Le Manoir - 4 -
Le cavalier qui gardait la porte menant aux cachots n'en croyait pas ses yeux, mais c'était bien Abeth qui s'avançait vers lui, l'air menaçant. Il sentait qu'une force terrible émanait de cet homme et comprenait que cette force, brutale, surnaturelle, était démoniaque.
Il ne recula pas, il dégaina son épée et fit face au chef des grottes jaunes. Le visage d'Abeth se peignit d'un rictus effrayant, il se rua sur le chevalier, lui asséna un coup de poing violent au niveau du cœur, son bras traversa alors le torse du cavalier de part en part, il le retira tout aussi brusquement.
Le cri de sa victime se perdit dans une sorte de gargouillement, elle s'écroula sur le sol sans vie. Abeth essuya sommairement le sang qui dégoulinait de son bras puis se dirigea vers la sortie...
Le Kurior était parvenu à trouver une petite porte de service, quand une odeur caractéristique agressa ses sens : celle du sang. Il se figea et pivota vers les soupiraux, l'odeur venait de là. Le dragon comprit aussitôt que d'une manière ou d'une autre, le Général Ozerel était parvenu à agir sur le domaine d'Ikryl, sans doute par l'intermédiaire d'un humain.
Il n'eut pas de peine à comprendre quel homme avait choisi le chef des Démons. Le dragon sans attendre bondit vers la porte donnant sur les cachots. Il y arriva juste au moment où elle volait en éclats.
L'évasion du chef des grottes jaunes avait enfin suscité des réactions. Les cavaliers alentour venaient de surgir aux abords des cachots. Ils tentaient d'approcher le forcené. Mal leur en prit ! Ils furent repoussés par la force surnaturelle qui courait dans le corps d'Abeth. Ainsi furent-ils contraints de laisser le dragon face à lui. Sans hésiter, l'animal se jeta sur son ennemi...
Dans le manoir, l'alerte était donnée. Dokar dit aussitôt à sa sœur et Ovaïa :
— Surtout, vous ne bougez pas d'ici !
Contrariée, Evalane commença à dire :
— Si tu crois que je vais...
— Evalane, ne fais pas ta forte tête !
Il sortit sur ces mots, tous les hommes firent de même, y compris Réjak. Evalane bougonna :
— J'ai horreur quand il fait cela !
— C'est son côté protecteur !
Elle réfléchit et décida :
— En tous les cas, je ne vais pas attendre ici, je monte me changer et récupérer mon épée !
Sa belle-sœur fronça les sourcils en déclarant :
— Mais Dokar a dit...
Ovaïa la coupa :
— Depuis quand suis-tu les ordres de ton frère ?
Elles se fixèrent, sourirent et toutes deux s'empressèrent à leur tour de quitter la salle...
****
Abeth chancela à peine sous l'assaut du Kurior. Il repoussa celui-ci sans mal. Le dragon d'eau voltigea loin de lui et s'écrasa sur le sol terreux, il se releva et secoua sa lourde tête écailleuse ; puis il darda sur Abeth ses yeux rouges étincelant de fureur.
Sans attendre, il repartit au combat. Le chef des grottes jaunes, le visage haineux, les jambes écartées et les bras le long du corps, paraissait presque rivé au sol. Quand le Kurior arriva sur lui, il l'écarta avec la même facilité que la première fois. Le dragon d'eau voltigea au milieu des cavaliers.
Dokar, Jolo et quelques autres arrivèrent sur les lieux à ce moment-là, en voyant les cavaliers immobiles, il les invectiva copieusement en ces termes :
— Qu'est-ce que vous attendez pour intervenir ?
Ulkir se défendit en ces termes :
— Nous avons essayé, Monseigneur, mais cet énergumène semble posséder une force hors du commun !
Dokar fixa le Kurior, il venait de se relever. Il sifflait et crachait. Sa queue en double pointe s'agitait furieusement. Il sembla même au jeune seigneur que sa bave verdâtre dégoulinait plus que de coutume. Il n'eut pas le temps de trop s'y arrêter ; le faiseur d'eau bondit une fois de plus sur le chef des grottes jaunes... Cette fois, Abeth non seulement para l'attaque, mais attrapa le dragon à bras-le-corps et se mit à l'étreindre avec une puissance croissante... À la grande surprise de tous, le Kurior siffla de douleur !
Soudain, Abeth lâcha le dragon. L'animal retomba lourdement, les quatre pattes en l'air et le... ventre découvert, offrant au regard de son ennemi le seul point faible qu'il possédait !
Abeth, sans attendre se baissa... leva le bras et de son poing fermé, frappa le Kurior. Sous la violence du coup, le bras traversa la panse écailleuse. Un hurlement effroyable jaillit du dragon. Ovaïa arriva à cet instant-là avec Evalane...
La Dame d'Eraland, en entendant le cri du chercheur d'eau, eut l'impression qu'on lui arrachait le cœur. Une rage incommensurable l'emporta ! Sans penser au danger, son épée fermement tenue entre ses mains, elle s'élança vers Abeth. Celui-ci se relevait justement, il lui fit face sans peur. Il s'apprêta à attraper la jeune femme comme il avait saisi le Kurior, mais au moment où il croyait refermer ses bras sur elle, il ne rencontra que le... vide !
Elle avait esquivé l'attaque. Il tomba à quatre pattes sur le sol. Ovaïa avait glissé sur sa droite, elle leva l'épée et, sans réfléchir une seule seconde, elle trancha la tête du chef des grottes jaunes !
Le chef d'Abeth roula jusqu'aux pieds de Dokar qui s'était avancé. Il fixa le visage figé sur une expression d'intense surprise, puis il alla regarder sa belle-sœur. Celle-ci avait rejoint le Kurior. Elle s'agenouilla près de lui et posa sa main entre les deux cornes, il ouvrit les yeux. Ceux-ci commençaient à perdre de leur éclat. Ovaïa au bord des larmes murmura :
— Je suis tellement désolée...
Dokar assistait à cette scène peu ordinaire. Jolo demanda à mi-voix :
— Est-il mort ?
Le jeune seigneur comprit qu'il parait du chercheur d'eau. Il répondit :
— Il n'en est pas loin !
Cependant, le Kurior siffla doucement. Stupéfaite, Ovaïa comprit très clairement :
— N'aie point de crainte, jeune reine, je resterai avec toi !
Puis ses yeux se ternirent définitivement, son corps se relâcha. À la grande surprise de tous, il disparut progressivement et se changea en une espèce de brume qui entoura la jeune femme. Celle-ci entendit dans sa tête : "Je serai toujours avec toi !"
La brume peu à peu se dissipa, Ovaïa se laissa aller vers son chagrin....
Commentaires
Annotations