Le Pays d'Ikryl - 1 -

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"... Le fleuve source de toute vie s'assécha, lui d'où avait jailli, autrefois, les graines de l'abondance, se transforma en crevasse béante charriant une poussière délétère. Il serpentait, canyon inutile, au sein d'un pays dévasté : la terre d'Ikryl..."

Chroniques des Temps Obscurs. Bibliothèque Royale de la Cité de Jade


Le convoi arrivait au pied des montagnes, le soir tombait. Un ciel aux teintes lie-de-vin, surplombait, le hameau devant lequel la troupe s'était arrêtée, ce lieu n'était que ruine. Cela faisait des lustres que plus personne n'habitait ici. Néanmoins, le site servait encore de camp de base, à ceux qui voulaient gravir les monts de Cuivre. Ainsi une quarantaine de cavaliers patientaient-ils ici. Des tentes s'y dressaient, et des étendards aux couleurs de la maison d'Ikryl flottaient devant chaque abri de toile.

Dokar devança la colonne. Il talonna son cheval afin d'aller à la rencontre d'un chevalier qui arrivait en face de lui. Ils stoppèrent leurs montures ensemble et enlevèrent leur heaume. Dokar sourit à l'autre cavalier, qui en fait, était une cavalière, il s'agissait de sa sœur aînée...

Elle était aussi brune que son frère était blond. Son port de tête fier, son visage un peu anguleux, au nez aquilin, ses yeux noirs taillés en amande, dénotait une nature franche, ouverte et souriante. La chevalière s'adressa à son frère ainsi :

— Seigneur Dokar, je vous salue !

— Moi de même, Dame Evalane !

Tous deux mirent pied à terre et s'avancèrent l'un vers l'autre. L'homme prit les mains de sa sœur entre les siennes et les étreignit. Elle dit :

— Je suis rassurée de te voir arriver, mon frère, j'ai craint que tu ne redescendes jamais de ces montagnes, Tu as du retard...

Il sourit brièvement et lâcha ses mains :

— Nous avons eu quelques imprévus. Pour vous, il ne s'est rien passé de particulier ?

— Quelques démons, ce matin, ils se sont enfuis en direction des montagnes. Vous ne les auriez pas rencontrés, par hasard ?

— Nous n'avons vu aucun démon, juste un cadavre, dans le village d'Abeth. Nous l'avons brûlé. Par contre, nous avons fait une rencontre inattendue.

Il fit signe à Obro. Celui-ci lança un ordre bref et la colonne s'avança et entra dans le hameau.

Le convoi passa devant le frère et la sœur. Celle-ci, très intéressée, examinait chaque visage qu'il lui soit connu ou pas, en s'interrogeant sur cette rencontre, évoquée par son frère. Ainsi des cavaliers appartenant à sa maison défilèrent devant elle et la saluèrent avec respect. Les villageois du clan des grottes jaunes marchaient en traînant les pieds, visiblement épuisés. Puis ce furent les chariots. Celui qui contenait le cuivre et l'eau. Et enfin le second, avec d'autres villageois, mais aussi une jeune femme, dont le port de tête altier, interpella aussitôt Evalane. Elle plissa les yeux, puis la reconnut enfin :

— Par les dieux, Ovaïa ?

Cette dernière sourit à sa belle-sœur et répondit :

— Comment vas-tu, Evalane ?

— C'est à toi qu'il faut le demander, nous avons tellement eu peur pour vous tous, Dis-moi, où est donc Rovor ?

Le visage d'Ovaïa s'assombrit. Evalane demanda :

— Que se passe-t-il ? Est-il mort ?

Ovaïa répondit :

— J'ignore où mon époux se trouve, ou plutôt je sais qu'il est en Surilor, mais j'ignore s'il est mort ou vivant.

Stupéfaite, sa belle-sœur s'exclama :

— Qu'est-il allé faire en Surilor ?

— Je ne sais pas, il est parti bien avant la grande obscurité, bien avant la naissance de mon fils...

Evalane répéta :

— Ton fils ?

