Les Monts De Cuivre - 16 -

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Le lendemain, les gens se réveillèrent sous le même ciel rougeâtre que d'habitude. La plupart, dès la sortie du sommeil, s'étaient précipités dehors pour tenter d'apercevoir un coin d'azur. Ils avaient été déçus. L'espoir de voir leur cauchemar se terminer s'envolait...

Jolo le constata Il fut dépité.

Debout sur le seuil de l'habitation principale qu'il avait rejointe après son unique tour de garde, il posait sur la voûte nuageuse aux reflets incarnats un regard morne. Dokar arriva derrière lui .

— Ne fais pas cette tête. La pluie d'hier, c'était déjà un miracle et la preuve selon moi que les Dieux ne nous ont pas abandonnés. À présent, il faut faire preuve de patience et prier.

— Où puisez-vous un optimisme aussi débordant, Seigneur ?

— Quand les épreuves arrivent et s'installent jusqu'à vous faire hurler de douleur, il faut savoir leur faire face pour les combattre et voir dans chaque petite chose positive une raison d'espérer.

Jolo vit alors passer dans les yeux clairs de Dokar, une souffrance réelle. Il comprit que cet homme encore jeune, avait beaucoup enduré !

Soudain, le seigneur d'Ikryl dit à Jolo :

— Bon, il ne s'agit pas de lambiner ! Nous allons nous restaurer puis préparer notre départ. Ce village, je l'ai assez vu, j'ai hâte de reprendre la route.

Il rentra dans la maison sur ces mots, suivi par Jolo. Pendant ce temps, non loin de là, derrière le totem, le Kurior s'éveillait à son tour...

Il s'étira en bâillant, et s'ébroua, tel un jeune chiot, puis leva sa grosse tête vers la couverture nuageuse. Étrangement, il parut déçu, se détourna et quitta son refuge afin de partir en chasse : il avait faim !

Le Kurior avait tué plusieurs humains. Cependant, il n'avait jamais mangé leur chair. Il cherchait un autre gibier, qui abondait en ces temps obscurs : les démons. Le dragon savait qu'il y en avait quelques-uns dans les montagnes. Séparés de leurs hordes, égarés, c'étaient des proies idéales pour l'animal. Ainsi, il quitta le village, leva le nez en l'air, respira les effluves qui lui parvenaient, puis fila vers le nord, il avait trouvé une piste...

Son flair le mena vers une petite enclave boueuse, entourée d'arbrisseaux rabougris, mais qui avaient reverdi un peu. Les pluies de la veille au soir leur avaient été profitables. Par contre, les averses n'avaient pas arrangé les affaires des trois démons qui se trouvaient là. Englués dans la gadoue, ils tentaient désespérément de s'en sortir. Leurs pieds fourchus pris au piège dans la fange, leurs ailes, pourtant, puissantes et solides, battaient l'air sans parvenir à les arracher de ce cloaque. Le Kurior, s'avança vers eux, il avait trouvé son petit-déjeuner...

En voyant approcher le dragon, les démons éprouvèrent une terreur indicible ! Le Kurior était l'une des rares créatures qu'ils craignaient, cela quel que soit l'univers où ils pouvaient aller. Ils sifflèrent et crachèrent dans sa direction. L'animal leur répondit de la même manière. Si quelqu'un avait surpris cette scène, il aurait alors compris qu'une sorte de dialogue venait de s'établir. Il n'en aurait pas compris la teneur, bien sûr, mais il aurait réalisé qu'ils se parlaient ! Et voilà ce qu'ils se disaient :

Les démons :

— Insignifiante créature, Tu n'as rien à faire ici !

Le Kurior :

— Ma présence est tout aussi légitime que la vôtre, plus même...

Le plus grand des démons, éructa :

— Ce monde est le nôtre désormais !

Le dragon rétorqua :

— Plus pour longtemps, le Maître est très courroucé !

