Le Manoir - 2 -
Le convoi était reparti. Cette fois, le prochain arrêt serait le Manoir. Sous le soleil de cette matinée, l'ambiance était détendue. La plupart des voyageurs souriaient. Ils discutaient avec enthousiasme, ils voyaient enfin un avenir se dessiner devant eux. Un seul échappait à cette ambiance quasi euphorique : Abeth...
Même son comparse s'était laissé gagner par l'allégresse générale, le chef des grottes jaunes, pour sa part, n'y parvenait pas. Bien au contraire, son humeur chagrine et sombre n'allait qu'en s'accroissant. De temps à autre, Gorio lui lançait des regards surpris. Il ne comprenait pas qu'il ne se laisse pas aller à ce bouillonnement d'énergie positive qui régnait dans la caravane. Cependant, il se gardait bien de faire la moindre remarque. Il ne voulait pas faire les frais de la maussaderie de son chef.
À un moment, le Kurior qui voyageait librement parmi eux, passa près du chariot-cage. Abeth lui lança un regard mauvais, il éructa entre ses dents :
— Vois ce monstre qui marche parmi nous alors que moi, je suis bloqué dans cette cage comme un animal !
Gorio haussa les épaules en disant :
— C'est comme ça, chef ! On peut rien y faire !
Abeth brusquement pivota vers lui. Une rage violente l'emporta ! Brusquement, sans que Gorio ne le voit venir, son chef se jeta sur lui en hurlant, et se mit à le frapper. Les cavaliers qui escortaient la prison roulante la stoppèrent aussitôt. La colonne de ce fait s'arrêta aussi. À ce moment-là, Abeth mordait violemment Gorio au visage et lui arrachait un morceau de joue, l'homme hurla !
Il fallut presque dix minutes aux cavaliers, pour extirper Gorio de la cage et maîtriser Abeth. Ils s'y mirent à quatre pour le garrotter. Quand ils eurent terminé, Abeth s'était calmé. Il arborait un sourire terrifiant tout en mâchonnant : il était en train de dévorer le morceau de chair qu'il avait arraché à Gorio.
Dokar arriva sur les lieux, non sans effroi il fixa Abeth qui n'avait là plus grand-chose d'humain. Gorio était assis sur le sol, profondément choqué. Des larmes coulaient de ses yeux et se mêlaient au sang qui suintait de la blessure à vif de son visage. Ulkir était près de lui. Il le soignait du mieux qu'il pouvait. Obro chuchota au jeune seigneur :
— Abeth devient incontrôlable, je me demande s'il ne faudrait pas...
— N'y pense même pas. Pas d'exécution sommaire. Je ne m'abaisserai pas à son niveau !
Obro n'insista plus. Dokar ordonna :
— Qu'il soit étroitement surveillé. Ne l'approchez pas sauf absolue nécessité. Pour ce qui est de lui procurer à manger, il attendra demain.
Ensuite, il regarda Gorio. Il lui dit :
— Tu es autorisé à voyager avec les autres, mais je t'avertis bien, au moindre faux pas, tu retournes dans ta cage.
Il répondit épouvanté :
— Je ferai ce que vous voulez, Seigneur ! Je vous le jure ! Ne me renvoyez pas vers lui !
Dokar dit :
— Bien....
Ulkir termina de le panser. Dokar conclut en s'adressant à Obro :
— Trouve-lui une place dans la colonne.
Il s'en retourna à la tête de la caravane.
Ovaïa venait d'apprendre par son beau-frère, la crise de démence d'Abeth. Elle ne parut pas étonnée plus que ça.
— Cet homme est un danger pour tous. Dit-elle à Dokar
— Si tu crois que je ne le sais pas, mais je me refuse à le tuer sans autre forme de procès.
— C'est tout à ton honneur, mais tu as intérêt à ne pas le quitter des yeux.
— C'est là mon souci, je ferai tout pour protéger le convoi de ce fou !
Il s'éloigna sur ces mots. Ovaïa restait dubitative et inquiète. Elle alla regarder le Kurior qui était près de son chariot à ce moment-là. Elle lui dit :
— Si tu allais surveiller ce primaire ?
Le dragon eut un doux sifflement en réponse, et s'en retourna vers le chariot-cage...
Plusieurs heures plus tard
Le soleil se couchait derrière le Manoir, quand la seconde partie du convoi arriva. Le père de Dokar était sur le perron, Evalane à ses côtés. Le Kurior était resté à l'extérieur. En apercevant les douves remplies d'eau qui entouraient l'habitation d'Ikryl, il y avait plongé, faisant ainsi de cet endroit son domicile.
