Le Manoir - 1 -
"Cela devait être une enclave de détente, de joie et de bonheur, les étoiles n'étaient-elles pas revenues ? Ce fut un moment de chagrin pour l'héritière, car l'obscurité s'accrochait encore, jusqu'aux portes du Manoir..."
Chroniques des Temps Obscurs. Bibliothèque Royale de la Cité de Jade
Volcan Oleko - Camp des armées démoniaques
Ozerel rentra chez le nécromancien d'un pas furieux. Il s'avança rapidement vers lui et l'aurait certainement saisi à la gorge, si le mage ne s'était pas tourné vivement vers lui pour le stopper. Pour cela, il récita une incantation, en dirigeant ses doigts crochus vers le général. Ce dernier se figea brusquement. Le Nécromancien dit alors :
— Crois-tu vraiment que tu peux me prendre à défaut, Ozerel ?
Puis il relâcha la pression. Le Général chuta lourdement sur le sol. Il se releva aussitôt en grondant :
— Tu dépasses les bornes !
— Et toi, tu devrais cesser de vouloir éviscérer tous ceux qui d'une manière ou d'une autre te contrarient !
Il pivota vers son chaudron. Le général serra les poings et se domina à grand-peine. Le Mage dit :
— Je sais pour la protection, mais je t'avais prévenu !
— Et je t'avais ordonné de te transcender !
Ozerel fixa le mage. Comme à l'habitude, on ne voyait rien de son visage caché par le capuchon. Le Nécromancien reprenait :
— Contrairement à ce que tu pourrais croire, j'ai beaucoup travaillé sur notre problème.
— Et alors ?
— Il y a peut-être une chance pour toi de renverser le rapport de force. Une seule !
Intéressé, Ozerel demanda :
— Laquelle ?
— Il faut que le chercheur d'eau soit détruit... ou plutôt que sa représentation physique dans ce monde le soit...
— Et comment fait-on ça ?
— On ne le peut pas !
— Pourquoi en parler alors ?
— Parce que nous, en tant que démon ne le pouvons pas, un humain si...
Le Général démoniaque objecta :
— Sous sa forme actuelle, il est invulnérable.
— Pourtant l'héritière y est parvenue...
— Tu sais comme moi, qu'elle n'est pas humaine ou au moins pas totalement.
— Son enveloppe est humaine, sa force ne l'est pas...
Agacé, Ozerel rétorqua :
— Viens-en au fait !
Le nécromancien se tourna de nouveau vers lui. Le Démon vit briller ses yeux dans la pénombre. Cependant, le mage poursuivait :
— Il suffit d'investir momentanément un humain de capacités démoniaques. Il aura alors la force nécessaire pour combattre le Kurior et le tuer. S'il le tue, l'héritière sera vulnérable, puisque le chercheur d'eau est lié à elle. Tu pourras alors la détruire. Dès lors, tu reprendras sans entrave ta conquête de ce monde, là où elle s'est arrêtée...
Un silence suivit durant lequel Ozerel réfléchit. Enfin, il déclara :
— D'accord, il nous reste à choisir l'humain. Il est nécessaire que son âme soit suffisamment pervertie.
— Ce monde ne manque pas d'humains pervertis, j'ai trouvé le sujet idéal pour ce petit travail...
Il pivota de nouveau vers le chaudron. Ozerel insista :
— Je peux savoir le nom de cet humain providentiel ?
Le nécromancien révéla :
— Il se nomme Abeth !
Manoir d'Ikryl - Le lendemain matin
Un rayon de soleil aventureux réveilla Evalane, ainsi que des bruits venant de la cour sur laquelle donnait sa fenêtre. Elle leva la tête avant de glisser hors de son lit. Elle se dirigea vers la croisée, puis réalisa qu'elle était nue. En même temps, les souvenirs de la nuit remontèrent à son esprit. Elle s'était offerte au désir de son époux comme jamais auparavant.
Pivotant vers la couche. Elle découvrit qu'elle était dans un désordre indescriptible et s'en voulut de s'être laissée aller à ce point. Elle se demanda brièvement : "Où se trouve donc Syvan ?"
La jeune femme attrapa une des couvertures du lit, en couvrit sommairement sa nudité, puis appela :
— Tirali !
La servante arriva aussitôt. La jeune femme ne la laissa pas se répandre en civilités, elle lui ordonna :
— Sors-moi des vêtements propres, je te prie !
Elle s'avança vers sa table de toilette tandis que Tirali obéissait.
Une demi-heure plus tard, Evalane déboulait dans la cour, devant le perron. Celle-ci était inondée de soleil. La jeune femme leva les yeux, puis sourit. D'immenses pans de ciel bleu azur étaient visibles. Elle reporta son attention sur l'effervescence qui régnait en ces lieux. De toutes évidences, plusieurs cavaliers étaient sur le départ. Elle vit Syvan juché sur un cheval grand et robuste, gris foncé. L'armure de l'homme étincelait sous les rayons solaires. Il n'avait pas encore mis son heaume. Se sentant observé, il alla la regarder et sourit. Evalane sans hésitation s'avança vers lui...
