Le Pays d'Ikryl - 3 -

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L'obscurité de la nuit n'incommodait pas le Kurior. Il suivait la piste d'un escadron de démons depuis plus d'une heure. Les soldats démoniaques avaient pris position dans une petite vallée entourée de rochers, à une dizaine de kilomètres du hameau. Cette troupe maléfique prévoyait de s'attaquer à Dokar et les siens au petit jour. C'est pour cela qu'ils étaient rassemblés ici. Le dragon y arriva, glissa silencieusement entre les rochers et monta sur le promontoire le plus élevé. De là, il avait une vue parfaite sur les créatures rassemblées en contrebas. Il les écoutait glapir, cliqueter, converser en fait. Ce qu'ils se disaient était simple et se résumait à une seule phrase :

"Nous tuerons et nous nous repaîtrons des humains et nous noircirons le cœur de ceux qui survivront !"

Les yeux du Kurior étincelaient dans la pénombre, tels des rubis, Il se dressa sur ses pattes arrières, leva son museau écailleux vers le ciel et se mit à mugir et siffler. En dessous de lui, parmi les malfaisants, le silence s'installa, les regards noirs et haineux fixèrent le dragon. Soudain, un éclair déchira le ciel sombre, un roulement de tonnerre se fit entendre. Enfin une pluie diluvienne tomba sur les soldats maléfiques.

La terreur s'empara des démons. En une seconde, ce fut la débandade, si tous tentèrent de prendre la fuite en s'envolant, très peu réussirent. La pluie qui dégringolait sur eux, faisait fondre leurs élytres, alors, ils chutaient lourdement sur le sol.

Quelques-uns parvinrent à se sauver. Ils filaient vers le nord et entendaient encore le mugissement du Kurior, un avertissement, en fait. Le dragon leur disait : "Le maître est courroucé. Vous serez tous châtiés. Car, sachez qu'elle arrive et qu'elle vous chassera de ce monde !"

Tous les survivants étaient partis. En bas ne subsistaient que des morceaux de corps qui flottaient dans les flaques d'eau. Le dragon descendit dans la vallée. Là, il débuta son repas.

Le lendemain matin

Dokar s'avança sur le seuil de sa tente. Des senteurs de pluie le submergèrent. Surpris, il s'avança et examina les alentours. Il remarqua des traces humides sur le sol. Sa sœur arriva en bâillant. Elle dit :

— Il me semble que j'ai entendu de l'orage cette nuit.

Puis elle respira les effluves des averses nocturnes. Elle sourit :

— Je n'ai pas rêvé.

Son frère rétorqua :

— En effet...

Il leva les yeux sur le ciel grenat. L'aube se levait à peine. Si on pouvait appeler cela une aube. Il étouffa sa déception et ordonna brusquement :

— Nous ne devons pas lambiner, ma sœur, je veux que tu te rendes dans cette vallée que les éclaireurs ont repérée hier, et qui serait pleine de démons. Je tiens à ce que tu le vérifies. Si cela est avéré, nous devrons modifier notre itinéraire. Tu emmèneras Obro avec toi, et aussi Lorac...

Elle sursauta et répéta :

— Lorac ?

Il pivota vers elle, la scruta avec attention et affirma encore :

— C'est ce que j'ai dit.

Il retourna dans la tente. Evalane eut un long soupir et entra à son tour.

Ovaïa s'éveillait. Elle avait dormi très profondément. Un sommeil sans rêves ni cauchemars. Le bébé ne s'était pas réveillé non plus. Elle le regarda. Il ouvrait les yeux, bâillait, s'étirait et cherchait le sein de sa mère. Il le trouva sans peine et se mit à téter. Ovaïa sourit et le laissa boire sans bouger. Les pensées de la jeune femme étaient simples ce matin-là, sans les questions sombres et compliquées qui les caractérisaient d'ordinaire. Elle se disait juste qu'elle avait faim. Qu'elle serait bien heureuse de se toiletter, puis de se promener un peu dans le camp... Elle se dit même : "Je confierai mon bébé à cette jeune servante, qui m'a aidé hier". Elle la chercha des yeux, et constata son absence. Cependant, Dokar et Evalane arrivaient dans la tente. La jeune mère se redressa et s'étonna :

— Vous êtes déjà sortis dehors ?

C'est Dokar qui répondit sur un ton sévère :

— Il ne saurait être question de paresser ce matin. Je voudrais lever le camp avant midi. Il est temps de rentrer au manoir pour prendre mes ordres auprès de mon père.

Confuse, Ovaïa répondit :

— Oui, bien sûr, je comprends...

Elle quitta sa couchette. Soudain, elle s'en voulait de sa nonchalance matinale. Evalane, adoucissant quelque peu les propos de son frère, précisa :

— Cela ne te concerne pas vraiment. Prends ton temps. Je sais très bien et mon frère aussi, qu'au moment du départ, nous n'aurons pas à t'attendre.

Evalane alla regarder Dokar et ajouta :

— N'est-ce pas ?

Dokar s'efforça de sourire. Il dit :

— Cela va de soi.

Ensuite, il s'empressa vers son lieu de repos ; Evalane l'imita, et la jeune servante se présenta.

Sans réticence, Ovaïa laissa Méeli se charger de son bébé. Ainsi elle put s'occuper d'elle. Quand elle eut fini de se toiletter et se restaurer, et après avoir confié son fils à la servante, elle quitta la tente.

Ovaïa flânait dans le hameau. Boudant le camp lui-même, elle visitait les maisons en ruines, parcourait les rues aux pavés brisés et descellés, se faufilait d'une habitation à l'autre en touchant les vielles pierres usées par le temps et chargées d'histoire. Elle attrapa le lierre qui courait sur les murs à moitié écroulés, l'émietta entre ses doigts, il était sec et cassant. La jeune femme remarqua l'absence des toits. De leur ancienne présence, ne restaient, sur le sol, que quelques tuiles ébréchées, d'un rose passé et parsemées de taches grises.

Elle pensa brusquement que Rovor aurait adoré cet endroit. Elle sourit en pensant à lui. Il était aussi différent de Dokar, que le jour et la nuit, opposé en toutes choses, Rovor était un homme de science, qui adorait l'histoire et les vieilles légendes. Il se plaisait à dire que parfois elles se rejoignaient. Des devoirs qui incombaient aux jeunes seigneurs en général et ceux d'Ikryl en particulier, il n'avait appris que le minimum. À l'art du combat, de la chevalerie, de la guerre et tout ce qui y était attaché, il avait préféré les livres et la compagnie du magicien du domaine, mais aussi des prêtres et de tout homme qui lui permettait d'accéder à des ouvrages rares et inédits. Ovaïa s'assombrit. Elle venait de se rappeler que trois semaines après son mariage, il s'en était allé loin d'elle, sans lui en parler, et avec pour seule compagnie, un serviteur, un apprenti magicien et un novice d'un des monastères d'Eraland. Cela l'avait anéanti.

Ce chagrin remonta en elle. Elle chancela... À ce moment-là, Ovaïa longeait les murs du temple, elle y rentra et se laissa tomber sur le premier siège venu, prit une profonde inspiration et porta son regard sur l'autel. Là, elle sursauta de surprise, car juste devant, assis sur son arrière-train, se tenait le Kurior...

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