux jours, à l'intérieur d'une maison cossue. Puis des démons étaient entrés dans la ville, provoquant sa fuite précipitée.
Ovaïa ouvrit le livret. Elle n'avait pas l'intention d'écrire, si elle avait pris ces choses, c'est parce que cela lui rappelait l'époque heureuse où elle vivait dans la maison de son père. Petite fille, elle n'hésitait pas à fausser compagnie à la gouvernante pour se glisser dans l'écritoire du maître de maison.
Elle adorait cette pièce remplie de livres, de pupitres, mais aussi d'odeurs : celle de l'encre qui durcissait l'hiver et qu'il était nécessaire de liquéfier à la flamme d'une bougie, mais aussi les senteurs plus douces du parchemin. Le père de la jeune femme avait été un fier guerrier, mais aussi, et cela se savait moins, un homme instruit à l'intellect fin et délicat. Cela contrastait avec l'apparence d'Akéron d'Eraland, sa taille haute, ses épaules larges, sa voix tonitruante qui résonnait dans la maison à la moindre contrariété. Ovaïa avait toujours su que sous ses manières abruptes se cachaient une véritable sensibilité et un réel amour de son prochain.
La jeune femme caressa les feuilles fines et solides à la fois. C'était un parchemin crème, doux au toucher, d'une extrême qualité. Il était rare et cher en Eraland, mais aussi dans les autres parties du monde. Elle souleva le livret jusqu'à ses narines, respira profondément, sourit et se laissa emporter par ses souvenirs, un principalement :
"Son père la soulevait à bout de bras en s'exclamant : "Petite guerrière têtue, tu vas encore mécontenter ta duègne !" Son visage semblait sévère, mais Ovaïa voyait ses yeux sombre étinceler d'amusement..."
C'est un roulement sourd qui la tira de sa songerie douce-amère. La jeune femme sursauta, avant de ranger rapidement dans son sac, le livre, la plume et l'encre. Ensuite, elle se leva et s'avança vers le seuil de l'habitation, elle posa son regard sur le ciel. La couche nuageuse s'épaississait et virait au gris. Un éclair zébra l'éther, un coup de tonnerre retentit. Presque aussitôt une pluie diluvienne dégringola sur le village.
Bouche bée, Ovaïa, assistait au prodige. Il y avait des mois qu'aucune eau n'était tombée du cie, depuis la grande obscurité, les orages étaient secs. Elle se demanda ce que cela signifiait, était-ce un bon présage ou non ? Jolo et Dokar, qui couraient sous la pluie battante, arrivèrent jusqu'à la maison, elle s'écarta du seuil pour les laisser entrer, ils étaient trempés, mais leurs figures fendues d'un large sourire. Jolo interrogea Ovaïa :
— Tu crois que c'est un tour de ton dragon chercheur d'eau ?
— D'abord, ce n'est pas mon dragon, ensuite comment veux-tu que je le sache ?
Dokar intervint :
— En tous les cas, c'est un excellent présage.
Elle ne répondit pas. Un ange passa. La jeune femme demanda :
— Où en êtes-vous avec Abeth ?
C'est Dokar qui répondit :
— Nous l'avons changé de hutte. Il est avec une vieille femme, qui apparemment, lui serait apparentée. Elle a dit qu'elle s'occuperait de lui.
Ceci dit, il se dirigea vers ses affaires, ôta son armure, puis la chemise qu'il portait dessous. Jolo de son côté, et étant donné qu'il avait quitté son clan avec presque rien, se contenta d'ôter sa veste et sa tunique et de les essorer. Ovaïa détourna pudiquement les yeux, pour les poser sur son bébé qui sortait du sommeil. Alors, en évitant de regarder les deux hommes, elle s'en occupa.
Dehors le Kurior dansait. Le nez levé vers le ciel, dressé sur ses pattes arrières, la gueule ouverte, il laissait la pluie diluvienne cascader sur son corps écailleux avec une joie visible. Sous ses pattes, le terre devenait de la boue. Bientôt il se roula dans cette fange rougeâtre.
Dans sa tête, la voix lui murmurait : "C'est bien ! C'est bien, ma bestiole ! Les choses bougent !" Le dragon émit un long sifflement, un éclair déchira le ciel et la pluie tomba de plus belle.
Il avait plu tout le reste de la journée, forçant les gens à rester à l'intérieur des huttes. Le soir venu l'obscurité s'installa. L'orage s'éloignait, la pluie ne tombait presque plus. Jolo se tenait sur le seuil de la maison, les yeux levés sur la voûte céleste. Dokar le rejoignit :
— Qu'est-ce que tu fais ?
— J'essaie d'apercevoir les étoiles.
Le seigneur d'Ikryl, à son tour observa au-dessus de lui, la masse compacte et ténébreuse. Il soupira ensuite :
— Apparemment, le retour des étoiles ne sera pas pour aujourd'hui.
Jolo soupira :
— Oui, cela aurait été trop beau.
Il s'assombrit. Dokar lui dit :
— Ne sois pas défaitiste et impatient. Nous avons eu de la pluie, c'est un net progrès par rapport à tous ces mois passés sans voir une goutte d'eau.
Il sourit et retourna à l'intérieur. Jolo fixa le ciel encore quelques secondes, puis rentra à son tour.
Cette nuit-là
Ovaïa rêvait : Elle survolait des cascades d'eau fraîche qui se jetaient dans des lacs aux eaux bleues et transparentes, voyait défiler des océans, des mers et des fleuves ; des soleils éclatants les faisaient briller de mille feux. Soudain tout changeait, les eaux devenaient feu, magma, vagues ardentes, les soleils explosaient... Elle hurla et se réveilla brusquement !"
La jeune femme reprit son souffle, puis se redressa. Dans la faible lueur des torches accrochées aux murs, elle apercevait son beau-frère allongé près de sa selle. Apparemment, il était parvenu à trouver le sommeil. Par contre, Jolo n'était pas là. À son habitude, il avait proposé ses services pour les tours de garde. Ovaïa sentait la terreur due à son rêve s'éloigner. Elle attrapa sa gourde d'eau, en but un peu, puis la reboucha, la posa et se recoucha enfin. Elle replongea dans un sommeil très agité...
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