Le Pays D'Ikryl - 16 -
Ulkir dès qu'il vit entrer Obro, alla vers lui. Ce dernier ne le laissa pas parler, il déclara :
— Ne me dis rien, le mal noir n'est-ce pas ?
— Hélas !
— Qu'est-ce que tu peux faire pour eux ?
— Pas grand-chose, je le crains. J'ai demandé son aide à la Dame d'Eraland.
Il désigna le fond de la tente. Jolo, qui se taisait, regarda dans la direction indiquée. Il déclara ensuite :
— Si vous avez besoin d'aide, je suis disposé à vous offrir la mienne.
— Eh bien, ce n'est pas de refus... Ici, il y a toujours de l'ouvrage. Va donc rejoindre Dame Ovaïa, et si elle est d'accord, tu seras des nôtres pour la journée.
Sans se faire prier, le jeune homme des marais obtempéra. Obro le suivit des yeux. Ulkir remarqua aussitôt ce regard. Il sourit puis lui chuchota :
— Mon ami, celui-ci n'est pas pour toi.
L'autre cavalier eut un geste fataliste et cette parole :
— Je sais, il me reste mes fantasmes.
Puis afin de couper court à d'autres questions, il décréta :
— Bon, je te laisse, je suis certain qu'une réunion d'état-major ne saurait tarder.
Il quitta la tente sur ces mots sans attendre de réponse ou de remarques de la part d'Ulkir.
Celui-ci alors retourna à ses obligations.
******
En voyant approcher Jolo, Ovaïa, surprise, se redressa. Son front se plissa d'étonnement. Elle demanda sur un ton plus sec qu'elle ne l'aurait souhaité :
— Qu'est-ce que tu fais là ?
— Je suis venu offrir mon aide.
La jeune femme le contempla. Elle essuya la sueur qui perlait à son front, puis elle dit en haussant les épaules :
— D'accord.
Elle lui ordonna ensuite :
— Va me chercher de l'eau et fais-la bouillir, tu me l'apporteras ensuite.
Il obtempéra sans rechigner. Alors, elle se concentra de nouveau sur ses préparations.
*******
Tout l'état-major de Dokar était rassemblé sous l'une des plus grandes tentes du camp. Seul Ulkir manquait à l'appel. Le jeune seigneur débuta la réunion ainsi :
— Si je vous ai réuni aussi tôt, c'est pour vous informer que le mal noir est parmi nous...
Personne ne parut vraiment étonné, mais la plupart frémirent. Cependant Dokar reprenait :
— Les conséquences sont évidentes, nous devons nous attarder le temps nécessaire pour l'incinération des corps, mais également pour savoir combien exactement sont infectés parmi le clan des grottes jaunes, car je pense que tous n'ont pas encore déclaré la maladie. Ce qui ne saurait tarder.
Lorac demanda :
— Combien de personnes semblent avoir échappé au mal noir ?
— Je ne sais pas vraiment, pas beaucoup en tous les cas.
Evalane qui était là aussi déclara :
— Le plus révoltant c'est que ce cloporte d'Abeth et son comparse sont dans une forme éblouissante. Je trouve cela des plus choquants !
Lorac admit :
— C'est vrai, d'un autre côté, cela permettra qu'ils soient tous les deux jugés au Manoir et punis.
Dokar prit la balle au bond, il déclara :
— À propos de cela, et c'est l'une des raisons de cette réunion, j'ai décidé de scinder le convoi en deux. La première moitié partira dès que possible pour le Manoir. Il emportera le cuivre dont mon père a besoin et les prisonniers. Il est indispensable que le magicien de mon domaine interroge le démon, avant que celui-ci nous claque entre les doigts.
Lorac objecta :
— Si le malfaisant est malade, laissons-le mourir. De toute façon, je doute qu'il puisse nous apprendre grand-chose sur les plans du Général des démons. C'est un sous-fifre.
La voix de Dokar claqua sévèrement :
— Ce n'est pas à toi d'en juger !
Aussitôt Lorac déclara :
— Pardonnez-moi, Monseigneur. Bien sûr, je m'en remets à vous...
Le jeune seigneur concéda :
— Excuses acceptées.
Il reprit ensuite :
— Il me reste à désigner les cavaliers qui escorteront les personnes et les carrioles qui me devanceront au manoir. Ceux-ci seront sous les ordres de ma sœur, Dame Evalane. Sa voix sera ma voix. Je n'admettrai à son égard ni condescendance, ni insubordination. J'espère que c'est très clair pour tout le monde ?
Là, il alla regarder Lorac avec insistance. Il se raidit, mais ne fit, bien sûr, aucune objection. Satisfait, le jeune seigneur reprit :
— Voici les cavaliers que j'ai désignés...
Il débuta une longue énumération...
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Pendant ce temps, dans le chariot-cage, Abeth et Gorio fixaient le Démon avec inquiétude. Une odeur pestilentielle commençait à envahir l'espace exigu où ils se trouvaient. Gorio s'exclama soudain :
— Par les Dieux, qu'est-ce qu'il pue ! Il est en train de pourrir ou quoi ?
Abeth, sans lâcher des yeux la créature démoniaque, répondit :
— Il y a des chances, en effet !
