La Plaine De Cendres - 1 -
"... Elle fut autrefois, fertile, une herbe grasse et drue faisait le bonheur de vastes troupeaux de ruminants. Puis les temps obscurs survinrent, asséchant la terre, brûlant le ciel, affamant les animaux et les hommes, La plaine devint stérile, s'enflamma, ne resta alors que des cendres..."
Chroniques des Temps Obscurs. Bibliothèque Royale de la Cité de Jade
Volcan Oleko - Camp des armées démoniaques
Le chef des malfaisants ne resta pas déstabilisé longtemps. Il répondit avec assurance :
— Il est en passe de lancer un sortilège plus puissant encore.
Celui qui l'avait interrogé le regardait avec suspicion. Ozerel lui rendit son regard, mais chargé de menaces. Le lieutenant se détourna. Le général des démons reprit :
— Je retiens vos propositions. Pour ce qui est de la cité de Jade, je vais définir une stratégie. Disposez...
Ils obéirent, mais avec une mauvaise grâce évidente. Ozerel comprit qu'il était en train de perdre le soutien de ses troupes !
Le Général quitta sa tente et sans attendre marcha vers la hutte du Nécromancien. Il trouva celui-ci en piteux état. Il était affalé sur un tabouret et passait furieusement de l'onguent sur la plaie de son ventre. Le chaudron était toujours renversé sur le sol. Stupéfait, le Général tonna :
— Comment ? Tu ne t'es pas remis au travail ?
Le mage leva lentement la tête vers lui, son capuchon tomba en arrière, révélant des cheveux poisseux et trempés de sueur et un visage have au regard brillant et inquiet. Ozerel comprit, il s'exclama :
— Aurais-tu des problèmes avec ton hôte ?
Le nécromancien tenta de parler, mais ne put que râler. Un filet de bave coula au coin de ses lèvres noires et craquelées. Le Général avança plus près. Après avoir tiré son sabre, il dit :
— Le temps est venu pour toi de rejoindre le Maître.
Le nécromancien, au prix d'un effort énorme parvint à dire :
— Sauf que si... Tu fais ça... Tu... Tu mettras définitivement fin à mon sortilège et alors... Je risque de ne pas être le seul à retourner vers le... Maître...
— Tu mens !
— À toi de voir... si... tu veux prendre le risque...
Ozerel furieux répliqua :
— La révolte gronde parmi mes troupes. On commence à me reprocher mon laxisme à ton égard. Te tuer me permettra sans doute de retrouver un peu de crédit au sein de mes armées...
Le nécromancien referma le pot d'onguent, et se leva en tremblant. Sans réelle peur, il fit face à Ozerel :
— Évalue bien... lequel des deux.... risques est le plus grand...
Le Général des Démons resta un long moment à observer le mage. Les doigts serrés sur la garde de son arme, il réfléchissait. Au terme d'un temps qui parut interminable au sorcier, le Général rengaina son sabre. Il dit en même temps :
— Fort bien, je t'épargne pour le moment. De quoi as-tu besoin ?
Le Nécromancien leva son regard sur Ozerel, eut un vague rictus et répondit :
— Un autre réceptacle !
Plaine de cendres - Frontière entre le pays d'Ikryl et le pays d'Oleko - Front de guerre
Syvan déclara :
— Cette troisième voie me demeure cachée.
Lorac s'enquit donc :
— Quelles sont tes directives ?
— Ta proposition d'attendre le seigneur Dokar est notre seule option, ceci à condition que les démons restent tranquilles. S'ils attaquent, nous devrons riposter...
Il conclut :
— Il faut donc espérer que les renforts arrivent vite...
Sur cette phrase, Syvan remonta sur son cheval et, en compagnie des autres cavaliers, quitta la ligne de front pour le camp de base.
Volcan Oleko - Hutte du Nécromancien
Ozerel contemplait toujours le mage. Il réfléchissait. Finalement il décida :
— Je vais voir ce que je peux faire.
Il partit de la hutte.
Une fois dehors, il resta un moment immobile devant l'habitation. Il leva les yeux sur le ciel. Ici, il était encore d'un rouge sombre. Aucune pluie n'était venue apporter le désordre au sein de son camp. Le sortilège restait vivace. Pour que cela dure, il était nécessaire de donner satisfaction au Mage. La meilleure manière de le faire étant de capturer des candidats potentiels, des humains solides, suffisamment pour qu'un au moins, résiste à la fusion d'une âme démoniaque avec la leur. Sans pour cela que le corps dépérisse.
