Le Pays D'Ikryl -7 -

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Comme de coutume, Dokar était en tête de cortège. Bien sûr, de temps à autre, il tournait bride pour inspecter succinctement la longue file de cavaliers, de personnes et de chariots qui progressait péniblement dans le sous-bois. La chaleur était accablante et le rouge du ciel avait pris une nuance foncée, qui ne disait rien qui vaille au jeune seigneur. Il savait que, toutes les fois où c'était arrivé, et où qu'il soit, cela avait annoncé une attaque des forces adverses.

Dokar appela Obro. Il arriva vers lui. Il lui dit :

— Prends quelques hommes avec toi. Vous partirez devant voir si le chemin est dégagé. Passez à travers bois, n'utilisez pas la sente. Si vous voyez quelque chose, venez m'en avertir immédiatement. 

Obro acquiesça et s'éloigna de Dokar. Ce dernier soupira. Il se disait que la route menant au manoir de son père, n'allait pas être de tout repos. Il appela un autre de ses cavaliers, en l'occurrence Lorac qui n'était pas loin et lui demanda :

— Dans quel état sont les guerriers d'Abeth ? 

— Je pense qu'ils sont en assez bonne forme, Monseigneur.

— D'accord, tu vas sélectionner les plus vigoureux, leur donner des armes, et les conduire ici en avant-garde. 

— Ah, vous avez remarqué le ciel, Monseigneur ?

Dokar  hocha la tête. Lorac talonna son cheval, afin de suivre les ordres de son seigneur. Quant à celui-ci, il ordonna une pause.

Ovaïa ne fut pas surprise que le convoi s'arrête. Elle le fut davantage, en remarquant qu'Obro et plusieurs de ses hommes quittaient le cortège. Puis elle vit Lorac qui passait parmi les hommes d'Abeth. Il avait mis pied à terre. Il examinait les guerriers des roches jaunes, l'un après l'autre.  La jeune mère pour elle-même murmura : "Que se passe-t-il ?" Elle réfléchit, avant de se délester de son enfant, le confier à la servante et lui dire :

— Prends soin de lui.

Ensuite, elle se saisit de son épée et résolument rejoignit la tête du cortège

Dokar en la voyant arriver s'exclama :

— Ovaïa, ce n'est pas le moment, regagne ton chariot !

Elle répondit par la question suivante :

— Une attaque de l'ennemi serait-elle Imminente ?

Le visage de son beau-frère se voila de contrariété. Il répliqua :

— Même si c'est vrai, tu n'as rien à faire ici, retourne auprès de ton enfant.

Calmement, elle assura :

— Méeli s'en occupe. Quant à moi, j'ai une furieuse envie d'en découdre avec quelques démons...

Dokar allait protester, mais une voix l'en empêcha. C'était Evalane qui approchait. Elle était juchée sur son cheval et s'exclamait :

— C'est une femme comme je les aime, courageuse, tenace et combative !

Ensuite, elle dit à son frère :

— Tout autant que nous, elle a le droit de combattre les malfaisants.

Elle s'adressa ensuite à la jeune mère :

— Viens avec moi, on va te trouver un cheval...

Evalane entraîna sa belle-sœur à sa suite, sans tenir compte de la consternation de Dokar. Ce dernier fulmina entre ses dents : "Les femmes !"

Lorac arriva vers lui. Il oublia sa sœur et sa belle-sœur et regarda la vingtaine d'hommes qui précédait le cavalier et s'étonna :

— C'est tout ?

— Les autres sont malades.

— Comment ça, malades ?

— Beaucoup souffrent de maux de tête et de tremblements.  

Lorac hésita avant d'ajouter à mi-voix :

— C'est peut-être le mal noir...

— Qu'est-ce qui te fait penser ça ?

— Cela y ressemble. Puis, ils ont tous mangé de la chair humaine.

Le jeune seigneur objecta :

— Abeth et Gorio aussi, et ils sont en pleine forme, enfin, je crois...

Lorac ne répondit pas. Dokar réfléchit puis décida :

— Bien, nous nous contenterons de ceux-ci. Pour ce qui est des malades, demande à Ulkir de les examiner.

— Je me suis permis d'anticiper votre demande, Monseigneur. 

— Tu as bien fait.

Dokar fixa la vingtaine d'hommes qui prenait position devant lui. Il eut alors un soupir intérieur et cette pensée : "Espérons que cela suffira."

Evalane avait cédé à Ovaïa une jument grise aux jambes solides et musclées. Elle lui avait dit :

— Elle ne te décevra pas, elle est courageuse et dure à la tâche...

