Le Pays D'Ikryl - 13 -
Ulkir avait laissé Dokar s'éloigner suffisamment, pour qu'il ne l'entende pas marmonner à voix basse :
— Comme si je n'avais pas autre chose à faire que de m'occuper d'un démon !
Puis il avait repris ses tâches habituelles, interrompues brièvement par le jeune seigneur. Pendant ce temps, Dokar avait rejoint l'emplacement où quelques hommes, dont Obro et Jolo, dressaient sa tente. Il les regarda faire un moment avant de s'éloigner. Cette fois, il alla vers le chariot où se trouvait toujours Ovaïa. La jeune servante était à ses côtés, impassible et patiente. Dokar remarqua que la Dame d'Eraland donnait le sein à son enfant. Il se détourna aussitôt et décida de revenir plus tard, s'il en avait le temps. Il partit à la recherche de sa sœur.
Le jeune seigneur la trouva avec les chevaux. Elle les soignait. C'était un travail qu'elle aimait faire. En s'approchant d'elle, il remarqua qu'elle avait ôté son armure. Elle n'avait gardé sur elle que son pantalon en coton léger, et un corsage de lin. Il fronça les sourcils en apercevant dans l'échancrure de son vêtement la courbure d'un sein. Il s'avança plus près d'elle et lui chuchota :
— Evalane, tu devrais couvrir davantage ton buste.
Elle se redressa, écarta une mèche brune venue s'égarer sur son visage, avant de sourire et de dire :
— Je t'en prie, mon frère, ne sois pas rabat-joie. Personne ne me voit...
— Sauf ceux qui passent, sans que tu ne les aperçoives.
Elle leva les yeux au ciel et reboutonna son corsage puis demanda :
— Cela te convient ainsi ?
Il hocha la tête avec satisfaction. Puis changeant de sujet, il dit :
— Je crois que le démon va nous claquer entre les doigts.
Elle haussa les épaules avant de répondre :
— Quelle importance ? Si tu comptes sur moi pour lui organiser des obsèques et le pleurer, tu t'es trompé de personne.
Avec humeur, il rétorqua :
— Ne plaisante pas avec ça ! Par ailleurs, si je veux qu'il reste vivant, c'est que je tiens à ce que notre mage l'interroge. C'est le seul qui parviendra à comprendre un peu son langage.
Evalane termina d'étriller le cheval dont elle s'occupait. Elle demanda :
— Qu'est-ce que tu comptes faire ?
— J'ai demandé à Ulkir d'aller jeter un œil sur lui.
Evalane sourit, puis rétorqua :
— Il doit être ravi !
Elle passa au cheval suivant, puis dit soudain à son frère :
— Je dois te parler d'un sujet important. J'ai discuté un peu avec Ovaïa. Elle m'a exposé une théorie qui expliquerait peut-être la présence des démons dans notre monde.
Curieux, il demanda :
— Quelle sorte de théorie ?
— Trouve-toi un moment pour que nous en discutions en privé. Là, je n'ai pas trop le temps.
Bien qu'intrigué, il opina du chef et proposa :
— D'accord, ce soir après le dîner, sous l'auvent de la cuisine. Il n'y aura personne.
Elle donna son accord. Satisfait, il s'éloigna d'elle sans rien ajouter d'autre. Evalane reprit son ouvrage.
Les tentes dressées, Ovaïa, Méeli sur ses talons, rejoignit celle qu'elle partageait, avec Dokar et Evalane. Elle gagna sa couchette et commença à se délester de ses affaires. En premier lieu, elle glissa son épée sous son lit et posa son sac de toile sur le sol. Enfin avec délicatesse, elle ôta le bébé de son cocon, le coucha sur la couchette et s'occupant de son bien-être, laissa ses préoccupations derrière elle...
******
Dans l'une des tentes réservées aux cavaliers de Dokar, Jolo se laissait tomber sur une couchette. Il était fourbu. Comme toujours quand il était préoccupé, il s'était abruti de travail. Il ôta ses chausses et constata qu'elles étaient en piteux état. C'était assez légitime, elles n'avaient pas été conçues pour de longues marches. Il enleva sa chemise froissée et tachée, qui aurait eu bien besoin d'être lavée. Jolo pensa : "J'aurais dû le faire hier, dans le fleuve !" Il soupira.
Du coin de l'œil, Obro l'observait. Il réalisait que le jeune homme risquait très bientôt de se retrouver nu, tant sa vêture était abîmée et sale. Il ne réfléchit pas longtemps au problème, avant d'aller fouiller dans ses propres vêtements. Le cavalier sortit un pantalon, une tunique et se dirigea vers un coffre laissé près de l'entrée. Il y piocha une paire de bottes. Elles étaient fabriquées en cuir de chèvre des rochers, souples, solides et confortables, parfaitement adaptées au cavalier chevauchant son destrier, mais aussi aux longues marches. Obro s'avança vers Jolo et posa son chargement sur sa couchette. Le jeune homme des marais commença à dire :
— Il n'est pas utile...
Obro le coupa :
— Inutile de protester, tes effets partent en lambeaux. Je n'ai pas envie de te voir déambuler à moitié dévêtu dans le camp. Alors pas de fierté mal placée, accepte-le simplement. Tu le mérites, car, tu travailles dur pour le bien commun.
Jolo fut touché. Il remercia chaleureusement l'homme qui eut un geste négligent, puis s'éloigna. Pour sa part, Jolo sans regret, se débarrassa de ses hardes. Il ne remarqua pas le regard admiratif d'Obro, qui ensuite se détourna et quitta la tente.
Evalane attendait depuis peu, quand son frère arriva sous l'auvent. Il prit place à côté d'elle en disant :
— À présent, je t'écoute...
La chevalière lui exposa la théorie d'Ovaïa, concernant Rovor. Quand elle eut terminé, Dokar quelque peu incrédule, demanda à sa sœur :
— Qu'est-ce qui lui a permis d'arriver à de telles conclusions ? C'est très spéculatif !
— Je sais, mais réfléchis. Cela t'étonnerait vraiment de la part de Rovor ? Il a toujours eu des comportements pour le moins atypiques.
Il consentit à admettre :
— C'est vrai, mais quand même, il doit bien exister une raison pour qu'Ovaïa pense une telle chose de son époux.
Evalane cilla et soupira :
— Sans doute, mais elle ne m'a pas parlé de ça. Le moment ne s'y prêtait guère.
Le jeune seigneur réfléchit puis décida :
— Attends ici, je vais la chercher. Nous avons besoin l'un et l'autre de précisions.
Elle acquiesça. Il quitta l'auvent.
Annotations