Le Manoir - 5 -

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Ovaïa, agenouillée sur le sol, les mains sur les genoux et le corps secoué de sanglots, ne comprenait pas elle-même l'intensité du chagrin qu'elle éprouvait. Soudain, elle sentit une goutte d'eau tomber sur son visage, elle leva les yeux vers le ciel, il était couvert. La pluie commença à tomber, une pluie fine, abondante et salvatrice. Jolo qui fixait à cet instant le corps décapité assista à un étrange phénomène : Abeth était en train de fondre ! 

Du chef des grottes jaunes, bientôt, il ne resta plus rien. Ovaïa se releva. La tristesse s'envolait, ne restaient à la place qu'une farouche détermination et la certitude suivante : il était vraiment urgent qu'elle se rende en Surilor ! Evalane, qui venait d'arriver sur les lieux avec Leenel, demanda à son frère :                                                                                                                    

— Que s'est-il passé ?

Celui-ci lui lança un regard indéchiffrable, il répondit sur un ton laconique :

— Je t'expliquerai. 

Puis il lança à ses cavaliers :

— Nettoyez tout ça et retournez ensuite à vos postes.

Il n'y avait plus grand-chose à déblayer, cependant, dans les cachots, il restait le corps du pauvre garde tué par Abeth, deux cavaliers s'en chargèrent. Dokar, avant de s'en retourner à l'intérieur en compagnie de son père qui n'était pas intervenu, ni en paroles ni en actes, contempla Ovaïa. Jolo l'avait rejointe, il lui parlait doucement. De là où il était, le jeune seigneur ne comprenait pas grand-chose, mais il se dit : "Il va falloir que je discute avec lui"

Il voyait Jolo entourer les épaules de la jeune femme avec une tendresse évidente, il pouvait deviner qu'il l'incitait à rentrer à l'intérieur. Dokar vit Ovaïa se dégager doucement de l'étreinte de Jolo, ramasser son épée, qu'elle avait posée sur le sol et enfin elle s'éloigna des lieux du drame.  

Bientôt tous évacuèrent ce site, qui avait vu la fin de l'horrible Abeth, mais surtout la disparition du Kurior. De ce fait, il retrouva un calme relatif, et la pluie continua à tomber...

Volcan Oleko - Camp des armées démoniaques - Hutte du Nécromancien

Après être resté immobile un long moment, le mage chancela. Ozerel, inquiet s'avança en demandant sur un ton incertain :

— Ça a marché ? 

Avec effort, le Nécromancien répondit :

— Oui... mais, quelque chose ne va pas !

Soudain, il se plia en deux sous l'effet d'une intense souffrance, en se tenant le ventre, il bouscula au passage le chaudron qui se renversa sur le sol, le général des démons s'approcha plus près. Dans un geste d'aide peu caractéristique chez lui, il soutint le mage. Celui-ci retira ses mains et les leva au niveau de ses yeux ; elles étaient souillées d'un sang noir et épais. Il tourna son regard vers Ozerel en déclarant :

— Je... Le sort... Le sort m'a été retourné ! 

Il désigna une étagère à Ozerel. Celle-ci croulait sous les pots, fioles et contenants divers, tous remplis de substances mystérieuses :

— Passe-moi le pot en terre, fermé de cire rouge...

Ozerel le fit asseoir sur le sol et s'approcha de l'étagère. Il attrapa l'objet demandé et retourna auprès du Nécromancien. Celui-ci demanda à Ozerel :

— Ouvre le pot et donne-moi un peu de l'onguent qui s'y trouve... 

Le général allait s'exécuter, puis soudain il y renonça. Il déclara :

— Avant cela, dis-moi exactement ce qu'il s'est passé !

Le mage soupira puis avec effort, il avoua :

— J'ai sous-estimé la force du lien existant entre l'héritière et le chercheur d'eau...

— Ce qui veut dire ?

— Que j'ai supprimé l'être physique du Kurior, mais pas son être spirituel...

— Je ne comprends pas ? Au pire, il est retourné vers le maître ?

Le Mage Noir eut un rire sans joie avant de dire :

— Non... Bien sûr que non ! Il s'est mêlé à elle, ou plutôt, ses capacités ont été transmises à l'héritière. 

Consterné, Ozerel s'exclama :

— Comment as-tu pu te tromper à ce point ?

Le mage ne répondit pas. Le général reprit :

— Mais il reste Abeth, n'est-ce pas ? Tu le contrôles toujours  ?

— L'humain est mort, elle l'a tué, sans état d'âme, c'est la preuve que sa nature de souveraine commence à faire surface...

Ozerel, abattu, se taisait puis il se baissa, déboucha le pot, attrapa un peu de la pommade qu'il contenait et la posa sur les mains du Nécromancien. Il reboucha le récipient et le laissa à côté du magicien, se remit debout, s'éloigna un peu et toisa son complice :

— Alors, c'est la fin ? Demanda-t-il

Comme le mage se taisait, le général démoniaque conclut et promit : 

— Apprêtons-nous à sombrer, mais ce ne sera pas sans violence !

Il quitta la hutte. Une fois seul, le mage étala l'onguent sur la plaie de son ventre. Ensuite, il se releva, récupéra le pot d'onguent sur le sol puis le remit sur l'étagère, entre une fiole remplie d'yeux humains, recouverts d'un liquide jaunâtre et une boite de bois hermétiquement fermée. Il effleura des yeux cette boîte. Soudain, il grimaça et posa ses mains de chaque côté de sa tête. Il siffla entre ses dents : 

— Ce corps est à moi, plus à toi !

Une voix lui répondit :

— Plus pour longtemps !

Le mage éleva la voix :

— Ce corps est mien !

La présence à l'intérieur de lui réitérera :

— Plus pour longtemps, mon épouse y a pourvu !

Le Nécromancien hurla. La voix se tut. Le Mage comprit que ce n'était que provisoire...

Manoir d'Ikryl - Cette nuit-là

Ovaïa, allongée sur son lit, son bébé niché contre elle, ne dormait pas. Elle écoutait la musique liquide de la pluie. Celle-ci frappait doucement les carreaux à intervalles réguliers. Elle n'avait pas voulu que Meéli garde l'enfant avec elle cette nuit-là. Elle avait ressenti le besoin de le sentir contre elle, le besoin de se sentir... humaine, car elle savait qu'au moment où elle avait tranché la tête d'Abeth, elle ne l'était guère. La voyageuse ne s'expliquait pas cette certitude. Elle savait juste que c'était la vérité, une indicible tristesse l'enveloppa. Elle voulait retenir le peu d'insouciance et d'ignorance qu'elle possédait encore, mais se sentait impuissante à repousser les révélations qui lui seraient faites, une fois qu'elle aurait atteint le but de son voyage. Le trajet jusqu'en Surilor, dans l'idéal, demanderait plusieurs jours, voire quelques semaines. Cela la tranquillisa, elle avait le temps de voir venir. Elle se détendit, ferma les yeux... Le rêve l'emporta...

****

"Elle marchait sur un chemin ardent, mais elle ne ressentait aucune brûlure. Au contraire, les braises étaient douces à ses pas. Elle dirigea son regard loin devant elle et ne  voyait que rivières de lave, fleuves de feu, chutes de flammes. Le ciel flamboyait. Elle n'avait pas peur, avançant sur ce sentier brûlant avec confiance et l'impression d'être enfin rentrée chez elle ... Elle se mit à danser, le Kurior apparut à côté d'elle. Il dansa aussi..."

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