Il ajouta :

— Il me charge de vous dire qu'Elle arrive et qu'Elle vous chassera de cette terre !

Puis sans attendre, parce qu'il s'était beaucoup approché du bourbier, de ses griffes acérées, il trancha la tête du premier à sa portée. Elle roula vers lui. Il n'attendit pas pour couper le chef des autres créatures démoniaques. De là, il les dévora. Il quitta les lieux peu après, laissant les corps s'enfoncer inexorablement dans la boue...


Alors que le Kurior chassait, les humains se préparaient au départ. Aidé d'Obro, mais aussi dans une moindre mesure de Jolo, Dokar dirigeait les opérations. Le Seigneur d'Ikryl, n'avait pas hésité à sacrifier la moitié du cuivre pris chez Abeth, pour pouvoir emporter des outres d'eau supplémentaires. Par ailleurs, il avait dû trouver une place dans un chariot pour Abeth. Celui-ci était plongé dans une sorte de coma depuis la veille au soir. La blessure infligée par les dents du Kurior était en cause, mais également la bave verdâtre et poisseuse de l'animal.

La vieille femme qui soignait le chef des grottes jaunes, assurait qu'elle était empoisonnée. En tous les cas, personne n'était en mesure de guérir Abeth. Même pas Ulkir, l'intendant, qui avait pourtant des notions de soignant et d'apothicaire. Il avait dit à Dokar : "Je suis impuissant, je ne connais pas cette substance qui s'est immiscée dans le corps de cet homme !" Quoi qu'il en soit, il avait été placé dans la charrette, dans laquelle Ovaïa voyageait. Elle n'avait pas été trop contente d'apprendre cette décision, tant elle détestait cet homme, mais décida de faire preuve malgré tout, de compassion, et avait accepté sa présence. Il fallut deux heures pour préparer le convoi.

Quand il se mit en route et quitta le village, le Kurior revenait de sa chasse. Furtivement, il suivit la colonne et ne devait plus la lâcher.

À la mi-journée, la chaleur était accablante. C'était comme si l'orage de la veille avait aspiré puis rejeté sur le monde une fournaise à peine supportable. Ovaïa transpirait sous ses vêtements. La jeune mère avait dû se délester de la large ceinture qui maintenait d'ordinaire son bébé contre elle. Elle avait eu soin de le dévêtir aussi, ne laissant sur lui que ses langes. Elle passait régulièrement un linge humide sur son petit corps. Une jeune femme à côté d'elle lui dit :

— Tu es si dévouée envers ton enfant...

Elle répliqua aussitôt :

— Comme toute mère doit l'être.

— Oui, je le suppose...

La compagne de voyage d'Ovaïa s'assombrit.

— Je n'ai pas eu le bonheur de m'occuper du mien.

— Je suis désolée, il est mort à la naissance, c'est cela ?

Des larmes montèrent aux yeux de la jeune femme, elle fixa la vieille femme qui s'occupait d'Abeth, son regard étincelait de haine.

— On me l'a pris, le lendemain de sa naissance.

Ovaïa, qui avait suivi son regard, comprit alors ce que son bébé était devenu. Écœurée et révoltée, elle scruta la rombière qui à ce moment-là, se lamentait.

— Il va mourir, mon neveu va mourir, personne ne veut donc l'aider ? Par pitié ?

Toutes les personnes présentes dans le chariot, détournèrent le regard. Y compris la jeune femme qui avait parlé avec Ovaïa, qui elle hésita. En fait, la réaction des autres ne l'étonnait pas. De toute façon, elle doutait que quiconque dans ce chariot possède les connaissances pour aider le chef des grottes jaunes. Elle réfléchit, puis confiant son enfant à la jeune femme, elle lui demanda :

— Cela ne te dérange pas de le tenir un moment ?

Elle accepta. Ovaïa, à la grande surprise des autres, se rapprocha de la vieille femme.