Il pensa au front tout proche. Il savait que les humains étaient en manque de combattants. Peut-être était-ce le moment de lancer une offensive déterminante ? Cela aurait aussi le mérite de distraire ses troupes, afin qu'ils ne pensent pas trop aux différents échecs des derniers jours. Une victoire aurait en tous les cas le mérite de redonner confiance à ses démons. Sa décision fut définitivement arrêtée, ils attaqueraient au petit matin. Il se dirigea vers sa tente afin de convoquer encore une fois ses lieutenants...
Manoir d'Ikryl - Ce soir-là
Cette journée festive se terminait par une sorte de buffet qui avait rassemblé, non seulement les notables du manoir, mais aussi le personnel et les quelques familles qui vivaient dans l'enceinte du domaine privé de la lignée. Une table avait été dressée dans la cour, sous un chapiteau. Encore une fois, les mets servis étaient simples et peu abondants, mais l'important, c'était le partage. Par ailleurs, dès le lendemain, les trois quarts des chevaliers, plus deux cents hommes appartenant à la population, partiraient pour le front. Ovaïa avait bien l'intention de quitter le manoir également.
Le pays de Surilor restait sa priorité et pour l'atteindre, elle devrait suivre le même chemin que l'armée. Elle savait aussi qu'Evalane avait prévu d'accompagner les combattants, au grand dam de Leenel. La jeune mère avait même surpris entre elles une discussion assez houleuse. C'était après la cérémonie, devant la chapelle. Ovaïa, de loin, avait vu les jeunes femmes face à face. Leenel d'Igrul avait lancé furieuse à Evalane :
— Pourquoi ne dis-tu pas la vérité ? Tu t'es éprise de lui, et c'est pour cela que tu t'empresses de courir après lui, sous le mauvais prétexte de participer à la bataille !
Ovaïa avait alors entendu sa belle-sœur répondre :
— Ne dis pas de sottises ! Seule ma loyauté envers notre roi et la cité de Jade me contraint à partir pour combattre !
— Alors, laisse-moi t'accompagner !
— Leenel ! Tu n'as rien d'une combattante ! Tu mourrais là-bas et...
Elle l'avait interrompue avec rage :
— Je suis plus forte que tu ne le crois ! J'ai résisté à des semaines de captivité et...
Là, elle avait vu Ovaïa qui les regardait, Evalane aussi. Elles s'étaient éloignées. La jeune mère, du coup, ne savait pas trop comment la discussion avait évolué. Elle les voyait à présent assises l'une à côté de l'autre. Ovaïa supposait donc que cela s'était arrangé. Elle-même était installée un peu à l'écart. Son bébé était avec la jeune nourrice, à l'intérieur. Elle aussi serait du voyage, puisqu'il n'était pas question pour Ovaïa de partir sans son fils, emmener Méeli était donc logique. Elle réfléchissait à tout ceci, quand son beau-père s'approcha d'elle.
Elle lui sourit et le laissa s'installer près d'elle. Il commença à dire :
— C'était une belle journée !
— C'est vrai. Merci de me l'avoir offerte.
— C'est moi qui te remercie d'être là avec nous.
Il regarda autour de lui et dit encore :
— Nous nous accrochons à ces moments de joie qui sont devenus bien rares, mais je reste inquiet.
Ovaïa se fit rassurante :
— Les choses n'iront qu'en s'améliorant, Père, vous verrez.
Il cilla et objecta :
— Même si les démons rejoignent les enfers, ils nous laisseront un monde en ruine ! C'est là que les véritables difficultés commenceront, chère fille...
Ovaïa ne sut que répondre à autant de clairvoyance. Soudain Réjak demanda :
— Que devrais-je dire ou faire pour que tu renonces à te rendre en Surilor ?
Elle sursauta et contempla longuement son beau-père... Puis elle répondit :
— Je dois y aller, Père. Je suis désolée de vous décevoir une fois encore.
Il eut un pauvre sourire avant de répondre :
— Tu ne m'as jamais déçu, sache-le.
Il se leva sur ces mots et s'éloigna sans rien ajouter d'autre. Ovaïa le suivit des yeux. Puis elle bâilla. Elle remarqua qu'autour d'elle l'assistance commençait à s'éclaircir. Elle décida qu'il était temps pour elle d'aller dormir...
Annotations