Puis son regard se détourna pour se poser au-delà des barreaux de sa prison. Il avait fort bien remarqué le remue-ménage qui régnait dans le camp. Il savait aussi qu'il s'était installé très tôt. Comme toujours, il se demanda si cela était bon pour lui. Si d'une manière ou d'une autre, il pourrait tirer avantage de la situation. C'était difficile à savoir, puisque personne n'était encore venu l'informer des raisons de ce surcroît d'animation. Abeth soupira de dépit, puis reporta son attention sur le démon. Celui-ci à présent s'était mis à râler faiblement...
****
Deux heures plus tard
Sous la tente servant de dispensaire, Ovaïa se donnait sans compter, soutenue par Jolo. Elle devait avouer que le jeune homme était d'une aide précieuse. Il ne ménageait pas sa peine, Attentif aux autres, la Dame d'Eraland découvrait qu'il possédait une qualité rare : l'altruisme. À un moment, elle s'approcha de lui, il baignait le front d'un homme quasi comateux, elle demanda :
— Comment va-t-il ?
— Je crains que ce ne soit la fin, hélas !
Ovaïa soupira en secouant la tête :
— Tellement de morts et de souffrances ! Tout cela parce que leur chef ne les a pas guidés comme il aurait dû !
— Oui... Le pire dans tout cela, c'est que je crois qu'Abeth ne regrette rien. Parfois, je passe devant sa prison et je croise son regard glacial et calculateur, sans une once de compassion ou de remords, cela me fait froid dans le dos...
— Il y a des personnes comme ça, qui confrontées au mal, s'y laissent noyer et mieux s'y complaisent, c'est comme ça, on y peut rien.
Tristement, Jolo répondit :
— C'est vrai...
Il plongea le linge dans la bassine d'eau et demanda à Ovaïa :
— À ton avis, combien vont survivre ?
— Très peu, pour ne pas dire aucun...
Empli de tristesse, Jolo ne répondit pas. Il continua à baigner le front du malade. La jeune femme lui dit soudain :
— Je voulais que tu saches à quel point j'apprécie ton soutien...
Il leva les yeux sur elle et croisa son regard sombre, si beau pour lui, si chaleureux aussi, il lui sourit et répondit :
— Je te remercie, mais pour moi, cela va de soi.
Puis il détourna les yeux. Ovaïa fit de même. Elle s'éloigna du jeune homme et se dirigea vers un autre malade sans rien ajouter d'autre.
À la mi-journée, le convoi était divisé. Avant qu'effectivement l'un des deux s'en aille, Dokar alla voir Ovaïa dans la tente "Hôpital". Elle venait de fermer les yeux au troisième mort de cette matinée. Jolo debout à ses côtés, avait les yeux clos. Ses lèvres remuaient. Dokar comprit qu'il priait. Le seigneur d'Ikryl s'avança vers eux. La jeune femme tourna son regard empli de chagrin sur lui. Cela attrista Dokar. C'est à peine s'il osa demander :
— Où en sommes-nous ?
Elle soupira et répondit :
— C'est l'hécatombe ! À cette allure, tous les gens qui ont déclaré la maladie, seront morts dans les jours à venir.
Dokar s'assombrit. Ovaïa lui demanda :
— Tu voulais me voir ?
Il se reprit et dit :
— Je suis désolé de te faire cette demande en ces circonstances, mais je souhaiterais que tu viennes jeter un œil à notre démon, je crois qu'il est malade.
— Ah ? Eh bien, je suppose que l'humidité venant du fleuve doit en être responsable. D'après ce que j'ai pu comprendre, en écoutant les conversations çà et là, ce serait le point faible des malfaisants ?
Dokar dut admettre :
— C'est exact.
— Dans ce cas, j'ai bien peur de ne rien pouvoir faire pour lui.
Le visage du jeune seigneur se voila de contrariété, il insista :
— Viens-le voir quand même. Je tiens vraiment à ce qu'il arrive en Ikryl vivant.
Elle ne répondit pas tout de suite, elle réfléchissait. Elle songeait au moment où le démon lui avait demandé grâce. Quand il l'avait appelée "Ma Reine". De nouveau, elle avait peur d'être confrontée à un tel cas de figure. Que ferait-elle s'il lui parlait encore ? Arriverait-elle à lui donner le change et à lui faire croire qu'elle ne comprenait pas ? Elle se perdait en conjoncture. Cependant Dokar lui parla :
— Tu n'es pas obligée d'accepter ; cependant, je tiens vraiment à ce que le mage de mon castel l'interroge.
Le cœur de la jeune femme s'affola, cette fois elle eut peur que le démon révèle au magicien des choses qui la concernait et dont elle-même n'avait pas conscience. Cependant elle soupira et dit :
— C'est d'accord, mais il est fort possible que je ne puisse rien faire. Personne ne m'a appris à soigner les malfaisants.
Ensuite elle s'adressa à Jolo :
— Je te laisse terminer de servir les décoctions.
Puis de nouveau à son beau-frère :
— Je te suis.
Ils quittèrent la tente "Hôpital".
*****
En s'approchant du chariot-cage, une vague d'appréhension saisit la jeune femme. Elle eut de la peine à la dominer. Elle s'arrêta. Le jeune seigneur avec sollicitude demanda :
— Ça ira ? Écoute, si c'est vraiment trop difficile pour toi...
Elle le coupa aussitôt :
— Finissons-en.
Résolument, elle s'avança vers la prison roulante...
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