Le Pays D'Ikryl - 19 -

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Le jour où Dokar repartait en direction du manoir familial, le Général des Démons arrivait au pied du volcan Oleko. Un site idéal pour Ozerel et son armée. La chaleur y était écrasante, et le site n'avait pas vu une goutte de pluie depuis longtemps. Même avant la grande obscurité,  l'endroit était réputé pour être une annexe de l'enfer. En conclusion, l'armée du Général Démon avait toutes les chances d'y reprendre des forces. 

C'est avec moins de conviction que ses subalternes qu'Ozerel s'installa. Il venait de laisser le nécromancien à l'entrée du camp avec une dizaine de démons. Ceux-ci étaient chargés de construire sa hutte. Le Mage obscur n'aimait pas dormir sous la tente. Pour sa part, cela ne gênait pas le Général, et puis il avait d'autres sujets de préoccupation que son lieu de repos. La nostalgie des terres flamboyantes l'envahissait. Ozerel aurait tout donné pour y retourner... Il ne le pouvait pas, condamné à vaincre et accaparer ce monde, ou être détruit dans sa tentative de conquête, il était prêt à assumer son choix jusqu'au bout. Il rentra dans sa tente sur cette pensée. Deux de ses démons venaient d'apporter une cage où était enfermée une jeune femme. Elle avait été capturée une heure plus tôt. Ozerel ravi s'avança et posa sur elle un regard concupiscent. Elle ressemblait un peu à son ancienne favorite... D'un coup sec, il ouvrit la cage et la tira à l'extérieur, elle hurla...

****

Evalane arriva au manoir deux jours après avoir quitté son frère et l'autre moitié du convoi. Le voyage avait été calme, plus supportable qu'à l'aller grâce à la fraîcheur du fleuve. Quoi qu'il en soit, la jeune femme passa le mur d'enceinte qui entourait le manoir avec un certain soulagement.
L'édifice vieux de plusieurs siècles, restait semblable à lui-même. Il traversait les époques sans paraître se détériorer. Ses fondations s'enfonçaient profondément dans le sol, ses pierres monumentales d'un blanc éclatant traversait les années sans se ternir. Plus personne ne savait quand la vénérable bâtisse avait été construite. Cette immuabilité avait toujours empli le cœur d'Evalane de sérénité. C'est pour cela qu'elle était souriante, lorsqu'elle stoppa son cheval devant la porte principale du manoir. Sur le perron, son père l'attendait.

Réjak d'Ikryl était un homme de haute stature, robuste malgré son âge. Son visage parcheminé était éclairé par un regard vif, d'un noir profond. Il prenait soin de lui, ne se laissait pas aller comme nombre de seigneurs de sa génération, évitant ainsi l'empâtement qui n'avait pas épargné la plupart de ses amis. Là, il était revêtu de son armure. Son épée sur le côté, il était prêt à sauter sur son cheval pour aller guerroyer aux côtés des cavaliers de sa maison. En voyant arriver sa fille, il fut soulagé. Il la laissa approcher. Les civilités suivirent, rapidement Réjak les écourta en demandant abruptement :

— Où est ton frère ?

— Nous l'avons devancé. Il arrivera bientôt. Nous avons eu pas mal d'imprévus ! Ovaïa est avec lui.

Il fut stupéfait, mais ne le montra guère. Réjak était un homme qui savait dissimuler ses sentiments. Il ordonna :

— Rentrons, tu vas me raconter tout ça. 

Bien évidemment, elle obéit et le suivit à l'intérieur du manoir.

Ils s'installèrent dans une pièce austère, à l'ameublement rustique. Une grande table en bois brut, des sièges à hauts dossiers, des coffres. Seule note de couleur : un grand tapis en laine colorée, qui avait été tissé par une des aïeules de la lignée et qui était, depuis scrupuleusement entretenu. 

