Le Pays d'Ikryl - 10 -

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Dokar en voyant entrer Ovaïa, la regarda une brève seconde, avant de se détourner d'elle. Il récupéra de la nourriture et la lui apporta. La jeune femme le remercia. Elle gagna sa couchette, et grignota un peu. Soudain, un coup de tonnerre la fit sursauter. Ensuite, elle sourit en se disant : "Il m'a exaucée."  La voyageuse recommença à manger. Dokar avait rejoint le seuil de l'abri. Il regarda la pluie tomber avant de lancer à Ovaïa :

— Ton ami est revenu...

— Comment ça ? 

— Le Kurior.

— Il n'est pas mon ami.

Il pivota vers elle, cilla et soupira :

— Si tu le dis...

La jeune femme alla regarder Méeli. Celle-ci dormait, allongée en chien de fusil sur sa couchette, l'enfant pelotonné contre elle. Elle se dit : "Bien, elle n'a pas entendu la réflexion de Dokar".  Elle contempla la jeune nourrice, ainsi que son bébé. Pour ne pas le réveiller, elle ne chercha pas à le récupérer. Elle soupira. Evalane à son tour, entra dans la tente, trempée, mais ravie  et en lançant à la ronde :

— Le fleuve est en train de se remplir plus vite qu'il ne s'est asséché !

Dokar répondit distraitement :

— Vraiment ?

Elle l'assura encore, avant d'ôter son armure. Son frère se détourna et rejoignit son lit. Sa sœur enleva sa tunique et sa chemise, avant d'aller chercher dans ses affaires des vêtements secs. Elle les passa, puis s'avança vers Ovaïa. Sans façon, elle prit place à ses côtés et déclara ensuite :

— Je n'ai pas encore eu l'occasion de te le dire, mais tu as été formidable, là-bas dans la forêt face aux malfaisants. On aurait dit Syrati la déesse guerrière, tu m'as beaucoup impressionnée !

— J'ignorais que tu m'avais vu, tu étais un peu loin.

Evalane sourit et rétorqua :

— Dès que tu t'es avancée, je t'ai suivie. À distance raisonnable, bien sûr, je ne voulais pas essuyer les foudres de mon frère.

Elle alla regarder Dokar, celui-ci feignait de les ignorer. Il leur tournait le dos et ne perdait pas une miette des propos de sa sœur qui ajouta :

— Je suis sûre que mon frère pense la même chose. Alors, ne te laisse pas impressionner par ses grands airs.

Dokar pivota vers sa sœur, prêt à protester. Cependant, elle devança sa réflexion en lui disant :

— Tu sais que c'est vrai...  

Ovaïa se taisait, mais elle souriait. Dokar se contenta de hausser les épaules. Il se détourna de nouveau en restant silencieux.  Sa sœur n'insista pas. Elle se leva en disant à sa belle-sœur :

— Je te laisse te reposer. Je vais faire de même. Bonne nuit...

— De même.

Evalane gagna sa couche, s'étendit et pensa brièvement que le confort de sa chambre au manoir lui manquait. Par contre, la vie compassée qui allait avec, pas vraiment. En définitive, elle préférait courir le monde et guerroyer en compagnie de son frère... Ses pensées dévièrent. Cette fois, c'est sa douce Leenel d'Igrul qui accapara son esprit. Elle espérait encore qu'elle soit vivante quelque part. Elle priait pour cela. Elle fit de même ce soir-là. Cela l'apaisa, elle se détendit et s'endormit...

*****

Jolo, pensivement, fixait le fleuve qui débordait presque à présent. Debout sur le seuil de son abri, il avait vu l'eau bienfaitrice remplir le lit asséché à une vitesse stupéfiante. À présent, il pensait : "C'est encore un présent du Kurior !" Cela ne le rendait pas serein. Il ne savait toujours pas si l'évidente proximité entre le dragon et Ovaïa était bien pour elle. La voix d'Obro le tira de ses interrogations. L'homme lui disait :

— Et alors mon ami, que se passe-t-il ? Cette pluie t'inquiète-t-elle ? 

— Non, c'est un don du ciel, au moins je l'espère...

Obro le contempla un moment avant de fixer les eaux tumultueuses du fleuve. Il dit ensuite :

— Je vois, tu t'inquiètes du rapport évident entre le chercheur d'eau et Dame Ovaïa !

Stupéfait, Jolo le fixa. Le cavalier eut un léger rire et cette parole :

— J'ai vite compris qu'il y avait un lien entre eux. 

Tendu, Jolo répliqua :

— J'espère que tu es le seul, car je ne suis pas sûr que tes camarades voient cette connivence d'un bon œil. Ils pourraient accuser Ovaïa de sorcellerie...

