Le Pays D'Ikryl - 6 -
Mer intérieure de Békali - Camp Principal des Armées Infernales
Ozerel rentra dans la hutte du nécromancien. Il se tenait debout devant un chaudron bouillonnant. Enveloppé d'une robe de bure au capuchon relevé, on ne voyait de son visage que son nez busqué et vérolé. Des mains crochues dépassaient des manches de son vêtement qui couvrait l'intégralité de son corps. Le chef des démons en entrant sur les lieux d'un pas conquérant en tonnant :
— Tu as mal fait ton ouvrage. Le faiseur d'eau est libre !
Sur un ton calme et caverneux, le Nécromancien répondit :
— Je sais qu'il est libre. Quant à mal faire mon ouvrage, c'est faux. Ceci pour deux raisons. La première étant que je t'avais prévenu sur la précarité du piège, qui m'a permis de le lier à la magicienne que j'avais choisie et dévoyée. La seconde, c'est que l'un de tes lieutenants a négligé un facteur important.
Ozerel se défendit aussitôt :
— Sûrement pas !
La silhouette encapuchonnée pivota vers le chef démon. La voix du nécromancien devint sépulcrale quand il dit :
— Convoque ton second lieutenant, celui qui s'est chargé du domaine d'Eraland. Soumets-le à un interrogatoire drastique. Tu découvriras alors qu'il t'a menti quant à la destruction du vaisseau de l'héritière.
Consterné, Ozerel s'écria :
— Je ne te crois pas !
Le sorcier se concentra de nouveau sur son chaudron, il y jeta quelques pincées d'une poudre rouge :
— Crois-le...
Ozerel insista :
— Tu insinues que le vaisseau de l'héritière n'a pas été détruit ?
— Je ne l'insinue pas, je l'affirme, aussi que le chemin du chercheur d'eau a croisé celui de l'héritière, et que celle-ci l'a délivré, d'une manière ou d'une autre.
Le général démon était cette fois, proche de la panique, il demanda encore :
— Que vas-tu faire pour remédier au problème ?
Le nécromancien se figea, puis un rire sans joie le secoua. Il dit enfin :
— Tu ne comprends pas ? Ta campagne, tes buts, tes espérances, TOUT ceci est compromis. À mon avis, ta meilleure chance, c'est de retourner d'où tu viens et de supplier le maître de te pardonner.
Ozerel se rapprocha dangereusement de lui en s'exclamant :
— Je refuse d'entendre ça. Je te demande une solution !
Sans peur, le sorcier lui fit de nouveau face et l'affronta du regard. Un lourd silence s'installa... Ozerel, malgré lui, recula. C'est lui qui baissa les yeux. Le nécromancien se détourna. Il remua le contenu de son chaudron en déclarant :
— Je pense qu'il n'est pas possible de renverser la vapeur, d'autant plus que l'héritière transporte le talisman avec elle...
Ozerel affirma avec force :
— Tu te trompes, nous l'avons détruit, tu étais là !
— De toute évidence, nous avons détruit un leurre...
Le nécromancien se figea soudain. Il se pencha brièvement sur le contenu du chaudron, se redressa et eut un autre rire sans joie. Il dit ensuite :
— Nous avons été trompés...
Agacé, Ozerel réitéra :
— Je ne veux pas entendre ça, je ne m'avouerai pas vaincu, trouve une solution !
Il conclut en sortant de la hutte :
— Remets-toi au travail, je vais interroger mon second lieutenant !
En repassant devant la cage où se trouvait Leenel d'Igrul, Ozerel ralentit. Il fixa la jeune femme blonde, qui lui tournait le dos. Il eut un léger sourire. Son regard obscur étincela de convoitise. Sa langue épaisse passa sur ses lèvres. Il pensa : "Hum... Je m'offrirais bien un moment avec ma friandise préférée !" Les problèmes de moment s'imposèrent à lui. Il se détourna à regret en se disant : "Je n'ai pas de temps pour ça maintenant. Je verrai plus tard !" Il s'empressa en direction du cantonnement de ses lieutenants.
Pays d'Ikryl
Très loin de là, juste après la frontière sud du pays d'Ikryl, le convoi mené par Dokar progressait lentement. Il avait quitté la piste de sable, pour s'engager sur une sente qui s'enfonçait dans une forêt moribonde qui avait été luxuriante. Le jeune seigneur nota quand même, qu'elle n'était pas en plus mauvais état que la dernière fois où il y était passé.
Ovaïa, de son côté, observait ce qui l'entourait. Elle se rappelait cette forêt. Elle y était passée lors du voyage qui l'avait mené d'Eraland en Ikryl. C'était à l'occasion de son mariage avec Rovor. Sa mémoire lui restitua des images magnifiques : Un sol souple riche en humus, un sous- bois rempli d'une vie animale foisonnante, une canopée luxuriante qui créait au-dessus d'elle une voûte bruissante, épaisse et néanmoins lumineuse par sa profusion de couleurs. Ce qu'elle voyait à présent la déprimait, Toutes les feuilles s'étaient racornies et noircies. Certains arbres étaient même totalement dénudés. Le sol était sec et poussiéreux, et le sous-bois pesant de silence...
La jeune femme s'assombrit. Elle soupira. La jeune servante à ses côtés lui demanda :
— Tout va bien, Madame ?
La jeune mère se reprit, se força à sourire, et répondit :
— Oui, rassure-toi...
Meéli, n'insista pas. Ovaïa se détourna et se replongea dans ses pensées.
Presque en début de cortège, Jolo suivait sans mal le rythme de la marche. Il n'était pas incommodé par la chaleur. Obro, juché sur son destrier, arriva à sa hauteur. Il lui demanda :
— Ce n'est pas trop dur ?
— Je suis résistant. Après tout, la traversée des monts de cuivre était beaucoup plus difficile.
Obro eut un rire franc et cette parole :
— Tu n'as pas encore vu le pire de ce pays, mon ami.
Il proposa ensuite :
— Tu ne veux pas que je te prête un cheval ? Il y en a de disponible.
Jolo répliqua immédiatement :
— Les Dieux me préservent de me jucher un jour, sur l'un de ces canassons !
Obro s'étonna :
— Tu n'es jamais monté ?
— Dans un marais ? Où aurais-je bien pu apprendre ? Chez moi, je n'ai besoin que d'un bon bateau, il faut être aussi un excellent nageur,
Obro admit :
— Tu n'as pas tort, pour ce qui est de moi, je suis un piètre nageur.
Sur cette phrase, il tourna bride, en ajoutant quand même :
— Mais si tu changes d'avis, je suis prêt à t'enseigner.
Il s'éloigna de Jolo...
À quelques kilomètres de là, le Kurior avait pris de l'avance sur le convoi. Il était sur les traces d'une patrouille de démons qui venait à la rencontre de Dokar et des siens. Autrement dit, l'affrontement était inévitable. Le dragon ne devait pas les arrêter. Cette fois, il devait se contenter d'observer. La voix lui l'avait ordonné. Pour le maître, il était temps d'évaluer la potentialité de l'héritière. Le Kurior était sur le point de sortir de la forêt, alors que le cortège de l'autre côté venait d'y pénétrer. Le dragon monta sur un arbre massif et presque mort, il s'allongea sur un large branche, et il huma l'air ambiant... La patrouille démoniaque était loin encore... La voix s'adressa au dragon ainsi : "C'est là qu'ils se rencontreront, patience..." Le Kurior obéit...
Annotations