Dokar descendit de cheval et s'avança vers son père. Ils s'étreignirent virilement. Ensuite Réjak se sépara de son fils et demanda :
— Où se trouvent Ovaïa et l'enfant ?
Il regardait en direction des chariots. Dokar décida :
— Je vais la chercher !
Il confia les rênes de son cheval à sa sœur et marcha vers le convoi qui avait encombré la cour.
Ovaïa venait de descendre de la charrette, ainsi que Méeli. La jeune mère confia son bébé à la nourrice. Elle se saisit de son sac et de son épée. Son beau-frère arriva vers elle à ce moment-là. Il demanda :
— Tu as besoin d'aide ?
— Ça va aller.
Le jeune seigneur insista :
— Mon père a hâte de te revoir, et de faire connaissance de ton fils...
Elle hocha la tête et docilement l'accompagna vers le perron, Méeli sur ses talons.
Réjak, en voyant arriver Ovaïa, alla au-devant d'elle. Il s'exclama :
— Chère fille ! C'est une telle joie de te revoir et cela a été un infini soulagement de savoir que tu avais survécu !
Il prit ses mains entre les siennes avant d'embrasser son front. Puis il s'écarta de la jeune femme qui répondit :
— Je suis heureuse de vous revoir aussi, Réjak.
Celui-ci sourit, puis il fixa Méeli, ou plutôt l'enfant que tenait la servante. L'homme déclara :
— Et voilà donc ton fils !
Ovaïa récupéra le bébé, puis le présenta à son beau-père. Attendri, le vieux seigneur s'en saisit délicatement. Il le cala au creux de son épaule en affirmant :
— Il est magnifique !
Il s'en retourna vers la maison. Ovaïa le suivit aussitôt, imitée par la jeune nourrice.
Elle rentra dans le Manoir en tentant de ne pas penser à la dernière fois où elle avait franchi ce seuil. Son beau-père l'emmena à l'étage. L'enfant babillait dans les bras de son grand-père. Sans se retourner, le vieux seigneur dit à sa belle-fille :
— Je t'ai réservé la plus belle chambre de cette maison ; désormais, tu n'as plus à t'inquiéter pour le bébé et toi, je vais m'occuper de vous deux, tu verras... et aussi...
Elle faillit protester, mais se dit que ce n'était pas le moment. Alors elle le laissa parler sans le contrarier, en se disant qu'elle lui dirait plus tard, qu'elle n'avait pas l'intention de s'attarder en la Maison d'Ikryl ! Soudain Réjak se mit à chanter, Ovaïa nota qu'il s'agissait de la même comptine que Dokar avait fredonné au bébé la veille au soir. Alors, elle la fredonna avec lui !
L'installation des arrivants demanda presque une heure. Abeth fut mis au secret, dans la geôle la plus solide que possédait le Manoir, évidemment on l'enchaîna. Gorio et quelques autres avaient été emprisonnés également. Dokar supervisa tout ceci. Il était heureux d'être revenu même s'il savait qu'il ne tarderait à repartir.
De son côté, Ovaïa appréciait aussi d'être dans cette belle maison. Elle prenait du repos. Son bébé tout contre elle. Elle s'était étendue sur le lit de la chambre où son beau-père l'avait conduite. Elle ignorait que loin de la terre d'Ikryl, le général Ozerel avec l'aide du Nécromancien avait lancé son ultime offensive !
Volcan Oleko Camp des armées démoniaques - Hutte du nécromancien
Le mage noir était penché au-dessus de son chaudron. Il tenait au-dessus de la substance bouillonnante, un talisman accroché à une chaîne de métal. Ozerel, qui l'observait à distance respectueuse, s'impatienta :
— Alors, qu'est-ce que cela donne ?
Calmement, le nécromancien répondit :
— Je n'ai lancé le sortilège que depuis quelques heures, d'ailleurs l'humain y a répondu plus vite que je ne l'escomptais. La preuve que son âme est pervertie à souhaits, mais, à présent, il faut du temps pour le terminer...
— Du temps, pourquoi faire au juste ?
— Pour terminer de transférer l'énergie démoniaque à ce talisman. Ensuite, je pourrai clore le maléfice... À présent, plus un mot, que je puisse me concentrer...
Ozerel ne dit plus rien. Le nécromancien resserra sa prise autour de la chaîne d'argent. Il commença à réciter des incantations. La fumée sortant du chaudron augmenta et envahit la pièce..
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