— Te voilà prêt à partir ? Lui dit-elle
Il la regardait avec, empreint sur le visage, un air indéchiffrable. Il répondit sur un ton égal :
— Des émissaires de notre roi sont parvenus à passer les lignes de défenses démoniaques. Ils sont arrivés ici cette nuit. D'après eux, les démons ont battu en retraite, mais ils restent concentrés au nord, près du Volcan Oleko, à une cinquantaine de kilomètres de la cité de Jade, qui est assiégée. Notre Roi a besoin de nous, nous partons dans l'heure.
La jeune femme l'avait écouté avec attention. Elle demanda :
— Le front se trouve donc plus au nord ? La mer de Békali est désormais libre ?
— C'est très probable !
— Ne serait-il pas plus simple d'utiliser la voie maritime, pour contourner les forces démoniaques positionnées sur la région du Volcan ? La cité de Jade est accessible par là ?
— D'après les émissaires, la mer reste empoisonnée ; par ailleurs, c'est beaucoup plus long. La libération de la cité Royale ne saurait souffrir d'aucun retard.
Evalane ne réfléchit pas longtemps, elle décida :
— Je vous accompagne !
— C'est hors de question, femme, ta place est ici !
Elle serra les poings, en objectant :
— Essaie de m'en empêcher !
Il eut un sourire narquois et cette parole :
— Hum... Ne me tente pas...
Furieuse, elle allait vertement répliquer, quand une voix dans son dos s'exclama :
— Evalane !
Elle se retourna juste à temps pour voir une jeune femme blonde se précipiter vers elle, il s'agissait de Leenel d'Igrul.
*****
Elle se jeta dans ses bras, Evalane sentit une onde de joie pure la saisir. Elle l'étreignit, doucement, l'écarta d'elle et la contempla, puis prit ses mains entre les siennes en disant :
— Tu es vivante !
Leenel se contenta de sourire :
— J'ai fait en sorte de le rester, pour toi, même si souvent j'ai eu envie de mourir.
— Quand es-tu arrivée ?
— Cette nuit, avec quelques-uns de mes gens et les émissaires de sa Majesté.
— Mais... Pourquoi n'es-tu pas venue me voir tout de suite ?
Là, elle hésita. Elle alla regarder Syvan. Evalane fit de même, tandis que Leenel disait :
— On m'a dit que tu n'étais pas seule !
Une sorte de malaise se saisit d'Evalane. Cependant, Syvan déclara :
— Mesdames, le devoir m'appelle, je vous laisse à vos retrouvailles.
Il talonna son cheval et s'éloigna d'elles sur ces mots. Tous les autres cavaliers présents dans la cour le suivirent, ainsi qu'une cinquantaine d'hommes à pied. Evalane reconnut parmi eux quelques hommes du clan d'Abeth. Leenel fixait le visage d'Evalane. Ce qu'elle y découvrit la consterna. Car cette flamme présente dans les yeux noirs alors que Syvan s'éloignait et qu'elle le fixait, n'avait qu'un nom pour elle : passion !
Elle glissa sa main dans la sienne et chercha un regard qui se dérobait. Evalane parut se reprendre. Elle demanda :
— Où es-tu installée ?
— Dans la chambre à côté de la tienne, mais si tu veux, je peux... déménager ?
Evalane se troubla. Elle pensa au désordre de sa couche, aux odeurs puissantes que Syvan avait laissées sur les draps et à cette nuit de folie passée avec lui ! Elle déclara :
— Non... Je... À présent, je suis mariée Leenel. Ça ne serait pas bien...
Elle conclut :
— J'irai chez toi.
Elle l'entraîna dans la maison.
Au sein du convoi - À ce moment-là
Le camp s'était réveillé sous un ciel radieux, insufflant aux gens un regain d'énergie nouvelle. Dokar quitta l'abri de toile le premier. En voyant le soleil briller dans un ciel sans nuages, il sourit, puis s'étira en bâillant. Le Kurior sortit derrière lui. Le jeune seigneur lui lança un regard mi-figue mi-raisin. Il n'était toujours pas convaincu que sa présence au sein même du camp était une bonne chose. Ovaïa sortit avec son bébé, immédiatement suivie par Méeli qui tenait un panier rempli de linge. Ovaïa proposa à son beau-frère :
— Nous allons jusqu'au fleuve pour nous baigner, tu nous accompagnes ?
— J'irai plus tard.
Sa belle-sœur n'insista pas. Elle s'éloigna en compagnie de la nourrice, le Dragon sur ses talons. Dokar retourna dans la tente.
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