Le Pays D'Ikryl - 21 -
Dokar et Ovaïa restaient là, sur la berge, à regarder le Kurior exécuter son ballet aquatique sous la lune brillante. Autour d'eux, les abris de toile se vidaient, les gens levaient les yeux sur la voûte étoilée, ils poussaient des exclamations. Certains pleuraient d'émotion, d'autres encore priaient et remerciaient les dieux de ce miracle.
Tous se rassemblèrent sur le bord du fleuve, tous remarquèrent le dragon exécutant ses gracieuses acrobaties, Jolo était de ceux-ci. Puis lui comme les autres virent le chercheur d'eau nager vers Ovaïa, se hisser sur la berge et se placer à ses côtés. Sa tête massive chercha la main de la jeune femme, pour solliciter une caresse. Elle n'hésita pas vraiment. Elle gratta la peau écailleuse du Kurior juste entre ses cornes.
Un grand silence se fit parmi les personnes qui se trouvaient là. Dokar, pour sa part était tendu, il redoutait la réaction des gens du convoi. Un murmure naquit soudain, doux et reconnaissant et ce murmure disait : "C'est la Dame au Dragon, c'est elle qui nous sauve, c'est elle notre salut !" et Dokar se rappela. Cette légende appartenait à l'imaginaire populaire, elle parlait d'une Dame, qui combattit les ténèbres en brandissant le talisman de la justice et qui fut aidée par un Dragon capable de contrôler l'élément Eau. Dokar se souvint aussi que la légende ne se terminait pas bien, puisque la Dame sauvait les innocents lors de son combat final, mais y laissait la vie.
Le jeune seigneur eut alors l'impression d'être le jouet de forces qui le dépassaient. Il se demanda : "Qui contrôle ces forces ?"
Cependant les gens se rapprochaient de la jeune femme, ils s'inclinaient devant elle, elle avait fait renaître leurs espoirs en un monde meilleur.
Ovaïa, déconcertée d'abord, accepta ces hommages qui lui étaient adressés. Puis Dokar décida d'intervenir, il commença à dire :
— Il est temps de retourner dans vos tentes et de prendre quelque repos. Allons dispersez-vous, nous partons tôt demain...
Tous obtempérèrent, excepté Jolo qui regardait Ovaïa avec une adoration évidente. Pour lui, à cet instant et sous ce ciel étoilé, elle était devenue une déesse. Puis il se reprit, se détourna et s'éloigna. Dokar le suivit des yeux, il venait de comprendre les sentiments que le jeune homme du marais portait à Ovaïa. Il se demanda s'il devait s'en inquiéter. Cependant, sa belle-sœur s'en retournait vers leur abri commun et cette fois le Kurior, sans l'ombre d'une hésitation la suivait. Dokar fit de même, en ayant l'impression qu'ils étaient tous arrivés à un moment crucial de leur histoire commune.
Manoir d'Ikryl - À ce moment-là
Ceux qui avaient été conviés à la table du seigneur d'Ikryl se précipitèrent dehors, dès que la clameur arriva jusqu'à eux : "La lune et les étoiles sont revenues ! L'obscurité recule !" Evalane, machinalement, suivit le mouvement, son époux aussi. Elle se retrouva devant le perron avec lui à ses côtés. Tous ceux qui les avaient précédés avaient le nez en l'air ; la jeune femme les imita, et elle vit à son tour les cieux veloutés et les joyaux étincelants des étoiles qui escortaient la lune pleine et lumineuse. Émue elle se taisait. Il lui sembla à cet instant qu'elle n'avait jamais vu quelque chose d'aussi beau. Soudain, elle sentit la main de son conjoint qui se glissait dans la sienne, elle l'entendit dire :
— C'est magnifique, tu ne trouves pas ?
Elle reporta son regard sur Syvan et rencontra ses yeux pailletés d'or. Une émotion puissante balaya les certitudes de la jeune femme. Elle se sentait faiblir. Le beau guerrier lut tout ceci dans les prunelles sombres d'Evalane. Il en profita sans vergogne. Il serra sa main un peu plus fort, puis lui murmura :
— Viens !
Il l'entraîna dans le manoir, elle ne résista pas et se laissa emporter...
Au sein du Convoi
Quand Ovaïa entra sous la tente avec le dragon sur ses talons, Méeli eut un mouvement de recul. Accaparée par l'enfant, elle était l'une des rares à ne pas être sortie dehors. Ainsi, elle ne savait rien de l'événement. La jeune mère lui assura :
— Tu ne crains rien, il ne te fera pas de mal.
Effrayée, elle osa objecter :
— Vous êtes sûre, madame ? Il pourrait faire du mal au bébé ?
Ovaïa vit Méeli étreindre son fils contre elle ; elle comprit à ce moment-là qu'elle s'était attachée à lui. Elle n'était pas offusquée, elle comprenait. Quelque part cela la rassurait aussi. Elle réitéra :
— Il ne nous fera aucun mal, mieux il nous protégera.
Elle prit place sur la couchette. Le dragon se coucha à ses pieds. Sa langue bifide dépassait de sa gueule garnie de dents. Méeli le regardait avec méfiance, mais elle décida de ne pas insister sur ce sujet. Elle demande à la Dame d'Eraland :
— Que s'est-il passé dehors ?
Sans hésitation, Ovaïa lui raconta. Quand elle eut terminé, la nourrice fixa le Kurior. Elle demanda :
— Est-ce grâce à lui ?
Ovaïa hésita avant de dire :
— Peut-être.
Dokar avait assisté à cet échange sans intervenir. Il regardait le dragon. Celui-ci le fixait de ses pupilles rouges-sang. Il frémit légèrement. Il n'aimait pas vraiment savoir cet animal avec eux sous la tente. Il était presque contraint de l'accepter. Il rejoignit sa couchette et sortit des fontes de sa selle, plusieurs paquets de pain de voyage et en apporta à Ovaïa et Méeli. Il allait s'éloigner, le Kurior se redressa et le regarda avec insistance en sifflant doucement. Sa belle- sœur amusée lui dit :
— Je crois qu'il veut sa part.
Dokar grommela :
— S'il faut le nourrir, en plus !
Néanmoins, il laissa tomber sur le sol plusieurs morceaux de pain de voyage. Ensuite il retourna à sa couchette. Le Kurior commença à manger...
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Volcan Oleko
Juché au sommet de l'Oleko, le général assistait avec une inquiétude grandissante, au retour de ses soldats. Ceux-ci arrivaient de toutes les directions ou presque ! Du sud, de l'est et de l'ouest. Seul le nord était épargné. Le premier lieutenant d'Ozerel arriva vers lui. Il posa un genou en terre et baissa la tête.
— Parle !
— C'est confirmé, Votre Grandeur, le sortilège qui enveloppait ce monde et qui nous protégeait se déchire...
Ozerel baissa le regard sur son subalterne. Puis il se détourna. Sans un mot et d'un puissant battement d'ailes, il retourna vers le camp installé en contrebas. Il était temps pour lui de parler sérieusement avec le nécromancien.
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