La rombière eut un mouvement de recul, mais la jeune femme lui demanda :

— Que lui as-tu donné, pour tenter de le soigner ?

— En quoi cela te regarde-t-il ? Tu le détestes !

Elle la regarda profondément.

— C'est vrai, je ne ressens que mépris pour des hommes comme lui, qui se disent des chefs, et n'ont que la faiblesse d'imposer à leur peuple le retour à une sauvagerie, qui les déciment et les privent de leur avenir. Néanmoins, je suis sensible à la souffrance y compris la sienne.

La vieille lui lança un regard torve. Elle objecta encore :

— Même si c'est vrai, en quoi pourrais-tu m'aider ?

— Toutes les femmes de ma lignée apprennent l'art de soigner par les plantes. J'ai donc acquis certaines connaissances qui pourraient peut-être le soulager.

Elle le désigna en concluant :

— C'est à toi de décider...

L'ancienne n'avait pas vraiment le choix.

— D'accord.

Elle lui confia un sac de toile en ajoutant :

— Tout ce que j'ai utilisé se trouve là-dedans...

Ovaïa s'en saisit, versa son contenu sur un chiffon, et commença à examiner les plantes.

Elle en mit trois de côté. Après une hésitation, elle en ajouta une quatrième. Elle demanda à la vieille :

— Tu as un récipient avec toi ?

Elle sortit un bol de bois et un pilon. Ovaïa y jeta le quart des plantes qu'elle avait sélectionnées en disant :

— Tu vas les écraser finement. Tu ajouteras ensuite un peu d'eau.

— Ça va marcher ?

La voyageuse répondit :

— Chez moi, on les utilise contre les morsures de serpents venimeux. Je pense que ce qui est en train de tuer Abeth, pourrait être une sorte de venin... Bien sûr, je ne te garantis rien...

La rombière ne demanda pas d'autre explication, elle obéit aux directives d'Ovaïa.

Peu après, la vieille avait obtenu dans le bol, une mixture un peu épaisse, qu'elle étala sur la blessure d'Abeth. Elle recouvrit le tout de tissus propres, puis demanda :

— Et à présent ?

— Il faut attendre, s'il survit jusqu'à ce soir, il a une chance de s'en sortir.

Elle n'en ajouta pas plus. Elle retourna près de la jeune femme, et récupéra son bébé. Dans le chariot, tous la regardaient, et tous pensaient que la voyageuse était décidément une grande dame

Quand le convoi s'arrêta pour la nuit, Abeth avait repris conscience. Il était faible encore, mais tout laissait à penser qu'il se remettrait de sa blessure. La vieille remercia vivement Ovaïa. Elle répondit simplement : "J'ai fait ce que j'avais à faire." Puis elle resta à l'écart. Il en fut de même durant toute la traversée des monts de cuivre.

Cela leur prit trois jours encore. Ce ne fut pas sans Incidents. D'abord, ils durent faire un détour, à cause d'un éboulement de pierres qui avait coupé le sentier principal. Il y eut aussi des heurts parmi les gens du clan d'Abeth. Des disputes à propos de leur chef justement. Plus de la moitié de la tribu voulait le voir mort. Certains tentèrent de l'assassiner. Dokar y mit bon ordre. Aux hommes qui voulaient s'ériger en juge et bourreau, il dit ceci :

"Tous autant que vous êtes, vous avez failli comme lui ! Un seul d'entre vous a-t-il pris la défense des plus faibles ? Non, tous, vous vous êtes nourris de la chair de vos enfants !"

Après cette mise au point, chacune des personnes de la tribu rentra dans le rang et tenta de se faire oublier. Il n'y eut pas d'autres problèmes majeurs. La traversée se poursuivit et se termina. Tout le convoi se retrouva, aux pieds des montagnes, côté nord, et à quelques kilomètres seulement de la terre natale du seigneur Dokar : le pays d'Ikryl...

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