La plaine de Cendres - 7 -
Volcan Oleko
Evalane en voyant que Syvan était en vie éprouva un vif soulagement. Ovaïa par contre, n'avait d'yeux que pour le corps étendu sur le sol.
L'époux de sa belle-sœur leva le regard sur elle.
Il lui adressa un regard désolé. Le sang de la jeune mère se figea dans ses veines. Elle savait qui était l'homme mort sur lequel était penché Syvan.
Elle s'avança et se laissa tomber à genoux près de ce qui fût, le vaisseau du Nécromancien.
Elle murmura :
— Rovor...
Syvan lui dit :
— Je suis navré... Vraiment....
Il ne put terminer. Elle nota l'habit qui couvrait le cadavre : une sorte de robe noire parsemée de signes cabalistiques.
Elle ne s'attarda pas sur ces détails. Elle contemplait le visage du père de son fils. Il était figé, creux, presque méconnaissable. Pourtant, elle savait que c'était lui.
Syvan se permit de dire :
— Il était possédé par une entité diabolique, une sorte de sorcier, d'après ce que j'ai pu comprendre. Ce sorcier était sans doute responsable du sortilège qui a assombri notre monde.
Ovaïa fût alertée. Elle demanda :
— Qu'est devenu l'esprit mauvais en question ?
— Le chef des démons l'a enfermé dans une sphère transparente et magique.
Il ajouta :
— Je pense qu'il m'avait enlevé dans le but d'offrir un nouveau corps à ce mage. Les dieux en soient remerciés. Cela a échoué.
Ovaïa se remit debout. Elle réfléchissait rapidement. Elle comprenait que rien n'était réglé encore.
Si l'esprit du sorcier avait été sauvé par le chef des malfaisants, il restait la possibilité que le mage puisse se réincarner dans un autre corps.
La jeune femme sut qu'il était urgent d'arrêter définitivement Ozerel. Elle dit :
— Je dois le poursuivre.
Evalane objecta :
— Peut-être devrais-tu auparavant, effectuer tes derniers devoirs envers ton époux...
— Je n'ai pas le temps de me plier aux usages. Pardonne-moi pour ton frère, mais il y a plus urgent.
Sur cette phrase, elle se rua hors de la hutte.
Stupéfait, Syvan s'exclama :
— Elle ne peut pas faire ça ? Partir seule à la poursuite de ce monstre ?
Evalane, quelque peu décontenancée, se taisait, partagée entre deux attitudes à adopter.
Soit, accompagner Ovaïa pour la soutenir dans sa traque, soit, rester là afin de pleurer son frère cadet. Soudain, elle réalisa que sa belle-sœur avait raison. Le temps des larmes et du deuil n'était pas venu. L'action, par contre, était d'une nécessité absolue. Elle dit à son époux :
— Je vais l'accompagner. Il ne sera pas dit que je l'aurais laissé venger mon frère, sans me tenir à ses côtés...
À son tour, elle quitta la hutte.
Syvan, soufflé par l'attitude de son épouse, resta incertain une ou deux secondes de la conduite à tenir. Finalement, il la suivit hors de la cahute. Il l'arrêta avant qu'elle ne monte sur sa jument, attrapa les rênes, et protesta avec véhémence :
— Il est hors de question que tu t'en ailles ainsi, tu n'as pas le droit de laisser ton pauvre frère sans même avoir récité une prière pour le repos de son âme !
— Je laisse à Dokar et aussi à toi, le soin de les dire pour moi. À présent, laisse-moi partir, Ovaïa va avoir besoin de soutien...
— Femme têtue et indocile, n'en finiras-tu jamais de bousculer les convenances ?!
Là, Syvan était en colère. Sa conjointe lui arracha les rênes des mains, lui lança un regard malicieux et rétorqua :
— Si j'étais différente, je perdrais vite de mon intérêt à tes yeux.
Sur cette phrase, elle fit volter son cheval et se lança sur les traces d'Ovaïa.
Ovaïa avait traversé le camp désert sous une pluie battante. Le vent s'était levé. Il balayait les toiles de tentes abandonnées par les malfaisants. Les bourrasques s'engouffraient sous les abris, faisant claquer les bâches sombres. La jeune femme n'avait pas un regard pour ces lieux désolés et sinistres, aux relents méphitiques.
Elle passait à côté de pyramides de crânes humains, dépassait des bûchers où les corps noircis des suppliciés grimaçaient, laissait derrière elle des cages remplies de captifs encore vivants, mais affaiblis.
Enfin elle sortit du camp, le cœur farouche et l'âme revancharde. Ovaïa n'avait qu'une seule priorité à l'esprit : rattraper le général Ozerel, le tuer et surtout détruire la sphère contenant l'esprit du Nécromancien
Evalane ne mit pas beaucoup de temps à rattraper sa belle-sœur. Celle-ci en la voyant arriver s'exclama :
— Qu'est-ce que tu fais ?
— C'est évident, je me joins à toi dans ton expédition punitive à l'encontre du chef des malfaisants.
— Je peux me débrouiller toute seule. Tu as tes devoirs à assumer en direction des tiens.
— Et toi, tu as un enfant à chérir. Tu l'as laissé derrière toi, il me semble ?
Elle ne put opposer aucun argument à un avis aussi péremptoire. D'autant plus qu'Evalane avait raison. La jeune mère se tut donc et elles chevauchèrent côte à côte...
*****
Une heure plus tard, Dokar était arrivé au camp abandonné des malfaisants. Il avait rejoint Syvan dans la cahute du sorcier. Il se tenait agenouillé près du corps sans vie de Rovor. Son chagrin était immense, incommunicable. Il s'ajoutait au ressentiment éprouvé à l'égard d'Ovaïa et de sa sœur qui étaient parties en le laissant assumer seul les derniers rites à l'égard de son frère. Quelque part, il comprenait Ovaïa, mais Evalane ?
Puis il prit sur lui, se releva et dit à Syvan :
— Que son corps soit amené au camp. Trouve un prêtre et s'il n'y en a pas, envoie des cavaliers dans toutes les directions pour en dénicher un.
Enfin, le jeune seigneur s'adressa à Obro :
— Commence à faire nettoyer cet endroit de cauchemar, libère les prisonniers. Dis à Ulkir de venir les voir pour qu'il les soigne. Ensuite, il faudra réorganiser les troupes, comptabiliser les hommes qu'il nous reste. Rassemble-les, et prépare-les pour un départ dès ce soir, La cité de Jade nous attend.
Il quitta l'habitation du mage sur ces mots en songeant que cette guerre se déroulait de façon des plus étranges et en se demandant de quelle manière, elle se terminerait...
Annotations