Evalane se délesta de son baudrier et de son heaume qu'elle posa sur la table. Puis se laissa tomber sur l'une des chaises. Son père prit place en face d'elle et exigea :

— À présent, dis-moi tout !

Elle raconta...

Quand elle eut terminé, Réjak était dans un curieux état d'esprit. Tristesse, joie, abattement et surtout colère se mêlaient en lui. C'est cette colère qui s'imposa. Il quitta brusquement son siège et s'écria :

— Rovor ! Toujours lui ! Il agit sans réfléchir, il met tout le monde dans la merde la plus noire, et c'est les autres qui doivent nettoyer !

Evalane tenta de dire :

— Père, rien ne prouve qu'effectivement ce soit lui qui soit responsable de notre situation.

— Vraiment ? Tu crois que tout n'est que coïncidence ? Les démons sont venus du nord ! Du pays de Surilor. Comme par hasard, c'est là-bas que ton frère cadet s'est rendu...

Il secoua la tête et alla se rasseoir. Sa fille le regardait d'un air désolé. Réjak reprit :

— Quand il a épousé Ovaïa, j'ai vraiment cru que ce garçon changeait, qu'enfin il devenait raisonnable, je me suis lourdement trompé et Ovaïa en paie le prix fort aujourd'hui.

Il fixa la jeune femme et demanda :

— Et l'enfant ?

— Il est en pleine forme et magnifique, je te rassure.

— Comment l'a-t-elle prénommé ?

Evalane réalisa alors qu'elle l'ignorait. Il était très possible également que sa belle-sœur ne l'ait pas encore désigné. La coutume voulait que ce soit le père, ou à défaut le grand-père qui choisisse le prénom. L'enfant le recevait lors d'une cérémonie religieuse. Il s'ensuivait ensuite une grande fête. Elle dit à Réjak :

— Elle ne nous a rien dit à ce propos. Elle a accouché seule et forcement il n'y a eu aucune cérémonie... Je crois qu'en fait, elle n'a pas fait de choix.

— Pauvre Ovaïa, je suis horrifié par ce qu'elle a vécu. 

Il décida ensuite :

— Dès qu'elle sera là, je donnerai des ordres pour que la célébration soit organisée...

Il se leva. Sa fille fit de même. À ce moment-là, une voix masculine retentit, une voix qui disait :

— Sois la bienvenue dans ta maison, Evalane. Je suis heureux de ton retour.

 Surprise, elle pivota vers la porte. Elle reconnut immédiatement l'homme qui se tenait là, sur le seuil de la pièce. Il s'agissait de Syvan, son époux !

 Le père de la jeune femme déclara aussitôt : 

— Je vous laisse, vous avez sans doute des tas de choses à vous dire !

Il s'en alla en refermant soigneusement les portes derrière lui. Evalane regarda celui qui s'avançait vers elle. C'était un guerrier magnifique à la peau cuivrée, au visage rude, adouci par la blondeur extrême de ses cheveux et l'éclat de son regard noisette pailleté d'or. Sa stature était impressionnante. Il était incontestablement l'homme le plus grand  qu'Evalane ait jamais vu. Il arriva face à elle, prit ses mains entre les siennes et les porta à ses lèvres. Puis il lui décocha un sourire éblouissant. Malgré elle, Evalane se sentit rougir. Cela la contraria, elle dégagea ses doigts de ceux de Syvan et s'éloigna légèrement de lui. Elle dit enfin :

— Ravie de te revoir aussi, Syvan !

Il croisa les bras et la regarda d'un air narquois. Puis il alla s'asseoir. Evalane resta debout, mais pivota vers lui, prête à affronter ses reproches. Elle remarqua alors que la lueur de moquerie avait disparue de ses yeux, seule restait au fond d'eux une immense tristesse. Elle s'en voulut alors de l'avoir accueillie si froidement.  Sans hésiter, elle alla s'asseoir auprès de lui...

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