Le Pays d'Ikryl - 4 -
Le dragon se leva et marcha vers elle. Elle le laissa approcher sans peur. Il la regarda puis se coucha à ses pieds. Étrangement, elle ne fut pas surprise de cette réaction de la part de l'animal. Elle trouva même que c'était légitime. Cependant, elle se sentait apaisée. Son chagrin s'éloignait. Un calme total l'envahissait. Elle resta là, dans cet ancien lieu de culte sans bouger, et le temps passa...
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Evalane, Obro et Lorac, arrivèrent en vue de la vallée. Ils y rentrèrent et stoppèrent. Obro dit aussitôt :
— Cela sent le démon, mais s'il y en a vraiment eu, ils sont partis.
La jeune femme, intriguée, mit pied à terre. Elle s'avança vers les larges flaques d'eau qui émaillaient les lieux. Elle se pencha sur l'une d'elle et attrapa quelque chose qui y flottait, puis se redressa et l'agita devant ses compagnons, en déclarant :
— Il n'y a pas de démons, seulement des morceaux.
Obro, perplexe s'étonna :
— Qu'est-ce qui les a décimés ?
Evalane laissa retomber dans la flaque ce qu'elle tenait en main. Le fragment de chair démoniaque commença à se dissoudre dans l'eau, laissant la cavalière bouche-bée.
Lorac à son tour descendit de cheval. Il rejoignit la sœur de Dokar. Il s'accroupit, plongea la main dans la flaque et constata :
— Ce n'est que de l'eau.
Il se redressa et ajouta :
— C'est cela leur point faible ! Cela fait des mois que nous nous demandons comment en venir à bout, et c'est aussi simple que ça.
Evalane objecta :
— Cela fait aussi des mois que l'eau se raréfie, parce qu'il ne pleut plus... Jusqu'à ces derniers jours.
Elle renchérit :
— La détérioration de la mer de Békali, s'explique enfin ! Elle est devenue inhospitalière et acide.
Obro en déduisit :
— C'est un sortilège, un puissant sortilège qui a changé notre monde.
Lorac se mit à marcher tout en examinant les lieux. Il se baissa plusieurs fois pour examiner des traces plutôt insolites, pour lui, en tous les cas. Quand il retourna auprès des autres cavaliers, ce fut pour dire :
— Il y avait un animal ici. Il s'est fait un bon dîner de malfaisants.
L'attention d'Obro fut totale. Il demanda :
— Quel type d'animal, selon toi ?
— Du genre que je ne connais pas. Il aurait les pattes arrière palmées, celles de devant seraient munies de longues griffes extrêmement tranchantes. En résumé, c'est un animal qui prise tout particulièrement, pour ses repas, les têtes de démons.
Obro se troubla. Lorac le remarquant déclara :
— Je ne connais pas cet animal, mais j'ai l'impression que toi, ça te dit quelque chose.
Obro soupira. Il proposa :
— Retournons voir Monseigneur.
Il fixa Evalane en précisant :
— Si cela vous convient, Milady.
Elle rétorqua :
— Avant cela, dis-moi ce que tu sais sur cet animal. Nous partirons après.
Obro hésita. Il regarda Lorac qui était aussi en attente d'informations. La jeune femme sur un ton sec, insista :
— J'attends, cavalier Obro.
Ce dernier avoua enfin :
— Je pense que c'est un Kurior.
Lorac s'exclama :
— Un chercheur d'eau, c'est évident. Ceci dit, les écrits liturgiques anciens l'attachent le plus souvent à la maison infernale. Si c'est réellement le cas, pourquoi détruirait-il les démons ?
Evalane interpella encore Obro :
— J'ai une autre question, où as-tu déjà vu un Kurior ?
Là, le cavalier fut inflexible, il dit :
— À ce propos, Monseigneur aura quelques réponses Milady.
Elle le scruta avec attention puis concéda :
— Je te l'accorde.
Ainsi tous les trois quittèrent la vallée des pierres.
*****
Le cœur d'Ovaïa était calme. De son chagrin éprouvé précédemment ne restaient que des regrets diffus, teintés d'amertume. Elle contemplait le Kurior. Soudain, elle se pencha vers lui, posa sa main droite juste entre les deux cornes et gratta doucement. Elle fut surprise de découvrir que la peau écailleuse n'était pas aussi rugueuse qu'elle aurait pu le croire. Elle se redressa et lui parla ainsi :
— Si je savais pourquoi tu es dans mes pas ? Pour quelle raison tu m'aides et me protèges ?
Les pupilles du dragon se rétrécirent. Il siffla. C'était un son doux et continu qui n'effraya pas Ovaïa. Elle parla à nouveau :
— En définitive, je préfère ne pas savoir. Je suis juste contente de te savoir près de moi.
Elle se leva et conclut :
— Reste caché surtout, c'est plus prudent.
Elle quitta le temple sur ces mots. Il était temps qu'elle retourne à la tente.
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En arrivant, Ovaïa fut surprise de voir Meéli donner le sein à son fils. Elle s'avança et s'exclama :
— Qu'est-ce que tu fais ?
La servante sursauta, puis s'excusa en ses termes :
— Pardonnez-moi Madame, mais vous êtes partie assez longtemps et il avait faim, et...
Confuse, elle se mordit les lèvres. Elle était au bord des larmes. Elle parvint à ajouter :
— Cela m'a paru naturel.
Ovaïa prit place à côté d'elle. Elle lui adressa un sourire en déclarant sur un ton plus doux :
— C'est moi qui suis désolée d'avoir été abrupte. Je te remercie au contraire, mais je suis étonnée, tu as un enfant ?
— J'ai accouché il y a trois semaines, avant terme. Il n'a pas survécu. Depuis j'ai des montées de lait régulières, et quand votre fils a pleuré tout à l'heure...
Ovaïa la coupa et assura :
— Tu as très bien fait.
Elle fixa le bébé qui tétait avec ardeur. Subitement, la jeune mère se sentait rassurée que la servante le nourrisse. Depuis la naissance de l'enfant, sa plus grande crainte était de perdre son lait. Avec Meéli, la providence lui offrait une alternative si cela arrivait. Elle décida :
— Tu vas rester avec moi désormais, si cela te convient bien sûr.
— J'en serais très honorée, mais... Dame Evalane ? Je suis au service de la maison d'Ikryl.
Ovaïa balaya l'argument :
— Je parlerai avec Milady.
Le bébé lâcha le sein de la servante. Il sourit et s'étira en bâillant. Ovaïa décida :
— Je vais m'occuper de mon fils à présent. Va prendre quelque repos.
Meéli obéit. Ovaïa s'occupa de son bébé, avec à l'esprit une sérénité qu'elle n'avait plus ressentie depuis des mois.
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