Le Pays d'Ikryl - 11 -
Camp principal du Général Ozerel - Mer intérieure de Békali
Ozerel rentra dans la hutte du Nécromancien. Celui-ci toujours devant son chaudron, semblait ne pas en avoir bougé depuis que le général l'avait laissé la veille au soir. Le chef des démons le vit jeter quelque chose dans le liquide épais et bouillonnant que contenait le récipient. Puis le sorcier demanda brusquement :
— Ton lieutenant a fait des aveux ?
Ozerel s'avança et répondit :
— Il a reconnu qu'il n'avait pas pu détruire le vaisseau de l'héritière. Elle s'est enfuie du domaine avant qu'il n'ait pu l'identifier et agir. Il l'a cherchée durant des mois sans la trouver. Il en a déduit qu'elle était morte de faim quelque part et qu'en conséquent, il ne voyait aucune raison de ne pas m'affirmer qu'il l'avait détruite.
Le sorcier fixa les méandres tourbillonnants de la substance noirâtre qui mijotait. Il dit à Ozerel :
— Tu es dans l'expectative !
— Néanmoins, j'ai pris une décision.
— Laquelle ?
— Nous allons prendre position au pied du volcan Oleko. Là-bas, je pourrai redéfinir ma stratégie.
— Autrement dit, tu bats en retraite ?
Quelque peu vexé, il répliqua :
— C'est un retrait provisoire, nous reprendrons la conquête de ce monde bientôt. Si j'ai un conseil à te donner, travaille un peu tes prévisions, elles nous ont fait bien défaut ces derniers temps...
Le nécromancien, resta un assez long moment immobile et silencieux devant le chaudron. Puis il pivota brusquement vers le chef des démons en déclarant :
— Ta petite chérie s'est sauvée !
Ozerel s'exclama :
— De qui parles-tu ?
Puis il comprit, fou de rage, il éructa :
— Petite garce !
Il se rua hors de la hutte du sorcier...
Au moment où le Général démon ouvrait la cage, Leenel d'Igrul et ceux qui l'accompagnaient atteignaient la falaise. La petite troupe hâtait le pas sur la plage de cailloux, aussi vite qu'elle le pouvait, en sachant que seule la rapidité permettrait aux évadés de se mettre hors de portée des démons.
Quand Ozerel vit le vieux Sélénor assis en tailleur devant un bol de bois, d'où s'échappaient des volutes de fumée entêtantes, il le saisit à la gorge et serra jusqu'à ce que les os usés du vieillard cèdent sous la pression. Un claquement sinistre, bref et définitif retentit dans la cage. La colère du démon était loin d'être consommée. Il entreprit de réduire le corps de Sélénor en charpie ! Quand il eut terminé, il fulminait toujours. Il envisagea un bref instant, de se lancer sur les traces de la fuyarde, mais il réalisa qu'il avait d'autres priorités. Il se détourna de la prison, et rapidement rejoignit sa tente...
Le Lendemain Matin - Plaines de L'Ikryl - Camp de Dokar
Le jeune seigneur sortit de sa tente et s'avança vers le fleuve qui coulait paresseusement sous le ciel vineux de ce début de matinée. Il s'approcha plus près encore de la berge et contempla la surface miroitante. Soudainement, une envie irrépressible de se baigner le saisit. Un bref sourire éclaira son visage. Sans attendre, il se débarrassa de ses vêtements et se jeta à l'eau... Autour de lui, la moitié de ses hommes faisait de même.
Ovaïa ouvrit les yeux sur cette nouvelle journée. La première chose qui l'interpella fut l'absence de l'enfant contre elle. Elle posa ses yeux sur la servante. Celle-ci était assise sur la couche, le bébé niché contre sa poitrine couleur de lait, buvait avec ardeur. De là où elle était, la jeune femme entendait les bruits de déglutition. Un léger soupir de frustration s'échappa de ses lèvres, elle sentait ses seins lourds et remplis et faillit dire à Méeli :
— Cela suffit, rends-moi mon fils !
La jeune mère n'en fit rien. La jeunette à son tour la regarda. Elle comprit le ressenti de la mère du bébé, ainsi profita-t-elle d'un moment où l'enfant lâchait le téton, pour l'écarter d'elle et l'amener vers Ovaïa. Celle-ci reconnaissante lui dit :
— Merci Méeli...
Celle-ci répondit :
— Je vous en prie, Madame. C'est normal.
Méeli sourit, Ovaïa plaça l'enfant contre elle, celui-ci ouvrit la bouche, attrapa le sein qui lui était présenté et commença à boire...
Jolo debout près du fleuve, posait sur les hommes de Dokar un regard amusé. La moitié des cavaliers se délestait de ses vêtements, pour plonger dans l'eau calme et fraîche de l'Ikryl. Obro arriva vers le jeune homme du marais. Jolo lui demanda :
— Tu ne te joins pas à eux ?
Le second du jeune seigneur, s'exclama :
— Les dieux m'en préservent !
Il ajouta ensuite :
— Je te l'ai dit, je suis un piètre nageur. Toi, tu devrais en profiter...
Jolo hésita puis décida :
— Tu n'as pas tort, pas sûr que j'en aie l'occasion avant longtemps...
À son tour, il se dévêtit. Peu après, il sautait dans le fleuve et se mettait à nager.
Dokar ne laissa pas cet intermède durer trop longtemps. Il donna à ses hommes une petite heure pour s'ébattre dans le courant de l'Ikryl. Puis il battit le rappel. Il fut immédiatement obéi. Pour sa part, Jolo s'attarda encore un peu, avant de se hisser sur la berge. Au moment où il le faisait, Ovaïa sortait de la tente. Sans le vouloir vraiment, elle posa ses yeux sur le corps nu et mouillé du jeune homme. Elle resta ébahie. Il pivota brusquement vers elle. Leurs regards se rencontrèrent. Ovaïa ressentit alors comme un choc d'autant plus violent qu'elle ne s'y attendait pas. Elle se détourna vivement, et retourna dans l'abri. Jolo, quant à lui, se reprit à grand-peine. Il savait qu'entre lui et la jeune femme, une sorte de courant émotionnel était passé. Il tenta de se dire : "Je dois résister, elle est mariée !" Pour lui il était déjà trop tard. Tristement, il remit ses vêtements puis retourna à sa tente en sachant qu'entre Ovaïa et lui, tout venait de se compliquer.
Le convoi leva le camp une heure plus tard. La jeune femme n'avait pas eu l'opportunité de se baigner. Elle en était désolée, mais après avoir surpris Jolo dans le plus simple appareil, elle avait eu peur de le rencontrer et peut-être de se retrouver dans une situation similaire. Elle n'arrêtait pas de se dire : "Je suis mariée, j'aime Rovor. Ce que j'ai ressenti face à Jolo n'est dû qu'à ma solitude affective actuelle." Elle voulait s'en convaincre, mais savait bien au fond, que ce n'était pas aussi simple. Elle monta dans son chariot, en compagnie de Méeli, dans cet état d'esprit, en gardant son bébé avec elle. En sachant qu'il était la barrière principale entre Jolo et elle... Dès cet instant-là et pour un bon moment, Ovaïa allait prendre ses distances avec le jeune homme du marais...
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