Le Pays D'Ikryl - 5 -
(Note : ce qui suit est à placer en parallèle avec les chapitres 3 et 4)
Jolo s'éveilla calmement. Il était très tôt. Contrairement aux jours précédents, il ne logeait pas avec Dokar et Ovaïa. Obro, qui était en passe de devenir un ami, lui avait proposé de dormir dans sa tente avec d'autres cavaliers. Il avait accepté en pensant qu'il était préférable de rester éloigné d'Ovaïa. Au moins tant qu'elle resterait avec son beau-frère. Si d'aventure, elle décidait de reprendre la route seule, il reviendrait auprès d'elle.
Donc, il s'était levé. En quittant l'intérieur de la tente, il remarqua l'humidité ambiante. Il fixa un tonneau rempli d'eau posée près de l'entrée y plongea les mains et se rinça abondamment le visage. Obro sortit à son tour. Ils se saluèrent chaleureusement. Ensuite, le cavalier constata en souriant :
— Il me semblait avoir entendu l'orage, cette nuit.
Il fixa Jolo et proposa :
— Viens, on va manger et après on fera le tour du camp. Nous irons voir si Abeth et son comparse se tiennent tranquille. Le jeune homme du marais acquiesça. Tous deux se dirigèrent vers un auvent servant de cuisine et de cambuse.
******
C'est dans un char grillagé qu'Abeth et Gorio étaient enfermés. Le chef des grottes jaunes était tout à fait remis de la blessure infligée par le Kurior. Il savait à qui il devait d'être encore en vie. Il n'en était pas pour autant reconnaissant envers la jeune femme. Son seul regret était de ne pas l'avoir réduite à sa merci. Il ne désespérait pas d'y parvenir un jour, même si pour l'instant présent, il était en mauvaise posture. De son côté, Gorio ne se posait aucune question. Il était toujours prêt à suivre son chef les yeux fermés. Pour l'heure, Abeth restait docile. Il faisait preuve de bonne volonté. Il tentait d'endormir la vigilance du seigneur d'Ikryl, jusqu'à ce qu'il lui fasse suffisamment confiance pour le laisser plus libre de ses mouvements.
Jolo et Obro justement arrivaient vers lui. Il leur présenta un visage ouvert et souriant et leur dit :
— Bien le bonjour, honorables guerriers.
Jolo fronça les sourcils. Il n'aimait pas ces excès de civilités de la part d'Abeth. Depuis qu'il connaissait le véritable visage de cet homme détestable, il avait décidé de ne plus lui faire confiance, cela quelle que soit son attitude. Obro adressa aux prisonniers de vagues salutations. Puis il leur donna du pain de voyage et de l'eau, en déclarant :
— Vous êtes encore vivants. C'est une bonne chose. Il serait malvenu que vous vous entre-dévoriez, avant votre passage en jugement.
Abeth répondit :
— Voyons, cavalier Obro, j'ai décidé de faire amende honorable, je sais que j'ai mal agi.
Gorio le regarda avec surprise. Il se demanda : "Mais... Qu'est-ce qu'il raconte ?" Cependant, il ne dit rien. Obro et Jolo s'éloignèrent. Abeth partagea le pain de voyage et l'eau avec son comparse. Celui-ci s'enquit enfin :
— Tu penses ce que tu as dit, chef ?
Ce dernier soupira :
— T'as vraiment rien dans la tête, toi.
Il lui ordonna ensuite :
— Mange !
Gorio obéit sans chercher à comprendre. Ils se restaurèrent en silence. Quelques minutes plus tard, deux autres cavaliers les firent sortir un court moment, pour qu'ils puissent satisfaire leurs besoins. Ils furent également autorisés à se laver un peu. Enfin, ils retournèrent dans leur prison.
Abeth se mit alors en mode attente...
******
Jolo et Obro étaient retournés à leur tente. Dokar et Evalane y arrivaient aussi. Le seigneur d'Ikryl donna ses ordres. Obro alla chercher Lorac. Ensuite, les deux hommes et la jeune femme quittèrent le camp. Dokar resta seul avec le jeune homme du marais. Il lui dit :
— Puisque tu es décidé à offrir ton aide, je vais t'assigner à plusieurs tâches. Tu es d'accord ?
— Bien sûr, je vous écoute, seigneur Dokar.
Ainsi, le jeune seigneur lui expliqua en détail ce qu'il attendait de lui. Jolo réalisa qu'il n'allait pas s'ennuyer. Cela lui convenait. S'occuper lui évitait de trop penser à Ovaïa. Peu après, il débutait son ouvrage en compagnie d'autres personnes. En premier lieu : le nettoyage du camp.