Puis elle remarqua la petite chose gigotante, tout contre la jeune femme. Evalane pensa alors : "Rovor espèce d'idiot, comment as-tu pu laisser ton épouse dans une telle situation ?" Elle n'extériorisa pas cette réflexion. D'ailleurs, elle arrêta là ses questions, et laissa s'éloigner le chariot en le suivant des yeux. Puis remonta sur sa monture et retourna au hameau.

Le Kurior était aussi entré dans les ruines. À l'insu des humains, il se glissa entre les maisons écroulées. Le dragon cherchait un abri où se dissimuler. Il arriva aux alentours d'un ancien temple. Il avait abrité autrefois un culte monothéiste. Cette religion, assez rigoriste, avait rassemblé dans cette localité, une centaine de fidèles. Puis, brusquement, du jour au lendemain, ceux-ci étaient partis. Les maisons privées de leurs habitants s'étaient écroulées. Les intempéries avaient poli les murs, les pierres s'étaient couvertes de végétation. Les magnifiques vitraux qui avaient orné l'édifice religieux s'étaient brisés. Durant un siècle, le hameau était tombé dans l'oubli avant d'être redécouvert par hasard.

Plus aucun homme ou femme ne priaient dans ce temple depuis fort longtemps. D'ailleurs personne ne se souvenait du nom de la divinité, révérée dans cet endroit. Le Kurior pénétra sur ce lieu. Il effleura de ses yeux rouges l'autel de bois vermoulu, les bancs et les prie-dieu, qui n'étaient pas en meilleur état, que le reste, mais surtout une grande croix clouée sur le mur derrière l'autel. Il s'avança vers elle, la contempla rêveusement, puis se coucha juste devant. Il avait trouvé son refuge.

L'installation des arrivants, rendue difficile par la tombée de la nuit, demanda du temps. Elle se termina à la lumière des torches. Ovaïa s'installa dans la tente principale, celle de Dame Evalane, mais aussi de Dokar. Elle ne refusa pas ce privilège, se sentant trop épuisée pour protester. La voyageuse s'accapara une couchette. Le matelas était mince et ferme, mais confortable. Suprême luxe, elle disposait aussi d'un oreiller et d'une couverture. Elle se délesta de son épée et de ses bagages, les posa sur le sol, démaillota son enfant et commença à le nettoyer. Evalane rentra dans la tente à cet instant-là.

Les senteurs fortes avaient envahi l'espace relativement exigu, du pavillon de toile. L'arrivante, malgré elle, fronça le nez de dégoût. Puis elle pivota vers la gauche, attrapa une bassine de cuivre, et alla la plonger dans un tonneau installé près de l'entrée. Elle récupéra dans ses propres affaires, un pain de savon et alla porter tout ceci à Ovaïa, en disant :

— Ce sera plus pratique si tu veux nettoyer ton bébé.

La chevalière posa le récipient sur le lit à portée de la jeune mère et lui donna le savon. Celle-ci la remercia en souriant puis se concentra de nouveau sur l'enfant. Evalane resta là, à l'observer jusqu'au moment où Ovaïa dit :

— Cela fait des mois que je n'ai pas utilisé de savon.

Sa belle-sœur rétorqua :

— Profites-en, c'est mon dernier, et au manoir, il ne doit pas en rester beaucoup.

— Oh ? Les savonneries d'Igrul ne t'en envoient plus ?

Les traits d'Evalane se peignirent de tristesse. Elle révéla :

— Le comté d'Igrul est tombé il y a trois semaines...

Ovaïa pâlit, elle déclara :

— Tu veux dire que Leenel serait morte ?

Sa belle-sœur rétorqua :

— Si ce n'était pas le cas, elle serait venue chercher refuge en Ikryl...

La jeune mère termina de laver son enfant, l'habilla et dit en souriant au bébé :

— Et voilà, tu es tout beau et tout propre.

Elle regarda Evalane et s'adressa à elle ainsi :

— Je prierai pour que Leenel s'en sorte, Je sais à quel point elle compte pour toi...

— Je te remercie.

Ensuite, elle se saisit de la bassine et des linges souillés du bébé et déclara :

— Je vais donner tout ceci aux servantes pour qu'elles le nettoient, tu peux garder le savon. Considère que c'est un cadeau.

Elle quitta la tente sur ces mots...

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