La Plaine de Cendres - 5 -

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Ovaïa s'éveilla brusquement, sans le vouloir, elle s'était assoupie. C'est une embardée du chariot qui l'avait réveillée. Hébétée, elle releva la tête. La Dame d'Eraland entendait des cris et des paroles fortes. La jeune femme se rapprocha du conducteur à qui elle demanda :

— Que se passe-t-il ?

— Un des chariots s'est embourbé, Milady. Je crois que l'essieu est cassé. Le convoi est arrêté.

La jeune femme pâlit, ce qu'elle craignait venait d'arriver. En quelques secondes, sa décision fût prise. Elle pivota vers la nourrice et lui dit :

— Je dois partir, Méeli. Prends bien soin de mon fils.

— Madame, vous n'y pensez pas ? Où voulez-vous aller ?

Pour seule réponse, Ovaïa déposa un baiser sur le front du bébé, sourit à la jeune fille puis quitta l'intérieur de la carriole.

Ovaïa se dirigea aussitôt vers  Evalane qui, juchée sur son cheval, regardait en direction du chariot endommagé. Elle arriva vers sa belle-sœur en demandant brusquement :

— J'ai besoin d'un cheval !

Stupéfaite, Evalane s'exclama :

— Quoi maintenant ? Je croyais que tu préférais voyager dans le chariot.

— Je ne puis me permettre d'attendre que le chariot soit réparé. Je dois rejoindre le front sans attendre... Evalane, j'ai besoin d'un cheval !

L'urgence qu'elle décelait dans la voix impérative de la jeune mère interpellait la sœur de Dokar. Elle osa demander :

— Que se passe-t-il ?

— C'est trop long à expliquer ...

La Dame d'Ikryl contemplait Ovaïa. Puis elle hocha la tête en disant :

— C'est entendu, mais j'ai peur que Dokar ne te demande plus d'explications.

Elle talonna son cheval,  s'éloignant ainsi de sa belle-sœur.

Elle revint peu après avec la jument grise qu'Ovaïa avait déjà montée, lors de l'attaque des démons dans la forêt. 

Sans hésitation, la jeune femme se jucha sur cette monture. Evalane lui demanda :

— J'espère que tu as ta cotte de mailles sur toi ?

— C'était la précaution la plus élémentaire.

— Bien, allons-y !

— Comment ça, allons-y ?

— Tu crois que je vais te laisser occire du démon sans moi ? Pas question ! J'ai envie de m'amuser un peu.

Ovaïa n'eut qu'un mince sourire en réponse. En fait, elle n'avait pas vraiment envie de plaisanter. L'appréhension qu'elle ressentait était trop intense. Evalane le comprit. 

Ainsi les deux femmes dirigèrent ensemble leurs montures vers le jeune seigneur d'Ikryl.

Dokar en voyant arriver vers lui les cavalières eut un léger froncement de sourcils. Il les laissa approcher plus près encore avant de demander :

— Qu'est-ce que vous faites ?

Ovaïa répondit :

— Je rejoins le front. Il n'est pas question pour moi d'attendre que l'essieu du chariot accidenté soit réparé. Evalane a décidé de m'accompagner.

Il les regarda tour à tour avant d'objecter : 

— Vous pensez parvenir à vaincre les armées démoniaques à toutes les deux ?

Il réfléchit puis il se tourna vers son second :

— Obro !

Ce dernier s'avança vers lui :

— Oui, Seigneur ?

— Choisis une dizaine de cavaliers pour escorter ces Dames jusqu'à la frontière Oleko.

Stupéfait, le chevalier alla regarder les jeunes femmes. La voix de Dokar claqua :

— Tout de suite, Obro !

— Bien, Monseigneur.

Il tourna bride et s'éloigna. Ovaïa dit alors :

— Je te remercie, Dokar. 

— Ne le fais pas encore, je fais sans doute une erreur, mais tu es une femme têtue...

Il alla regarder Evalane avant d'ajouter :

— Et ma sœur encore plus !