La jeune mère la remercia. Sa belle-sœur reprit en lui donnant un vêtement aux reflets argentés :

— N'oublions pas le principal, une cotte de mailles digne de ce nom. Les Malfaisants sont de répugnantes créatures, mais ils savent manier l'épée avec une dextérité forcément diabolique, inutile de leur donner l'occasion d'abîmer ton corps de rêve. Ovaïa eut un léger rire et cette parole :

— Voyons Evalane...

— Je plaisante ! Ceci dit, je suis sérieuse, la cotte de mailles te sera très utile. 

Elle ôta aussi de sa ceinture une dague à double tranchant, effilée, à la garde ornée de petits éclats rouges. Elle lui l'offrit en assurant :

— Cela te sera utile dans le corps-à-corps ; dans ce cas, ton épée ne te servira pas à grand-chose.

— La dague de ta mère ? C'est un honneur, vraiment, mais... et toi ?

— Ne t'inquiète pas, j'en ai une autre...

Elle sourit. Ovaïa, indécise, commença à dire :

— Dis-moi, est-ce que tu sais d'où les démons viennent exactement ?

Evalane haussa les épaules, et répondit :

— Le lieu exact non, mais des témoignages concordants prouvent que les premiers bataillons de malfaisants sont apparus dans l'extrême nord...   

Ovaïa, intriguée, demanda :

 — L'extrême nord ? En suivant la route du sel ? Celle qui mène en Surilor ? 

Elle répondit :

— C'est ça.

Puis elle dit soudain :

— Une minute, je n'ai pas dit qu'ils venaient effectivement de là-bas

La jeune mère, qui venait d'être saisie d'un pressentiment tenace rétorqua :

— Mais c'est une possibilité, n'est-ce pas ?

— Oui... néanmoins, cela ne veut pas dire...

Ovaïa la coupa :

— Comment ces démons seraient-ils rentrés dans notre monde ? Est-ce qu'il y a des théories à ce propos ?

Evalane, incertaine dit :

— Là, les rares témoignages sont confus. Je ne crois pas qu'il faille y prêter attention.

— Dis-moi ce que tu sais quand même.

Evalane prit une profonde inspiration, elle croisa les bras, ferma les yeux et se détourna. Ovaïa insista :

— Evalane ? J'ai besoin de savoir...

Sa belle-sœur reporta son regard sur elle. Elle avoua enfin :

— Certains parlent de portes qui déchirent le ciel, telles des plaies lumineuses... mais, ce n'est pas toujours des témoignages dignes de foi....

Cependant Ovaïa était devenue très pâle. Un souvenir venait de remonter à sa mémoire...

"Cela s'était passé trois semaines après leur retour de la terre d'Ikryl où elle s'était rendue pour épouser Rovor. Comme convenu, c'est lui qui avait suivi son épouse en terre D'Eraland. Une décision prise par les pères des jeunes gens. Cet après-midi-là, elle cherchait son conjoint. L'après-midi touchait à sa fin, elle ne l'avait pas vu de la journée. Pas depuis le matin, en tous les cas. Les serviteurs l'avaient guidée en direction de la bibliothèque. Elle était rentrée dans la salle de lecture. Il n'était pas la. La lourde et vaste table en bois était encombrée de livres et de papiers divers. Il y avait une plume et un encrier aussi. Curieuse, elle s'était approchée. Elle avait remarqué que les feuilles de parchemin étaient remplies d'une écriture régulière et serrée. Il y avait des dessins également, des figures et des signes étranges aussi. Puis ses yeux s'étaient posés sur un livre ouvert. Sans pouvoir s'en empêcher, elle s'en était saisi, elle avait contemplé une image qui l'avait fascinée et effrayée aussi. Il représentait la paroi d'une montagne et une sorte de cercle de lumière apparaissait sur cette paroi ! Brusquement, elle avait entendu un bruit. Elle avait ressenti une sorte de peur d'être surprise là, à regarder peut-être des choses interdites, elle s'était enfuie de la bibliothèque... Ce jour-là, elle n'avait revu Rovor qu'au moment du coucher. Elle  avait essayé de lui parler de l'incident de la bibliothèque, mais elle n'y était pas parvenue ! Elle ne lui avait même pas reproché d'avoir été absent toute la journée... Le lendemain, elle avait tout oublié... Une semaine était passée durant laquelle il avait été un exemple d'amour et d'attentions respectueuses à son égard. Il était brusquement parti le lendemain de leur ultime nuit ensemble, sans rien dire, sans un mot, et avant qu'elle ne se réveille... Elle s'était mise à souffrir !!"

Ovaïa sortit brusquement de ce souvenir. Evalane, inquiète, s'adressait à elle ainsi :

— Que se passe-t-il ? Tu es si pâle soudain ?

Elle s'était reprise, mais avait dit :

— Je crois que l'histoire de la porte lumineuse est la vérité. Je pense... je suis sûre même, que c'est Rovor qui a ouvert cette porte..

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