******
Le seigneur d'Ikryl, de son côté, ne chôma pas. Il donna des directives à deux autres équipes de cavaliers. Il les envoya en éclaireurs afin de vérifier que la route prévue pour le retour au manoir était sûre. Par la suite, Dokar passa sous l'auvent abritant la cuisine. Là, en compagnie d'Ulkir, il évalua les réserves de nourriture et d'eau. Ils décidèrent d'un commun accord de réduire d'un quart la portion donnée à chaque individu. Ainsi, ils étaient sûrs d'en avoir assez pour le trajet jusqu'au manoir. Pour l'eau, par contre, il y en avait en abondance. Ceci fait, Dokar laissa son intendant. Il se concentra sur d'autres tâches.
Quand il regagna sa tente, il était presque onze heures. Ovaïa s'était absentée. Il n'y avait que la jeune servante. Elle veillait sur l'enfant. Il demanda :
— Dame Ovaïa est partie depuis longtemps ?
— Encore assez. Elle voulait se promener un peu.
Dokar ressortit sans faire de commentaires et dans le but de chercher sa belle-sœur. Cependant Obro, Evalane et Lorac arrivaient vers lui. Ils rentraient de la vallée des pierres. Sa sœur s'adressa à lui ainsi :
— Nous devons parler sérieusement.
Dokar s'étonna :
— Il y a un problème ?
La jeune femme répondit :
— C'est à propos d'un certain Kurior.
Le jeune seigneur comprit. Il leur dit :
— Pas ici...
Il les invita à le suivre. Ils s'éloignèrent de la tente.
*****
Pendant ce temps, à l'intérieur, le bébé se mettait à pleurer. Il avait faim. Méeli, indécise, se demanda quoi faire. Puis elle sentit ses seins couler. Elle n'hésita plus. Elle dénuda sa poitrine. Ainsi put-elle nourrir l'enfant qui, sans réticence, se mit à téter avec vigueur.
*****
Jolo avait terminé les travaux que Dokar lui avait confiés. À présent, il n'avait plus rien à faire. Le jeune homme du marais se demanda quoi faire de son temps. Brusquement, une irrépressible envie de voir Ovaïa le saisit. Il se dirigea vers la tente du seigneur Dokar. Il n'hésita pas à rentrer, surpris de la présence de la servante et encore plus de la voir donner le sein au fils d'Ovaïa, il la salua et demanda :
— Où se trouve Dame Ovaïa ?
Méeli répondit :
— Madame est allée faire quelques pas.
Il hocha la tête silencieusement, et ressortit.
Jolo hâtait le pas vers les maisons en ruines. Il n'aurait su l'expliquer, mais il était certain que c'était par là que la jeune femme était allée. Il chemina sur les pavés inégaux, admira, malgré lui, les maisons anciennes aux murs écroulés. Enfin, il arriva au temple, stoppa sur son seuil. Il hésitait à rentrer. Puis, il entendit un bruit. Sans savoir pourquoi, il se dissimula derrière un pan de mur usé par le temps, jeta un œil, par un interstice, et vit passer Ovaïa. Elle s'empressait vers le camp. Il aurait pu la rattraper, mais quelque chose le retenait. Il la laissa s'éloigner et attendit encore un peu puis sortit de derrière le mur. Là, il fixa de nouveau le temple et pris d'une subite impulsion, y rentra.
Jolo ne fut pas surpris d'y trouver le Kurior. Il était assis devant l'autel et le regardait. Jolo eut alors l'impression qu'il l'attendait.
Dominant la crainte qu'il éprouvait, l'allure de la bête était tout de même terrifiante, il alla s'asseoir face à elle. Le dragon pencha légèrement sa tête sur le côté, dardant ses yeux rubis sur Jolo. Ce dernier eut la conviction qu'il l'évaluait, le jeune homme eut un sourire sans joie, sans hésiter, il parla au Kurior :
— Ainsi, tu protèges Ovaïa ? Eh bien, je ne sais pas pour quelle raison, mais nous avons le même but. Tant que ce sera le cas, nous serons des alliés. Sache que si tu lui faisais du mal, et quoi qu'il m'en coûte, je te traquerais. Je n'hésiterais pas à me faire aider par d'autres hommes pour te tuer !
Le Kurior laissa échapper un son un peu strident. Sa langue fourchue sortit et rentra très vite de sa gueule écailleuse. Jolo se leva en concluant :
— Jusque-là et comme je l'ai dit, nous sommes alliés. Donc, je ne dirai à personne que je t'ai vu.
Le jeune des marais s'éloigna des bancs, se dirigea vers la sortie, mais se ravisa. Il se tourna une dernière fois vers l'animal :
— À propos, merci pour l'eau.
Une brève étincelle traversa le regard du Kurior. Il émit un bref sifflement, comme s'il répondait : "Pas de quoi.". Cela amusa Jolo. Il sourit, avant de déserter les lieux. Le dragon resta seul. La voix dans sa tête lui dit : "Je l'aime bien, ce jeune humain."
Le Kurior s'étendit sur le pavement patiné par les ans. Il laissa sa langue pendre entre ses dents. Il s'arma de patience...
Annotations