La Plaine de Cendre - 3 -

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C'est deux heures avant l'aube que Dokar à la tête de nombreux cavaliers, mais aussi une centaine d'hommes à pied quitta le manoir. Jolo était parmi eux. Il y avait Dame Evalane également. Ovaïa était installée dans un chariot. Méeli  était assise à ses côtés. Elle portait l'enfant. La Dame d'Eraland lui l'avait confié en disant : 

— Il est préférable qu'il reste avec toi, au cas où je devrais combattre.

— Comme il vous plaira, Milady. 

Ainsi la colonne s'ébranla. Elle passa le mur d'enceinte du domaine sous le regard de Réjak. 

Celui-ci était debout sur le seuil de sa demeure, Leenel à ses côtés. Les yeux de la jeune femme étaient emplis de larmes qu'elle contenait difficilement. Le vieil homme se taisait, il était triste et inquiet, mais restait digne. Il avait approuvé totalement la décision Dokar qui souhaitait partir avant l'aube, même si cela l'avait surpris. Réjak songea qu'il allait falloir plusieurs heures à son fils pour atteindre le front. Il fut distrait de ses pensées par un reniflement venant de la jeune femme. Il la regarda brièvement. Agacé, il s'exclama :

— Je vous en prie Leenel, cessez vos jérémiades ! 

Elle se raidit avant de rétorquer sur un ton acide :

— Vous ne pouvez pas me reprocher mon chagrin ! N'avez-vous pas de cœur ? Aucun ne risque de revenir !

Il la contempla, secoua la tête et rétorqua :

— Que savez-vous du chagrin, Leenel ? Rien ! J'ai perdu mon épouse, un petit-fils, il est fort probable que Rovor soit mort et vous osez me dire que je n'ai pas de cœur ?

— J'ai aussi perdu tous les miens. Seul mon cousin est peut-être encore vivant à la cité de Jade. Alors, ne dites pas que je ne sais rien du chagrin. Si mes larmes vous gênent, eh bien, j'en suis désolée, mais c'est ma manière d'être !

Elle retourna à l'intérieur sur ces mots, visiblement furieuse. Réjak resta là, sous le porche de sa demeure, les yeux fixés sur les lourdes portes des remparts qui s'étaient refermées, le cœur et l'âme  étreintes d'inquiétude, et la pluie se mit à tomber...

Plaine de Cendres - Frontière entre le pays d'Ikryl et le pays d'Oleko - Front de guerre - Trois heures plus tard.

Les humains étaient massés derrière les palissades de bois. Il y avait de hautes tours en bois également. Une catapulte attendait derrière les hommes le moment d'être utilisée. Syvan était juché sur son cheval, ainsi que Lorac. Tous deux restaient aux aguets. Il faisait sombre encore. Seuls les torches et les braseros permettaient de distinguer le contour des êtres et des choses. L'air était lourd, chargé de peur et d'adrénaline.

Les sentinelles postées sur le haut des palissades et des tours scrutaient avec inquiétude les lignes ennemies, au loin. Les cris sanguinaires des malfaisants leur parvenaient. Les soldats distinguaient la lumière des torches de l'armée adverse, et les démons n'attendaient que le petit jour pour partir à l'assaut de la barrière défensive quelque peu dérisoire des êtres humains.

L'aube commença à poindre, de façon progressive et sombre. L'influence du Nécromancien était encore forte. Suffisamment, en tout cas, pour que l'ambiance lourde et rougeâtre habituelle se mette en place.

Syvan lança :

— Tenez-vous prêts !

Une tension extrême s'empara des hommes.

Ozerel  assistait au lever de soleil qui commençait à chasser les ténèbres nocturnes. Il eut un lent sourire, avant d'ordonner à ses lieutenants :

— Vous me faites bouger tous ses fainéants !

Les diables haranguèrent aussitôt la piétaille démoniaque. Dans un ensemble compact, ils s'avancèrent en braillant vers la ligne de front...

Le général des Malfaisants s'envola.

Le choc fut brutal. Les palissades vacillèrent. Syvan lança :

— Armez la catapulte !

Aussitôt des hommes roulèrent des tonneaux en direction de la machine de guerre en question.  

Un des tonneaux fut placé dans la coupelle. Bientôt l'engin entra en action. Le projectile fut lancé au-dessus des palissades. Il s'écrasa au milieu des démons. Le tonneau se brisa sous l'impact, délivrant ainsi son contenu : de l'eau ! Des hurlements venant des malfaisants retentirent. Du haut des palissades, des chaudrons remplis eux aussi d'eau furent renversés sur les assaillants... Cela eut le mérite de briser, quelque peu, leur assaut... Ainsi les hommes avaient-ils obtenu un répit....

Sur la route menant au nord, la colonne de renfort menée par Dokar avançait aussi vite que possible. Dans le chariot où se trouvaient Ovaïa, mais aussi Méeli, régnait un grand silence. La Dame d'Eraland depuis le départ du Manoir restait taciturne. L'inquiétude ne la quittait pas. La jeune femme savait que cette angoisse serait sienne jusqu'à ce que le convoi arrive sur le front. Elle avait peur de ce qu'ils y découvriraient.

Méeli, allongée sur le plancher de la charrette, l'enfant  niché contre elle,  dormait. Au-dessus d'eux, une bâche soutenue par des arceaux de bois les protégeait.

C'était heureux, car une pluie fine tombait sur le convoi. Ovaïa pensa : "Le temps est en accord avec mon humeur."

Elle pensa également que c'était une protection contre les démons. Assurément, pas un ne se risquerait à les attaquer sous une averse. Cela la rassura un peu, mais un peu seulement. Brièvement, elle pensa au Kurior. Ovaïa réalisait qu'il lui manquait. La jeune femme aurait voulu qu'il soit là avec eux, pour cet affrontement qui se préparait. Un réel chagrin la saisissait en songeant au dragon. Elle le repoussa.

Elle souleva légèrement la bâche, et demanda au conducteur du chariot :

— Croyez-vous que nous soyons loin encore ?

— Encore un peu, Madame.

Cette réponse la replongea dans l'inquiétude. Elle remarqua qu'il faisait moins sombre, la pluie n'était plus aussi abondante, l'aube se levait.

Plaine de Cendres - Frontière entre le pays d'Ikryl et le pays d'Oleko - Front de guerre

La première offensive de ses troupes ayant été brisée par une défense qui l'avait pris au dépourvu, Ozerel fit légèrement reculer son armée. Il s'interrogea ensuite : "Où ont-ils trouvé l'eau ?"

Il envoya en reconnaissance quelques-uns de ses démons, derrière les lignes humaines. Ils avaient pour mission de rechercher la source d'approvisionnement des hommes et de la détruire, et surtout sans se faire repérer.

Ainsi l'armée démoniaque marqua le pas et se mit en attente.

Syvan était assez satisfait que ses troupes soient parvenues à repousser les malfaisants. Cependant, il ne se faisait aucune illusion. Ils combattaient toujours à un contre dix. De plus, le général Ozerel ne se laisserait certainement pas intimider par quelques barriques d'eau. Il donna ses ordres afin que ses combattants ne se relâchent pas. Ainsi, eux aussi se placèrent en attente, mais restèrent attentifs...

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