Obro admit :

— Il est vrai qu'ils sont un peu superstitieux. Néanmoins, ils restent plutôt modérés. Par ailleurs, Monseigneur fera tout pour protéger la Dame d'Eraland.

Ceci dit, il conclut son propos en déclarant :

— Ne conçois pas trop d'inquiétude.

Il rentra sous la tente sur ces mots. Jolo resta encore un moment à fixer le courant tumultueux de l'Ikryl. Enfin, à son tour, il pénétra sous l'abri de toile.

******

Mer intérieure de Békali - Cantonnement de l'Armée Infernale  

Ozerel sortit d'une yourte dans laquelle il avait passé la plupart de la journée. Dans cet endroit, son second lieutenant y avait été torturé.  Il avait bien fallu ce temps-là, pour parvenir à faire admettre au démon ses mensonges à propos de l'héritière. À présent, le général des armées démoniaques savait à quoi s'en tenir. Il était aussi très désappointé. Il sentait presque que sa défaite était inéluctable, qu'au moins sa campagne était compromise, mais il voulait croire qu'il était encore possible de renverser la vapeur. Qu'il suffisait d'y réfléchir, et qu'ainsi la solution lui apparaîtrait. 

En attendant, il avait décidé d'ordonner un mouvement de retraite. Il avait déjà choisi le site. Si tout se passait bien, c'est de cette nouvelle position qu'il avait l'intention de repartir à la conquête de ce monde, avec cette fois la victoire comme récompense.  En tous les cas, il n'en doutait pas vraiment, faisant fi de son instinct qui lui hurlait la fin de sa désastreuse aventure. Tout à ses préoccupations, il passa devant les cages, sans vraiment les voir, en les ignorant même, il accéléra le pas vers la hutte du nécromancien. 

******

Leenel d'Igrul sommeillait à peine quand le général Ozerel passa près de la cage où elle était enfermée, avec d'autres. Elle sursauta quand son tortionnaire frôla sa prison, le suivit des yeux avec horreur puis soulagement quand il s'éloigna de sa geôle. Elle reprit son souffle. Le mage de sa Maison attira alors, son attention  :

— Milady, le charme est prêt.

Un vif soulagement la saisit. Elle demanda néanmoins :

— Cela va-t-il vraiment marcher ?

— Si vous ne tardez pas trop, et tant que je reste ici, je pourrais dissimuler votre absence suffisamment de temps pour que vous puissiez fuir, vous et le plus grand nombre de personnes possible. 

Stupéfaite, elle s'exclama :

— Vous ne venez pas avec nous ? 

— Si je le fais, le charme se dissipera aussitôt, Milady. Ma présence avec vous n'est pas essentielle. Par contre, il est impératif que vous quittiez ce camp.

— J'ai encore besoin de vous, Sénélor !

— Je suis vieux, Milady, vieux et fatigué, j'ai fait mon temps. Je suis heureux d'offrir ma vie à la réussite de votre évasion. Ainsi, je paierai ma dette à votre famille, car je n'oublie pas que sans votre arrière-grand-père, je serais mort depuis bien longtemps. 

Il ajouta très vite :

— Ne tardez plus, Milady, je ne pourrai pas maintenir le sortilège plus de quelques heures.

La gorge serrée, elle le regardait, puis spontanément elle le prit dans ses bras et l'étreignant avec émotion, elle lui murmura :

— Je prierai pour vous, Sénélor.

Ensuite elle le lâcha, s'éloigna et sortit de l'ourlet de sa robe, un petit objet long et brillant. Avec celui-ci, elle entreprit de forcer la serrure.

*****

Plus tard

La longue file d'hommes et de femmes circulait en file indienne et silencieusement au milieu du camp d'Ozerel. Grâce au sortilège, ils étaient invisibles au regard des démons. Bien sûr, tous avaient peur, et la jeune Dame en premier, que le charme ne se dissipe trop tôt et qu'ils soient tous repris. Le but de la jeune femme était de passer les lignes de défense de l'ennemi pour rejoindre celles des humains. Pour y parvenir, il était nécessaire, après avoir quitté le camp, de longer une falaise et marcher sur une plage de pierres tranchantes. Cette plage suivait la mer de Békali sur près de cinq cents mètres. 

Ce n'était déjà pas facile d'effectuer un tel périple le jour, mais de nuit, c'était encore pus ardu. Leenel et ceux qui l'accompagnaient ne manquaient pas de courage. Par ailleurs, se mettre à l'abri des démons pour un long moment, si ce n'était définitivement, était une excellente motivation. C'est pourquoi aucun des fuyards ne ménageait sa peine. Après une épouvantable période de captivité, ils étaient prêts à tout pour retrouver leur liberté. Leenel se mit à espérer qu'elle reverrait Evalane. Avec détermination elle accéléra le pas...

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