Le Pays d'Ikryl - 17 -
C'est Abeth qui remarqua le premier, que Dame Ovaïa approchait, en compagnie de son beau-frère. Surpris, le chef des grottes jaunes attira l'attention de Gorio. Puis il désigna discrètement les arrivants. Gorio à son tour, fut surpris, mais il se tut. Ovaïa ne leur adressa pas un regard, elle focalisa son attention sur le démon. Ce dernier ouvrit faiblement les yeux. Il émit une suite de petits sifflements puis de sons qui ressemblaient à des mots. Ni Dokar ni les autres prisonniers ne les comprirent, mais Ovaïa si. Elle dissimula sa frayeur et ne montra pas cette connaissance inattendue. En fait, le Démon venait de lui dire : "Ma Reine, soulagez ma souffrance !"
Elle se rapprocha, toucha son front qui était gelé, puis sa peau qu'elle découvrit gluante sous ses doigts. Elle se dit : "Hum... En fait, je crois qu'il a besoin de chaleur, beaucoup de chaleur !" Elle se recula en concluant :
— La solution serait de l'installer devant un grand feu... En tous les cas, le faire voyager dans cet état, c'est la mort assurée pour lui.
Dokar soupira :
— Dans ce cas, nous garderons les prisonniers ici ; par contre, je dois vraiment envoyer le cuivre à mon père. Si tu veux, tu peux faire partie du voyage.
Ovaïa eut un sourire un peu triste, avant de répondre :
— Je tiens à terminer ce que j'ai commencé. J'accompagnerai tous ces pauvres gens jusqu'au bout.
Le seigneur d'Ikryl dit alors :
— Tu es une femme remarquable, Ovaïa.
Elle n'eut qu'un haussement d'épaules en réponse. Puis elle s'éloigna du chariot-cage en recommandant encore :
— N'oublie pas, le grand feu.
Il lui emboîta le pas en assurant :
— Je vais donner les ordres nécessaires.
Abeth les suivit des yeux, puis alla regarder le démon. Il dit alors :
— Bizarre...
Curieux, Gorio demanda :
— Qu'est-ce qui est bizarre ?
Il secoua la tête, sa langue claqua contre son palais, son visage prit un air calculateur. Gorio insista :
— Quoi, chef ?
— C'est la fille ! Je crois... Je suis même sûr, qu'elle a compris ce que lui disait le démon.
— Non ? Comment ce serait possible ? Non, vous devez vous tromper !
Il eut un sourire torve, avant d'assurer :
— Oh non ! Crois-moi !! Je suis trop expert dans l'art de la dissimulation pour ne pas l'avoir remarqué. La Dame est habile, mais je le suis plus qu'elle...
Gorio haussa les épaules avant d'objecter :
— Même si c'est vrai, qu'est-ce que cela nous apporte ?
— Je ne sais pas encore, mais je vais trouver et quand ce sera fait, je compte bien exploiter cette information à notre avantage...
Il n'ajouta rien d'autre, Gorio n'insista plus. Quelques minutes passèrent, puis deux cavaliers vinrent chercher le malfaisant. Ils le traînèrent hors du chariot et l'emmenèrent avec eux. Abeth eut un lent sourire en pensant qu'il n'avait pas encore dit son dernier mot.
Evalane prit la tête du cortège. Elle s'y était placée d'autorité, sous le regard désappointé de Lorac. Celui-ci était rentré dans le rang. Il savait que s'il se permettait un seul faux pas à l'égard de la sœur de Dokar, il le regretterait amèrement. Le jeune seigneur justement faisait ses ultimes recommandations à Evalane. Ce n'est qu'après que la colonne s'ébranla. Il la suivit des yeux, puis en soupirant retourna à ses autres obligations.
*****
Dans le fleuve grondant, le Kurior s'en donnait à cœur joie. Depuis le matin, il n'en avait pas bougé. Il accumulait ainsi de l'énergie qui lui permettrait de faire tomber la pluie, en croquant également de nombreuses grenouilles. Il restait encore et toujours aux alentours de l'héritière. À la mi-journée, il se hissa sur le bord de l'Ikryl et posa ses yeux sur le chemin encore assez proche que suivait le convoi. En voyant celui-ci passer, il faillit s'élancer dans sa direction, mais la voix du maître l'arrêta. Elle lui disait : "Ta reine n'est pas avec cette partie-là de la caravane." Il ajouta : "Par contre, je vais avoir un petit travail pour toi la nuit prochaine..." Il pencha sa tête sur le côté et se mit à l'écoute...
*****
Quand le soir arriva, Ovaïa était fourbue ! Elle regagna sa tente. Il y avait eu beaucoup de morts ce jour-là, et autant de cérémonies d'incinérations. Inutile de préciser que le moral de la jeune femme était au plus bas ! Dès qu'elle arriva, elle se lava, grignota un peu, puis alla s'écrouler sur sa couchette. Puis elle pensa à son bébé, se redressa et fixa Méeli. L'enfant était niché contre la jeune servante, il dormait à poings fermés. Ovaïa demanda :
— Tout va bien ?
— Oui Milady, rassurez-vous...
— Je parlais aussi de toi, Méeli...
Elle sourit en disant :
— Je vais très bien, Madame.
Ovaïa la contempla, et elle remarqua, qu'en effet, elle semblait très épanouie. Elle lui dit :
— Je te remercie de t'occuper si bien de mon fils.
— C'est moi qui vous remercie, Madame.
Ovaïa sourit, avant de s'étendre de nouveau, cette fois elle se laissa aller. Elle s'endormit immédiatement.
Jolo, de son côté, était également rentré. Cette journée passée avec Ovaïa lui avait apporté une certaine sérénité. Bien sûr, il éprouvait du chagrin aussi, quand il pensait à tous ces morts, mais il avait été heureux de soutenir la jeune femme dans son rôle de soignant. Ulkir était resté dans "L'hôpital". Dokar, mais aussi d'autres personnes s'étaient proposées pour surveiller les malades. Ainsi, c'est bien volontiers que Jolo était rentré se reposer. Il se glissa sous son abri, après s'être sommairement rincé avec l'eau du tonneau. Puis tout comme la jeune femme, il se laissa tomber sur sa couchette. Le sommeil l'emporta.
Silencieusement, le Kurior rentra dans le camp. Il n'alla pas plus loin que l'endroit où le malfaisant se trouvait. Il était isolé dans un chariot découvert, à l'écart, au sec et ligoté bien sûr. Devant le chariot un feu était allumé. Deux personnes avait été désignée pour garder le démon et aussi entretenir le feu. Apparemment, ce traitement commençait à faire son effet. La créature était nettement moins apathique. Le Kurior pencha sa tête sur un côté puis de l'autre. Ensuite il fixa le ciel, il émit une sorte de sifflement inaudible. Les hommes qui gardaient la créature ne l'entendirent pas, mais le démon, oui. Il s'affola, tira sur ses chaînes et se mit à piailler d'effroi. Un coup de tonnerre retentit et une pluie diluvienne tomba sur le camp et... le malfaisant. Celui-ci mourut en hurlant sa douleur...
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