Il conclut :

— Alors, je préfère vous laissez agir, mais sous bonne escorte.

Ovaïa le remercia encore. Obro arriva avec les cavaliers requis par le jeune seigneur, ainsi que... Jolo !

Il s'adressa aussitôt à la jeune mère :

— Tu n'y penses pas Ovaïa ? Te rendre sur le front avec une simple escorte ?

— C'est pourtant ce que je vais faire...

Le jeune homme du marais décida donc :

— Dans ce cas, je t'accompagne.

Ovaïa fronça les sourcils. Elle objecta :

— Tu sais monter à cheval ?

— Je... Non... Tu le sais bien...

— Alors, tu dois rester ici ! 

Jolo tenta de protester :

— Ovaïa, je...

Elle le coupa :

— Tu es le protecteur de mon fils. Tu dois rester auprès de lui. 

Il en resta silencieux. Il était un homme d'honneur, il avait participé à la cérémonie du nom. Ovaïa avait raison. Il devait rester avec le bébé. Il la contempla, si belle pour lui à cet instant, si forte aussi. Contre toute logique, Jolo sut en effet, qu'elle devait se rendre sur le front sans tarder. Il n'insista plus. 

Ovaïa lui sourit, se détourna et demanda à Evalane :

— Nous y allons ?

La Dame d'Ikryl acquiesça silencieusement. Toutes deux talonnèrent leurs montures qui partirent au galop. Les cavaliers les suivirent. Dokar qui se reprochait déjà de les avoir laissés partir, dit à haute voix.

— J'espère que je ne le regretterais pas.

À sa grande surprise, Jolo répondit avec conviction :

— Elles vont réussir !

Le jeune seigneur répliqua :

— Qu'est-ce qui te rend si sûr de toi ?

L'homme des marais sourit avant de répondre :

— L'esprit du dragon protège Dame Ovaïa. 

Il s'en retourna vers le convoi sur ces mots, sous le regard étonné de Dokar et Obro. C'est ce dernier qui eut le mot de la fin en déclarant :

— Prions les Dieux pour que ce soit le cas !

Plaine de Cendres - Frontière entre le pays d'Ikryl et le pays d'Oleko - Front de guerre 

Syvan et ses chevaliers étaient en passe d'être écrasés sous le nombre. Déjà les soldats à pied étaient presque tous décimés. Le cheval de Lorac gisait mort sur le sol. Celui de Syvan venait de le rejoindre.

Ils n'étaient plus qu'une dizaine à combattre courageusement. Au-dessus d'eux, les démons ailés volaient en arcs de cercles. Ils étaient assaillis de malfaisants. Les chevaliers n'en continuaient pas moins à taillader du démon, ou du moins d'essayer. La vermine diabolique était increvable. Plus ils en tuaient, plus il en venait, et ils n'avaient plus la possibilité d'utiliser l'eau pour se défendre.

Lorac, qui livrait bataille aux côtés de Syvan, avec hargne, déclara :

— C'est maintenant que le Kurior nous serait utile...

L'époux d'Evalane ne releva pas la remarque. Ils continuèrent sans relâche à frapper, taillader et trancher, dans l'espoir bien vain de résister jusqu'à l'arrivée des renforts...

Ovaïa, Evalane et les dix chevaliers qui les escortaient galopaient à brides abattues. L'angoisse ne quittait pas l'âme et le cœur de la Dame d'Eraland. Au fur et à mesure qu'ils avançaient, l'air s'asséchait, le ciel se couvrait de nuées rouges, preuve qu'ils approchaient du front, mais qu'aussi le sortilège lancé sur le monde des mois auparavant était encore fort. 

La jeune mère pensa fortement au Kurior. En son for intérieur, elle s'adressa à lui sous la forme d'une prière : "Tu as dit que tu serais toujours avec moi. Si cela est vrai, et si les miens sont en danger, je t'en prie, aide-les !"

Alors, comme si sa supplique avait été entendue, un éclair traversa le ciel. Un roulement de tonnerre suivit, et une pluie diluvienne se mit à tomber...

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